Le mystère de la présence de Christiane Taubira au gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
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Malgré ses divergences avec le gouvernement, la Garde des Sceaux ne semble pas vouloir quitter son poste.
Malgré ses divergences avec le gouvernement, la Garde des Sceaux ne semble pas vouloir quitter son poste.
©Reuters

Maroquin

Christiane Taubira ne cache pas ses désaccord avec le gouvernement, bien qu'elle ne fasse officiellement pas partie des frondeurs. Malgré ces divergences, elle reste à son poste...

Pascal Bories

Pascal Bories

Pascal Bories est journaliste.

Il a travaillé notamment pour le Journal du Net, Technikart ou Playboy.

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Atlantico : Les députés ont rejeté cette semaine un amendement gouvernemental défendu par Christiane Taubira concernant la loi sur le renseignement, loi avec laquelle la garde des Sceaux n'a pas hésité à témoigner publiquement son désaccord. Sans faire partie des frondeurs, Christiane Taubira les défend au sein du gouvernement. Pourquoi malgré ses divergences avec la politique du gouvernement la Garde des Sceaux reste-t-elle à son poste ?

Pascal Bories : Le problème, c’est que Mme Taubira n’a pas exprimé « publiquement » son désaccord avec le projet gouvernemental. En privé, elle confie à ses amis « frondeurs » Aurélie Filipetti et Arnaud Montebourg que « la loi sur le renseignement, qui permet une intrusion dans la vie privée, est aux antipodes de [ses] idées », mais en public elle soutient le texte. De la part de quelqu’un qui prétend défendre la transparence contre la culture du secret, ça fait tache. Chacun sait que le renforcement de la surveillance d’Etat implique des atteintes plus ou moins acceptables aux libertés individuelles et à notre vie privée. Mais encore une fois, au lieu de choisir entre la solidarité gouvernementale et la fidélité à ses convictions propres, elle dit : « J’avale des couleuvres. »

Comme depuis longtemps, Mme Taubira voudrait avoir le beurre gouvernemental et l’argent du beurre frondeur, être à la fois le patron et la rebelle. Si Manuel Valls la garde au gouvernement malgré tout, c’est parce que la Garde des Sceaux est devenue pour les socialistes une statue indéboulonnable. Qu’elle mente face à une caméra en montrant des documents qui le prouvent, ou qu’elle se mêle personnellement d’une affaire de justice la concernant directement (comme nous l’avons révélé dans Causeur), rien n’y fait. La gauche a sans doute trop capitalisé sur le racisme odieux dont a parfois été l’objet cette femme douée, au charisme indéniable et au lyrisme échevelé, pour s’en passer maintenant. Ce cynisme qui rappelle les rapports ambigus entre Nicolas Sarkozy et Rama Yade n’est malheureusement pas nouveau, mais les socialistes s’en sont fait une spécialité.

Dans un entretien à l'Obs au début du mois, elle expliquait: "Le jour où je ne voudrai plus me battre à l'intérieur, je m'en irai". Comment dans le contexte actuel justifie-t-elle auprès de ses soutiens de rester au gouvernement ? Ne donne-t-elle pas l'impression de se trahir ?

Il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Christiane Taubira ait pris goût au pouvoir, comme toute personnalité politique ambitieuse. Et après tout, on peut aussi considérer que celui qui se trahit, c’est d’abord Manuel Valls. Quand il était à l’Intérieur, il s’était opposé frontalement à la réforme pénale de la Garde des Sceaux, on ne parlait que de la guerre intestine qui les opposait, mais aujourd’hui il prend sa défense à la moindre occasion. Mme Taubira a donc la preuve qu’elle peut mettre en œuvre certaines de ses idées, même quand elles ne font pas l’unanimité dans son camp. Elle doit logiquement considérer qu’elle aurait tort de s’en priver. Quant à sa posture de « femme libre », atypique et insoumise, c’est un excellent positionnement pour la suite… D’autant que ça se défend : rappelons que Christiane Taubira n’est pas au parti socialiste, et que c’est l’une des seules au gouvernement.

En moins de 3 ans, Christiane Taubira a déjà "usé" 3 directeurs de cabinet. Par ailleurs, les dysfonctionnements autour du meurtre de Chloé à Calais font office de symbole d'une certaine faiblesse au cœur même de la logique judiciaire, faiblesse que Christiane Taubira n'a rien fait pour réduire. De quel bilan peut-elle se prévaloir ?

La précédente « dircab » de Mme Taubira, Christine Maugüé, lui a servi de fusible dans l’affaire des écoutes abusives de Nicolas Sarkozy. Elle n’a pas été « usée », elle a tout simplement sauté. Cette fois, le départ de Gilles Le Chatelier intervient alors que la Garde des Sceaux vient d’être mise en minorité par une vingtaine de députés PS et UMP sur la loi Renseignement. Pas sûr non plus qu’il s’agisse d’« usure », au bout de quelques mois à peine… On sait depuis longtemps que des clans opposés se sont formés au sein de ce ministère important, ce qui n’est pas étonnant vu les prises de position très tranchées de Mme Taubira sur certains sujets sensibles.

Le seul bilan dont elle puisse se prévaloir, c’est le passage en force de sa loi sur le mariage pour tous, face à un mouvement de contestation d’une ampleur et d’une durée inédite sous la Vè République. Pour une petite moitié des Français, c’est son plus grand fait d’armes, et Christiane Taubira mériterait de figurer dans les manuels d’histoire. Pour tous les autres, c’est la preuve de son mépris de la démocratie et de son insupportable dogmatisme idéologique. On a rarement vu personnage politique plus clivant. Et on en oublierait presque, du coup, qu’elle est ministre de la Justice. Il est peu probable qu’on se souvienne d’elle pour ses réformes, elles aussi très contestées, des institutions judiciaires.

Christiane Taubira n'est pas appréciée par la droite, et encore moins par la droite de la droite. Que sait-on de sa popularité au sein de la gauche ? A-t-elle toujours  le vent en poupe dans son camp malgré ses dernières sorties ?

Tout ce qui n’est pas « de gauche » est considéré comme dangereusement antirépublicain par Mme Taubira. Pour elle, l’UMP est une sorte d’extrême droite qui ne s’assume pas. Et elle répète en boucle que le Front National, pour lequel votent un électeur sur quatre, n’a pas sa place dans une démocratie. Dans ces conditions, il serait étonnant que l’immense majorité de Français qui ne votent pas à gauche l’apprécient ! Ce qu’on sait de sa popularité dans son propre camp est moins clair. Outre l’adoration que lui voue la micro-élite bobo des centre-ville friqués, elle a le soutien de l’extrême gauche. Mais dans ce qui reste du parti socialiste, on ne parle plus que de l’effet délétère des « divisions », qui auraient conduit aux raclées électorales que l’on sait. Il est possible que les prises de position intempestives et dissonantes de Mme Taubira commencent à en agacer sérieusement certains. Les socialistes sont convaincus que ce n’est pas leur politique que rejettent les Français, mais un discours trop contradictoire et confus. Le double discours de la Garde des Sceaux pourrait donc finir par être pointé du doigt comme une potentielle source de « couacs », un mot qui les terrorise plus que tout. Mais n’en déplaise à la droite dont c’est le plus grand fantasme, rien ni personne ne l’obligera à partir si elle ne le souhaite pas. On ne sort pas une lionne de sa cage tant qu’elle n’a pas décidé d’en sortir.

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