Lutte contre le racisme et l’anti-sémitisme : pourquoi la stratégie choisie par le gouvernement aura des effets nécessairement limités<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre a présenté vendredi un plan de 40 mesures contre le racisme et l'antisémitisme.
Le Premier ministre a présenté vendredi un plan de 40 mesures contre le racisme et l'antisémitisme.
©Reuters

Vœu pieux

Trois mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hypercacher, le Premier ministre, Manuel Valls a présenté à Créteil vendredi 17 avril le plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme composé de 40 mesures. Si s'attaquer aux causes du racisme parait un chantier particulièrement ambitieux, la question de l'efficacité de la répression se pose également.

Patrick Lozès

Patrick Lozès

Patrick Lozès a fondé le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) et en était le président jusqu'en mai 2011. Diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris, il est l'auteur de Les noirs sont-ils des Français à part entière ? (Larousse, 2009).

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Tarik Yildiz

Tarik Yildiz

Tarik Yildiz est est sociologue et président de l'Institut de Recherche sur les Populations et pays Arabo-Musulmans (IRPAM). Il est également essayiste et notamment l'auteur de Qui sont-ils ? Enquête sur les jeunes musulmans de France (Editions du Toucan/L'Artilleur) et de Le racisme anti-blanc (Editions du Puits de Roulle). 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Un financement à hauteur de 100 millions d'euros, 40 mesures, un volet communication, répressif, et éducatif... Le plan présenté par Manuels Valls s'attaque à trois domaines phares : la justice, internet et l'éducation. Les injures et actes racistes relèveront du droit pénal et non du droit de la presse. Afin de traiter de manière efficace les signalements sur internet, le gouvernement a annoncé la création d'une "unité de lutte contre la haine sur internet". La formation des enseignants sera également renforcée pour qu'ils puissent faire face aux incidents.

Atlantico : La libération de la parole raciste encourage-t-elle le racisme ? Existe-t-il un phénomène de contagion ?

Vincent Tournier : Beaucoup d’intellectuels ou d’éditorialistes considèrent que c’est à cause de Zemmour, Finkielkraut ou Houellebecq que le Front national augmente. C’est une analyse un peu facile, qui relève davantage d’une croyance que d’une démonstration établie. En France, on aime à penser que les idées viennent des élites, qu’elles descendent du "haut" vers le "bas". C’est un raisonnement aussi simpliste que celui qui consiste à attribuer la Révolution française à Rousseau ou la Révolution bolchévique à Marx. Il y a évidemment un lien, mais la réalité historique ne se réduit pas à une cause aussi facile. Dans le cas du racisme, certains pensent que, si on interdit les mauvaises pensées, les fameux "dérapages", le problème sera vite réglé. Le risque est quand même d’entrer dans une spirale dangereuse. Quand commence un "dérapage" ? A partir de quand une idée devient dangereuse ? Aller dans ce registre implique d’instaurer un contrôle très élevé sur le débat d’idées, ce qui est problématique dans une société démocratique. Et puis, quelle sera l’efficacité ? Les précédents historiques invitent à être sceptique. Prenons la loi de 1972 (dites loi Pleven). Cette loi a été adoptée à un moment où le racisme avait déjà fortement baissé en France, ce qui montre que la loi n’y est pour rien. Par ailleurs, la loi n’a pas été très efficace : c’est en 1973 que l’on observe la pire année du point de vue des violences racistes, avec notamment un attentat à Marseille en décembre 1973 qui fait quatre morts. On ne peut évidemment pas dire que a loi de 1972 n’a joué aucun rôle dans la pacification du débat, mais ses effets sont sans doute moins importants que ne le croient ses partisans.

Tarik Yildiz : Je pense que la nature humaine est faite de telle manière que, depuis tout temps, il y a quelque chose que l'on pourrait appeler "racisme" dans une acceptation assez large, une certaine haine qui peut irriguer chez certains individus à l'égard de gens qu'ils ne considèrent pas comme eux. Une liberté totale peut développer non pas le racisme mais son expression. Ce sont des réalités qui existent depuis très longtemps, mais une liberté totale d'expression véhiculée par exemple par internet, peut favoriser cette expression et donc en un sens la propagation d'un certain nombre d'idées.

Patrick Lozès : Dans la société française qui est habituellement hostile aux injustices, la libération de la parole raciste devrait en toute logique encourager, par réaction, une levée de boucliers contre le racisme. Or ce n’est pas vraiment ce qui se passe. C’est le signe d’un problème.Il y a un décalage entre la perception des Français sur le racisme en France et les données publiées sur le racisme. L'inflation de l’usage du mot racisme donne l'impression que la France serait majoritairement peuplée de racistes, ce qui est évidemment faux et les Français le sentent bien. Alors nos concitoyens deviennent méfiants envers les grandes envolées et les grands plans antiracistes. Pour être efficace, un plan contre le racisme doit embarquer une grande partie des citoyens. Manuel Valls a présenté le 17 avril 2015 un nouveau plan antiraciste auquel on souhaite du succès mais sans trop y croire car le précédent plan présenté 3 ans plus tôt n’a pas vraiment eu le succès escompté. Le racisme a changé et les formes actuelles de lutte contre le racisme sont devenues inopérantes. Nos concitoyens savent bien qu’il y a de nouvelles formes de racisme qui sont encore taboues. Pour le nouveau plan contre le raciste et l’antisémitisme présenté par le premier ministre Manuel Valls, j’aurais préféré plus d’imagination et moins de moulinets. En 2010, le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères m’avaient confié une mission de lutte contre le racisme. Elle avait été couplée à la lutte contre le communautarisme. Les Français veulent que l’on lutte à la fois contre le racisme et contre les replis identitaires qui font le lit de certaines réactions d’inquiétude que sans réelle analyse l’on qualifié de racisme. La Libération de la parole raciste légitime le racisme, c’est la raison pour laquelle les indignations légitimes sont nécessaires. Mais si l’indignation est disproportionnée, nos concitoyens ne se sentent plus concernés.

Comment la tendance naturelle à se préoccuper davantage de ses semblables dérape-t-elle en racisme ?

Vincent Tournier : Il faut se méfier des mots. Le terme racisme est mis à toutes les sauces. Or, le racisme proprement dit est devenue très rare en Europe. Il suffit de relever que les frontières sont largement ouvertes, de même que les systèmes sociaux et le droit de la nationalité. Il n’en va pas de même ailleurs dans le monde. En Afrique, beaucoup de pays attribuent la nationalité sur des critères raciaux, et les massacres d’étrangers n’y sont pas rares, comme on l’a vu ces derniers mois au Maroc, ou ces derniers jours en Afrique du Sud. En fait, on a tendance à confondre le racisme et les préjugés. Or, les préjugés font partie de la vie sociale. Ils sont inévitables car aucune communauté humaine ne peut se définir sans éprouver un sentiment de proximité et un sentiment de différence. Tout le monde a des préjugés, y compris les élites, même si celles-ci se donnent bonne conscience en condamnant les préjugés des autres. Les préjugés ne reposent pas forcément sur des fantasmes. Il est par exemple normal d’avoir des préjugés contre les Témoins de Jéhovah si l’on désapprouve leur système de croyances ou leur attitude à l’égard des transfusions sanguines.L’existence de préjugés peut aussi être bénéfique. Par exemple, avoir un préjugé contre les policiers peut conduire à adopter une réglementation plus contraignante pour mieux contrôler leurs activités. Il en va de même pour les migrants. Avoir des préjugés à leur encontre ne signifie pas que l’on est raciste : cela signifie simplement que l’on a conscience d’une différence. La question est plutôt de savoir ce que l’on fait de cette différence : cherche-t-on à la préserver ou à la dépasser ?  Si certaines différences sont acceptables, d’autres sont problématiques, voire menaçantes. Le problème actuel de l’Europe est que, à force de tout mettre sur le plan du racisme, ce type d’interrogation ne peut plus être abordé sereinement. Pourtant, une communauté, même ouverte, a besoin d’une hiérarchie des valeurs ; plus exactement, elle a besoin de se sentir protégée dans ses valeurs. C’est justement ce qui permet d’éviter le racisme car c’est lorsque l’Autre qui devient la référence, le désarroi peut se muer en crispation et en refus.

Tarik Yildiz : Dans les études publiées sur le sujet, lorsqu'un groupe se constitue, il a besoin d'une identité, savoir ce qu'il est etc. Par automatisme, il va se distinguer des autres groupes pour pouvoir avoir sa propre identité. En se différenciant, cela peut amener à dévaloriser de façon directe ou indirecte les autres. Une forme de rejet peut se manifester d'une façon plus ou moins violente. C'est une manière de forger sa propre identité, son propre langage. Par exemple, les Grecs pensaient que leur langue venait des dieux, et donc ceux qui ne parlaient pas le grec étaient considérant comme étant des barbares et ils les dévalorisaient de fait. Evidemment on peut construire une identité sans dévaloriser les autres mais c'est une pratique courante. Parfois il s'agit juste de l'affirmation de quelque chose que l'on ferait mieux, et d'autres fois cela peut aller jusqu'à la dévalorisation de tous les autres.

Patrick Lozès : La tendance à se préoccuper de ses semblables n’est pas le contraire de l’ouverture aux autres. Elle le devient lorsque survient le sentiment que l’autre est une menace pour votre façon de vivre et pour vos valeurs. C’est clairement le sentiment de certains de nos concitoyens aujourd’hui. Le lien républicain n’est plus considéré comme un ciment assez solide pour relier l’ensemble de citoyens et certains se réfugient dans l'hostilité, le racisme. Avant de renforcer l’arsenal répressif ou la censure en voulant lutter contre le racisme, les gouvernements devraient se préoccuper d’un sentiment qui se répand en France et qui n’est pas imaginaire: une partie grandissante des Français a l’impression que depuis  quelques temps, les lois accordent une protection particulière aux minorités au détriment de la majorité et que les citoyens ne sont plus tous égaux devant la loi dès lors que cette loi frappe plus fortement les coupables selon que la victime appartient ou non à une catégorie de citoyens.

Quel rôle joue la frustration sociale dans le développement du racisme et de l'antisémitisme ?

Tarik Yildiz On oublie souvent aujourd'hui la différence entre corrélation et causalité et on est en plein dedans. Je ne suis pas de ceux qui expliquent forcément la délinquance, le racisme, l'antisémitisme par la détresse sociale. Je sais que c'est assez à la mode mais c'est probablement faire offense aux pauvres que de penser cela. On peut être raciste et venir d'un milieu complètement favorisé et on peut l'être en étant pauvre. Dans un contexte de crise, de pauvreté, une notion de violence peut en effet être plus importante avec parfois davantage de passages à l'acte. Plus on est dans une forme de désarroi et de détresse sociale, plus la violence peut être présente. Mais je ne crois pas qu'on puisse expliquer une augmentation du racisme par exemple par un moindre développement social. Pour preuve, au sein de nations très pauvres, le racisme est parfois peu courant. Dans l'Allemagne nazie, pendant les années où le développement économique était à son comble, une grande partie de la population allemande a continué de plébisciter cette idéologie.

Patrick Lozès :La frustration sociale ne peut pas être une excuse à l’antisémitisme ou au racisme. Cependant, elle en constitue souvent un des soubassements par la recherche du bouc émissaire. La haine du juif qui rassemble les islamistes et une partie de l'extrême droite s’explique par une frustration sociale, des préjugés et des stéréotypes. En temps de crise, certains estiment à tort que d’autres sont privilégiés, prennent leur place dans l'accès aux biens rares (emploi notamment) ou deviennent des obstacles à leur propre réussite. Les juifs de France paient un lourd tribut à cette frustration sociale qui se mue en haine de l’autre. Le terrorisme qui vient de certaines cités françaises tue des juifs parce qu’ils sont juifs. Cette violence envers les juifs de France est le traceur de la déliquescence du vivre-ensemble et du délitement de nos valeurs communes. La barbarie des terroristes qui attaquent la France au nom de l’islam est aussi une barbarie antisémite. Il n’est pas surprenant que l'équipée sauvage des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly  se soit terminée par la sanglante prise d’otages à la supérette casher de la porte de Vincennes. Quelques heures avant d’attaquer ce magasin, Amedy Coulibaly avait tué la policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, à une centaine de mètres de l’école juive Yaguel Yaacov. Avant lui, Mohamed Merah avait fini sa série de meurtres en abattant froidement trois enfants et un père de famille devant l’école juive Ozar Hatorah.

Dans quelle mesure la répartition géographique a-t-elle une influence sur le sentiment raciste, y a-t-il davantage de racisme dans les zones avec une forte proportion de personnes étrangères ou d'origine immigrée ? Ou au contraire les actes racistes sont-ils commis dans des régions où les immigrés ou individus d'origine immigrée sont en infériorité numérique ?

Tarik Yildiz : Tout d'abord il faut bien examiner ce que l'on met derrière le mot racisme en réalité. Etre raciste signifie établir une hiérarchie entre les races, viser quelqu'un en fonction de son origine réelle ou supposée. Par exemple voter FN ne signifie pas être raciste. Quand on observe certaines villes avec une population étrangère très forte, on se rend compte qu'il y a souvent un vote FN assez élevé. Mais il ne faut pas forcément lier cela à la présence d'étrangers. Et surtout, les gens peuvent voter FN pour d'autres raisons, parce qu'ils ont peur pour leur identité etc. Ce n'est pas forcément du racisme. L'antisémitisme est fort, indéniablement avec des actes en hausse, on a également de l'islamophobie détectée à une moindre mesure mais cela existe, le racisme anti-blanc est à relever… L'aspect homogène ou non homogène socialement, éthiquement, des villes ne provoque pas le racisme ou ne l'annihile pas. Néanmoins cela provoque d'autres réflexes comme une peur pour l'identité etc. qui ne sont pas racistes pour autant. Aujourd'hui cet amalgame est très répandu.  

Que nous apprennent les mécanismes qui ont été à l'œuvre pendant les années 30 ? L'Etat joue-t-il un rôle déterminant dans l'explosion des tendances racistes et antisémites ?

Tarik Yildiz : Clairement à partir du moment où l'Etat, la parole publique qui est la puissance légitime, la puissance détenant normalement le monopole de la violence légitime, à s'approprier des thèses racistes, institutionnalise le racisme. Des régimes autoritaires ont ainsi pris à leur compte des thèses racistes en visant certaines populations afin d'établir une hiérarchie entre les races. A partir du moment où la puissance publique prend ce genre de position, elle qui représente une forme de légitimité, on passe à un autre stade, celui du racisme d'état institutionnalisé qui a des conséquences considérables.

Ce plan semble omettre la question du racisme anti-blanc. Quid du racisme avec un "s" à la fin ?

Tarik Yildiz : Je serais partisan de ne pas établir de distinction dans les mots en fait. On pourrait parler de racisme en général, même s'il y a bien évidemment des différences. A partir du moment où on commence à citer les différents types de racisme, on ne s'en sort plus. Il faut combattre bien entendu tous les types de racismes. Le racisme anti-blanc est contre-intuitif quand on ne le connait pas, il ne s'inscrit pas dans l'idéologie dominante avec victimes d'un côté et bourreaux de l'autre. Pour beaucoup, une victime ne peut pas être un blanc. On ne se rend pas compte qu'il y a des zones où l'on peut être majoritaire ou minoritaire. Et être descendant d'immigré n'est pas un gage qui nous rendrait forcément vertueux. A tort, le racisme anti-blanc est encore très connoté extrême droite mais l'idée progresse un peu dans la société.

Peur et répression sont-elles efficaces pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme ?

Yildiz Tarik : Globalement d'après moi la répression est nécessaire. Ensuite, la question est celle de la définition du racisme, de ce qui tombe sous le coup de la loi ou pas. En présence de propos racistes, il n'y a pas de discussion possible, la sanction s'impose. Nous ne sommes pas dans une société de liberté totale et pour canaliser certains mauvais penchants de l'être humain que j'expliquais plus haut, il faut un cadre. Mais il n'est pas toujours évident de parler d'injure raciste, parfois la limite n'est pas très claire.

Paul-François Paoli : Sur les questions de la liberté d'expression, de la liberté de la presse et même de la liberté des humeurs, je suis ultra libéral. J'estime qu'un pays libre est un pays où les gens ont le droit d'exprimer ce qu'ils ressentent même si ce qu'ils expriment est stupide. Or la France, depuis les années 75 environ vit avec une sorte d'autocensure. En public les individus disent des choses qui sont l'inverse de ce qu'ils disent en privé. Cela est extrêmement dangereux pour la liberté intellectuelle. Les journalistes s'autocensurent sur le plan sémantique. Le problème du racisme est aussi celui du refoulement ; les gens refoulent et s'expriment ensuite en privé, ce n'est pas plus sain. En ce moment en Guadeloupe l'historien Jean-François Niort explique que le fameux Code noir de Louis XIV est plus complexe que ce qu'on en a dit. Il doit faire face à une polémique et à certains autonomistes et nationalistes guadeloupéens qui le traitent de raciste. Le problème du racisme c'est qu'il s'agit d'une camisole très dangereuse pour le débat, pour le travail des historiens.

"Le racisme, l'antisémitisme, la haine des musulmans, des étrangers, l'homophobie augmentent de manière insupportable dans notre pays", a déploré Manuel Valls. Sur quoi se repose le gouvernement pour laisser entendre que les Français sont de plus en plus racistes ?

Vincent Tournier : Ce sont des affirmations à la fois excessives et vraies. Elles sont excessives parce que les Français ne sont certainement pas devenus racistes ou homophobes. Au contraire, les niveaux de racisme et d’homophobie, ou même de sexisme, n’ont probablement jamais été aussi bas dans la société française contemporaine. On le voit bien dans le cas de l’homosexualité, où les études d’opinion montrent que l’hostilité et la méfiance sont tombées à des seuils très faibles. D’ailleurs, le clivage gauche-droite s’est quasiment estompé sur ce sujet.Cela dit, le Premier ministre n’a pas tort car il existe effectivement une poussée d’intolérance, mais celle-ci est essentiellement circonscrite aux milieux issus de l’immigration. Or, le problème du gouvernement c’est qu’il ne peut pas communiquer là-dessus pour ne pas stigmatiser. Il est donc contraint de parler du racisme en général, ou de l’homophobie en général. C’est au fond le même problème qui s’est posé en 2004 avec les signes religieux à l’école : à l’époque, seul le voile islamique était visé, mais comme il n’était pas possible de faire une loi anti-voile, on a créé un écran de fumée en faisant une loi contre les signes religieux, loi qui a englobé le voile et la kippa, ainsi que les "grandes croix", dont personne ne sait à quoi cela correspond. On retrouve le même glissement aujourd’hui avec le racisme, l’homophobie et le sexisme. Le harcèlement des femmes dans les transports publics vient-il de l’ensemble de la société ou de certains groupes, comme l’a montré la jeune cinéaste belge Sofia Peeters en se filmant secrètement dans les rues d’un quartier de Bruxelles ?

Parler indifféremment du racisme en France, c’est tordre la réalité. Les juifs et les musulmans sont-ils des victimes comparables ? Lorsqu’on regarde les chiffres que vient de publier la Commission nationale des droits de l’homme, les actes anti-musulmans sont quatre à cinq fois moins nombreux que les actes anti-juifs (133 contre 857), alors que les populations varient dans un rapport de un à dix ; de surcroît, contrairement à ce que laisse entendre le tapage actuel autour de l’islamophobie, les actes anti-musulmans ont baissé entre 2013 et 2014, alors que les actes anti-juifs ont plus que doublé. Certes, les préjugés contre les musulmans sont très présents, mais comment s’en étonner, vu ce qui se passe en France et dans le monde ? A la limite, compte tenu de la situation actuelle, on pourrait presque s’attendre à ce que les réactions d’hostilité contre les musulmans soient bien plus fortes.

Il reste donc à savoir si la stratégie de l’évitement suivie par le gouvernement est la plus judicieuse. Peut-être, après tout. On peut quand même penser que, pour résoudre les difficultés, il est préférable de les identifier et de les cerner. Mais il est vrai que la politique a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Tarik Yildiz : Le problème dans ce genre de chose, c'est que le gouvernement fait confiance à des instituts ou des associations plus ou moins sérieuses pour sortir des chiffres. Le gouvernement peut avoir ses propres chiffres mais pas pour tout. Des instituts qui observent, suivant des méthodologies parfois troubles, produisent des chiffres excessifs. Je considère toujours les chiffres avec une certaine prudence. Bien entendu, quand il y a des cas de haine, il faut pénaliser. Mais vérifier les chiffres et leur provenance est indispensable. Il est intéressant de constater à travers ce propos que le premier ministre souhaite citer tout le monde dans son énumération. Ce genre de réaction reflète notre ère. Il faut montrer que l'on n'oublie personne et que l'on perçoit la société "par communautés". Je ne nie pas que le problème est communautariste mais il y a quelque chose d'intégrée dans la vision en s'adressant ainsi aux communautés dans le discours politique. En parallèle il explique régulièrement qu'il n'y a pas de distinction et qu'il s'agit de combats à mener de la même manière. Pourtant, dans le discours politique, un effort est fait pour montrer que l'on parle à tous les cas.

Paul-François Paoli : C'est quelque chose d'absurde. Dans ce plan, il s'agit de mesures de diversion. Je suis persuadé que cela n'intéresse pas les Français. Je ne sais pas à qui il s'adresse. Peut-être à l'aile gauche de son parti… Manuel Valls est un homme politique intelligent, il sait qu'il doit maintenir l'ordre dans ses troupes et ces dernières sont de plus en plus clairsemées. Le discours antiraciste est tout ce qui reste à la gauche comme principe fédérateur. La gauche est en deuil de corpus idéologique, elle n'a plus rien à dire à la société et notamment aux classes populaires. Elle ne peut qu'intervenir sur des questions sociétales, du "mariage pour tous" à l'antiracisme. C'est devenu sa spécialité. Je pense que les mesures de Manuel Valls s'adressent à la gauche de la gauche et non aux Français qui n'ont aucun intérêt pour ce plan.

Le racisme est un ennemi invisible. Les racistes sont très peu nombreux en France. Le raciste est celui qui croit à une supériorité métaphysique d'un individu en fonction de son origine. Voilà le vrai racisme. Plus personne ne croit cela aujourd'hui ! Le racisme a été une idéologie très prégnante à la fin du XIXème et au début du XXème siècle avec des réactions d'allergies ou simplement de refus de vivre avec des gens avec qui on ne souhaite pas vivre. Est-on raciste quand on explique que l'on n'a pas envie d'être harcelé par des petits groupes de jeunes roms dans les transports en commun ? Non ! Et pourtant selon cette idéologie tous ceux qui n'acquièssent pas à la présence de gens dont la présence n'est pas désirée sont racistes. Il y a un abus de cette notion.

Maintenir les Français dans un statut de mineurs qu'il faudrait protéger, plutôt que de les responsabiliser, est-ce efficace ?

Tarik Yildiz : C'est assez français en fait, l'Etat est assez paternaliste depuis longtemps. C'est très ancrée culturellement, cela est antérieure à la Révolution française. Dans d'autres sociétés, l'Etat doit servir le citoyen. En France, on attend beaucoup l'Etat. Des éléments culturels sont évidents, en France des systèmes d'autocontrôles ont sautés. On a supprimé des institutions qui favorisaient l'esprit de corps et la solidarité telle que le service militaire. Il y a une forme d'individualisation de la société qui a évolué depuis les années 70. La pression sociale est beaucoup moins présente aujourd'hui qu'avant pour ces questions-là.

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