"La France contente qu’on la force à se réformer" : la démocratie, ce détail gênant sur la route de la construction d’une Europe allemande…<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances.
Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances.
©Reuters

50 nuances de Schaüble

Jeudi 16 avril, et alors qu’il était l’invité de l’Institut Brookings, le ministre des finances allemand a exprimé une vision pour le moins douteuse de la construction d'une Europe à l'allemande. Pour lui, les Parlements nationaux en constituent des entraves, et les solutions mises en oeuvre pour sortir de la crise étaient justes, "Toutes les études internationales le confirment"...

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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"La France serait contente que quelqu’un force le Parlement. Mais cela est difficile, c’est la démocratie". Et de poursuivre "Aussi longtemps que vous leur donnerez une échappatoire, vous n’obtiendrez pas les décisions difficiles qui doivent être prises." En quelques mots, et avec beaucoup de subtilité, le ministre des finances allemand Wolfgang Schaüble parvînt à résumer sa pensée politique et économique.

Tout d’abord, la flatterie. Non pas à l’égard de la France, mais à l’égard de l’électorat de la droite allemande, dont le cœur balance entre les formations politiques conservatrices que sont la CDU-CSU, partis de gouvernement dont Wolfgang Schäuble est un membre éminent, et le nouveau parti eurosceptique, l’AFD (Alternative für Deutschland) qui brandit régulièrement la complaisance européenne d’Angela Merkel pour prospérer. L’électeur allemand ne peut être que flatté en écoutant les paroles de son ministre, accusant les Français; ces voisins fainéants incapables de mettre en œuvre la moindre réforme. La comparaison avec une population travailleuse et responsable n’est que le miroir de cette déclaration.

Puis, l’habitude. Car Wolfgang Schäuble n’en est pas à son coup d’essai. Ses provocations font désormais partie du folklore européen. Ainsi, lorsque le parti Syriza venait d’arriver au pouvoir, et que le nouveau ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, se rendait en visite officielle à Berlin, le ministre allemand proposa, le cœur sur la main, d’envoyer des équipes fiscales allemandes en Grèce afin de remettre un peu d’ordre dans la collecte de l’impôt. Une sorte de générosité coloniale dont Wolfgang Schäuble a le secret.

Et c’est finalement cette "générosité" qui caractérise le mieux celui qui est devenu l’étendard de l’ordolibéralisme allemand, doctrine devenue au fil des années l’alpha et l’oméga de la politique économique européenne. En effet, dans une tribune publiée en juillet 2013 dans le journal le Monde, et titrée "Berlin ne veut pas d’une "Europe Allemande"", Schäuble écrit :

"idées allemandes", mais les préceptes d'une politique garantissant l'avenir. La politique de réforme et la consolidation favorable à la croissance font l'objet d'un consensus européen et reposent sur des décisions adoptées à l'unanimité par les Etats membres."

"Seules une politique budgétaire solide et des conditions économiques favorables permettent de gagner la confiance des investisseurs, des entreprises et des consommateurs, et donc de parvenir à une croissance durable. Toutes les études internationales le confirment (…)»

Wolfgang Schäuble n’a tout simplement pas l’impression de prêcher une doctrine particulière, il est convaincu d’apporter la vérité universelle. Il ne défend pas une idée, il évangélise. Aucun doute n’est permis. Pour que cette vérité s’abatte sur les peuples européens, pour leur bien, la démocratie n’est donc pas très utile. Son degré de conviction dans cette doctrine austéritaire, et dans son destin personnel dans cette entreprise, et ce, malgré des résultats qui frôlent le grotesque, force l’admiration. Ce qui peut se vérifier encore une fois dans une tribune fraichement publiée par le New York Times ce 15 avril, et dont le ministre est l’auteur :

"L’ensemble des mythes envahissants- que la réponse européenne à la crise a été au mieux inefficace, ou même contreproductive, est tout simplement incorrecte. Il y a de solides preuves que l’Europe est sur la bonne voie dans sa lutte contre les effets, et surtout les causes, de la crise."

Pendant que la zone euro présente encore un taux de chômage de 11.6% alors que les Etats Unis viennent de remettre la main sur le plein emploi, avec un taux de 5.5% ; et que le différentiel de croissance entre les deux continents atteint 14%, le niveau d’aveuglement du ministre ne peut plus susciter autre chose que le sourire. Voici à quoi ressemblent les "solides preuves" de la réussite européenne :

Croissance nominale. Etats Unis. Zone euro. 2006-2014

cliquez pour agrandir

L’Europe a plusieurs années de retard dans sa lutte contre la crise et cela est précisément de la responsabilité de cette doctrine.

Parce que le fameux "Toutes les études internationales le confirment" ne traduit plus rien d’autre qu’une ultime tentative de sauvegarde. En effet, et par exemple, le dernier rassemblement économique de Lindau, en Allemagne ou plusieurs Prix Nobel d’économie ont pu accuser l’Allemagne "d’aggraver la crise", que l’Europe était "un échec lamentable" , que "l’Allemagne fait davantage partie du problème que de la solution", ou encore, d’un récent article de Ben Bernanke, ancien patron de la Réserve fédérale des Etats Unis qui titrait "les excédents allemands sont un problème" ne font qu’attester de l’isolement intellectuel  et académique du ministre, et plus largement de son gouvernement. Une contestation qui est désormais devenue interne à la zone euro, par la voie de Mario Draghi, et qui trahit les principes économiques d’un ministre en colère.

Voilà pourquoi la petite phrase adressée à la France est un bon résumé, car il s’agit, pour Wolfgang Schäuble, de ne rien remettre en cause, et surtout pas lui-même. Il serait même préférable de passer par la force plutôt que de céder sur le fond. Peu importe. Ce que d’ailleurs, selon Wolfgang Schäuble, la France désire secrètement. 

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