Quelles sont les chances d’un i.Leclerc face à Amazon ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Edouard Leclerc a présenté son plan d'investissement dans une plateforme internet.
Edouard Leclerc a présenté son plan d'investissement dans une plateforme internet.
©Reuters

Le lièvre et la tortue

Edouard Leclerc a présenté son plan d'investissement dans une plateforme internet suffisamment ambitieuse selon lui pour concurrencer Amazon sur le territoire français. Ces intentions pourraient cependant ne pas faire le poids face à la réalité du marché.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : Quels sont les points forts de la stratégie d'E.Leclerc qui lui ont permis de s'imposer dans le réseau de supermarchés et qui peuvent le mettre en position favorable face à Amazon ? Sur quels savoir-faire le groupe pourra-t-il miser ?

Frédéric Fréry : Face à Amazon, E.Leclerc ne dispose malheureusement d'aucun avantage concurrentiel notable. En effet, les principales spécificités stratégiques de E.Leclerc sont :

  • Sa structure patrimoniale. Là où Auchan est un groupe familial et Carrefour et Casino des entreprises cotées en Bourse, E.Leclerc (comme Intermarché et Système U) rassemble sous une même marque et une même centrale d'achat des magasins indépendants. Cette structure patrimoniale particulière peut permettre, par exemple en cas de guerre des prix, de descendre temporairement à des niveaux de rentabilité que des actionnaires classiques refuseraient. Le revers de la médaille est un niveau d'intégration stratégique moindre, notamment face à de vastes plans de développement comme celui qui vient d'être annoncé.
  • Son image de prix bas, assénée depuis des décennies et perçue comme telle par les consommateurs. Pour autant, ces niveaux de prix résultent de méthodes de négociation particulièrement âpres avec les fournisseurs, qui dénoncent fréquemment les pratiques des acheteurs de la grande distribution, et celles de E.Leclerc en particulier. Soulignons au passage que la baisse des prix dans la grande distribution n'est certainement pas une source de pouvoir d'achat supplémentaire pour les consommateurs, car ceux-ci sont aussi salariés : on ne fait que leur redonner d'une main ce qu'on leur prend de l'autre, E.Leclerc continuant à prélever sa marge au passage.

  • Le point qui pourrait tout de même permettre à E.Leclerc de jouer un rôle significatif dans le commerce en ligne - tout du moins en France - est sa position de leader sur les drives, avec plus de 500 implantations sur un total national d'environ 2300 toutes enseignes confondues (soit désormais plus, au passage, que le nombre d'hypermarchés en France). Cela reste cependant très éloigné de la formidable machine logistique qu'est Amazon, qui lui aussi multiplie aux États-Unis les points de retrait de produits alimentaires achetés en ligne, et qui pourrait donc tout à fait ouvrir un jour des drives en Europe. Qui plus est, le drive ne représente que la moitié de la chaîne logistique déployée par Amazon, qui s'étend jusqu'au domicile de ses 250 millions de clients.

Investir 1 milliard d'euro sur le e-commerce dans les 3 ans, est-ce à la hauteur de l'objectif ?

Non, surtout que le milliard d'euros en question ne concerne pas qu'Internet, mais aussi la logistique, ainsi que la rénovation et l'agrandissement des magasins E.Leclerc existants. De plus, un milliard sur trois ans, cela correspond à un budget d'environ 330 millions par an, sans commune mesure avec les investissements réalisés par Amazon, qui vient par exemple d'ouvrir six nouveaux entrepôts géants, d'investir au moins deux milliards de dollars dans la musique et la vidéo (avec notamment le rachat de Twitch, un diffuseur de contenus consacrés aux jeux vidéo, pour 970 millions), et de consacrer un milliard à son expansion en Inde. Au total, les investissements d'Amazon sont 10 fois supérieurs à ceux de E.Leclerc.

Quelles sont les limites de la stratégie de E.Leclerc ?

Face à Amazon, E.Leclerc présente deux faiblesses principales :

  • Sa présence sur Internet est encore embryonnaire, avec seulement 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2014, à comparer avec les 74 milliards de dollars réalisés par Amazon en 2014, en croissance de 20 %. Au total, Amazon est donc à peu près deux fois plus gros que E.Leclerc, mais surtout trente fois plus gros sur Internet.
  • Son expansion géographique est très limitée, puisque 83 % de ses magasins sont situés en France (et les autres le sont tous en Europe), là où Amazon réalise 40 % de son activité hors des États-Unis, sur quatre continents.

Est-il encore possible de rattraper Amazon ?

La croissance d'Amazon commence à ralentir, même si elle reste 15 fois supérieure à celle de E.Leclerc, et son obsession de réinvestissement systématique de ses marges, au détriment du versement de dividendes à ses actionnaires, commence à lasser Wall Street. Cependant, même avec ses nouvelles ambitions, on imagine mal comment E.Leclerc pourrait sérieusement concurrencer Amazon, même en France. Soulignons d'ailleurs que chez nous, le véritable concurrent d'Amazon n'est pas E.Leclerc, mais Casino, qui au travers de sa filiale CDiscount réalise un chiffre d'affaires local à peu près équivalent à celui de l'Américain. Au niveau mondial, les deux principaux concurrents d'Amazon sont Walmart, le premier distributeur mondial avec une taille 10 fois supérieure à celle de E.Leclerc, et surtout le site chinois de e-commerce Alibaba, récemment introduit en Bourse à Wall Street avec grand succès. Du point de vue de ces géants globaux, E.Leclerc passe encore pour ce qu'il était à ses débuts, un petit commerçant breton.

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