La méthode Fillon : ISF, 35h, quotas d'immigration etc... exploser les tabous français, quel potentiel électoral ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
François Fillon n'hésite pas à donner un coup de pied dans la fourmilière.
François Fillon n'hésite pas à donner un coup de pied dans la fourmilière.
©

Dr François, Mister Bazooka

Dans une interview accordée au Point dans lequel il exprime sa pensée politique et ses positions, François Fillon n'hésite pas à donner un coup de pied dans la fourmilière.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »
  1. Atlantico : Dans une interview accordée au Point dans laquelle il exprime sa pensée politique et ses positions, François Fillon n'hésite pas à donner un coup de pied dans la fourmilière. L'ancien Premier ministre mise sur le fait que les Français sont de nature à accepter une séquence politique difficile à condition qu'ils adhèrent à une vision. Alors que plusieurs sondages montrent que les Français sont effectivement et majoritairement favorables au changement, conscients de leurs défaillances au niveau économique et social par exemple, ils sont aussi demandeurs de protection. Qu'apprend-on sur cette question quand on croise ce que disent les sondages des attentes des Français en matière de sécurité, vis-à-vis des entreprises ?

Bruno Cautrès : Cette longue et dense interview de François Fillon est marquée par une forte volonté d’apparaître, à droite, comme celui qui ose dire les choses et qui veut aller au bout de ses idées, sans tabous. Dans le contexte de défiance vis-à-vis des hommes politiques qui caractérise aujourd’hui les Français, on peut tout d’abord remarquer que François Fillon pose un diagnostic sur les raisons de ce malaise : d’après lui, pour que les Français adhèrent à son programme de réformes il est indispensable de leur avoir présenté celui-ci clairement et sans détours avant la présidentielle de 2017. Cette prise de position a la mérite de la clarté et le moins que l’on puisse dire c’est que, sur le contenu, François Fillon n’avance pas masqué. Au fond, il reste fidèle au créneau qu’il souhaite occuper depuis un bon moment, le créneau de celui qui ose dire les choses de manière carrée, un peu comme lorsqu’il avait déclaré, étant Premier ministre, "je suis la tête d’un Etat en faillite".

Sur le contenu, François Fillon met en avant plusieurs des points qui sont des marqueurs importants pour l’électorat de la droite : la fin des 35 heures, davantage de liberté d’entreprendre, la retraite à 65 ans, l’alignement des retraites des fonctionnaires sur celles du privé, le non-replacement de nombreux fonctionnaires, le dégonflement de l’Etat et sa simplification drastique. Là encore on peut remarquer la franchise du propos et une stratégie de communication consistant à incarner une forme de "parler vrai" à son électorat. Cette stratégie est basée sur l’idée que les Français sont prêts, voire demandeurs, non seulement de réformes et de changement, mais de changement radical. Il est vrai que les enquêtes d’opinion montrent que les mots comme "liberté" ou "responsabilité" font l’objet d’une appréciation positive assez large ; on sait par ailleurs que les mots de "profit" ou de "libéralisme" ont également fait l’objet d’évolutions dans leur perception plus positive. Mais une nuance très importante doit être apportée : derrière ces mots, assez généraux, toute une série de conflits d’interprétation existent dans la société française sur leur signification en termes de politiques publiques ; comme vous le remarquez, les Français sont tout autant demandeurs de protection et notamment de protection sociale. Si l’interview de François Fillon a la mérite de poser des choses clairement et sans détours, elle ne dit pas un mot par exemple de questions qui préoccupent également les Français : la justice sociale, la répartition équitable des efforts. Ces mots sont des marqueurs de gauche, mais ils évoquent également des choses importantes pour de nombreux français. L’interview de François Fillon est sur la question de la combinaison entre "liberté" et "égalité" assez discrète.

  1. Pour autant, si les Français demandent également du changement, ils demandent aussi de la protection (voir ici). Qu'entendent-ils par ce terme ?  

  2. Remarquons tout d’abord que lorsqu’un homme politique déclare que les Français veulent du "changement" ou de la "réforme", il existe toujours une ambiguïté sur les mots : lorsque Nicolas Sarkozy ou François Hollande ont été élus, ils pensaient tous les deux avoir un mandat de l’électorat pour "changer" et "réformer". Le problème c’est que là encore ces mots généraux ne font pas l’objet d’un consensus dans l’électorat. Par exemple, les demandes de "changement" dans l’électorat concernent aussi bien le fait de baisser les impôts que de faire mieux fonctionner les services publics ou encore de taxer davantage "les riches". La demande de protection est forte en France et notamment dans le domaine de la protection contre les accidents de la vie, la perte de son emploi, l’assurance maladie et la sécurité sociale. Mais elle concerne également la protection vis-à-vis du monde qui change : le mot "mondialisation" ne fait pas recette en France, les craintes qu’avec davantage d’intégration européenne on perd notre "modèle social" sont également fortes en France.

  3. On voit donc que le tableau se complexifie pour les propositions de François Fillon, dès que l’on rentre dans la boîte noire et que l’on dépasse les mots.

  4. Toujours dans l'interview, François Fillon refuse l'appréciation d'Alain Juppé : "Alain considère que la société française est très fragile, qu'il faut prendre le temps du changement". Mais si les Français sont frileux face au changement, n'est-ce pas surtout parce qu'ils ne veulent pas signer de chèque en blanc ? Ils seraient prêts pour le changement à condition qu'il s'accompagne d'une vision claire... En quoi alors l'ambition de François Fillon de " faire de la France la première puissance européenne en dix ans" est-elle judicieuse ?

C’est sur ce point que j’ai trouvé l’interview de François Fillon la plus novatrice. Le passage où François Fillon énumère les atouts de la France pour mieux s’étonner de ses difficultés est sans doute celui qui nous livre le mieux la stratégie et le positionnement que veut incarner François Fillon. D’une certaine manière François Fillon a bien compris que les Français ont du mal à voir le cap que leurs dirigeants veulent atteindre. La crise économique, l’interdépendance de nos économies, la vitesse des changements liés à la mondialisation ont pas mal brouillé les repères. L’horizon à 10 ans avec un cap clairement tracé est une posture intéressante et de nombreux électeurs demandent effectivement que le pouvoir dise où l’on va, pourquoi et comment. Mais là encore, dès que l’on dépasse les mots, les ambiguïtés et controverses d’interprétation reviennent : car à travers son interview on a le sentiment que c’est beaucoup la faute de l’Etat si ça ne marche pas en France. Cette idée est fortement ancrée dans une bonne partie de l’électorat de la droite, et aussi parmi des franges au centre. Elle est bien sûr fortement rejetée à gauche. Elle est donc tout sauf consensuelle. On remarquera que la volonté de "faire de la France la première puissance en Europe" est un peu un leit-motiv de la politique française qui réitère en permanence la vocation de leader européen de la France.


Ce type de discours pourrait-il toucher au-delà de sa formation politique ?

Ce discours peut séduire des électeurs du centre-droit, en dehors de l’UMP. Mais je ne pense pas qu’il séduira beaucoup en dehors du cœur de l’électorat de droite. François Fillon a fait preuve dans son interview d’une incontestable volonté d’afficher  clairement sa vérité et de "mettre les pieds dans le plat". Néanmoins, les mots utilisés et les symboles mis en avant (fin de l’ISF, dégonflement de l’Etat, propositions qui ciblent beaucoup les fonctionnaires) sont particulièrement clivants. Si je trouve l’interview d’une grande honnêteté intellectuelle (car déroulant avec franchise son jeu de cartes),  je pense aussi qu’en termes stratégiques elle lie les mains de François Fillon beaucoup trop tôt et beaucoup trop fortement avant 2016/2017. Au fond, il n’aura pas de marge de manœuvre pour répondre à des attentes des électeurs qui sont autres ; or nous avons vu que ces attentes sont diversifiées, parfois ambigües et contradictoires.

  1. Alors que Nicolas Sarkozy a une longueur d'avance sur l'appareil politique et que François Fillon détient l'avantage sur les propositions, que reste-t-il dans le contexte que nous venons de décrire à un Alain Juppé qui mise sur son compétent et prudent ?

Alain Juppé dispose tout d’abord d’un meilleur capital d’image que François Fillon. Il n’a pas été directement impliqué dans la "guerre des chefs" à l’UMP après 2012, il dispose d’une solide image de rassembleur et d’homme d’expérience. Le programme déroulé par François Fillon ouvre même un boulevard à Alain Juppé pour se présenter comme celui qui, fort de son expérience 1995-1997, a compris que l’on ne peut réformer la France en quelques mois et sur le mode du tremblement de terre ou de la "thérapie de choc". Par ailleurs, un problème de fond concerne la candidature de François Fillon : comment François Fillon va-t-il expliquer aux Français qu’il a été le Premier ministre de Nicolas Sarkozy durant 5 ans mais qu’il était en désaccord avec lui ? Il y a là une contradiction presque insoluble. Au contraire, Alain Juppé pourra opposer à cela son image d’homme totalement loyal à Jacques Chirac, ce qui au fond a beaucoup contribuer à crédibiliser l’image d’un Alain Juppé homme d’expérience et de sagesse.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !