Sale temps pour la justice sociale : un premier bilan de 3 ans de politique fiscale du quinquennat Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
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Sale temps pour la justice sociale.
Sale temps pour la justice sociale.
©Reuters

Exil de l'intérieur

Peu profitables aux plus défavorisés, poussés au marché noir, et redoutables pour les classes moyennes, victimes d'un effet de seuil sur la nouvelle tranche d'imposition, les réformes fiscales n'ont pas su non plus générer de nouvelles recettes.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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  • Au quatrième trimestre de 2014, la masse salariale versée par les employeurs de salariés à domicile a diminué de 0,9 % par rapport au troisième trimestre, selon les chiffres publiés mercredi par l'organisme collecteur des cotisations de Sécurité sociale (Acoss)
  • Par la suppression de la déclaration au forfait, le gouvernement n'a non seulement pas généré plus de recettes sociales mais a en plus favorisé le travail non déclaré
  • Depuis cinq ans, et notamment pendant les deux premières années du quinquennat de François Hollande, les réformes fiscales ont pesé sur les plus pauvres plutôt que de les aider tout en empêchant les plus riches de continuer à faire prospérer l'économie française
  • La faute à des mesures contraignantes peu propices à la croissance et une nouvelle tranche à 14% aux effets de seuil redoutables pour les classes moyennes

Atlantico : Le nombre total d'heures de travail à domicile déclarées a baissé de 3,6 % au quatrième trimestre de 2014 par rapport à la même période de 2013, et le nombre d'employeurs a diminué de 1,4 %. Quelles ont été les conséquences de la suppression de la déclaration au forfait ?

Jean-Philippe Delsol : Il y a une sorte d'exil intérieur. Les Français se replient car les hausses d'impôts et des cotisations sociales réduisent leur capacité contributive et leur rémunération. Ils ont peur de l'avenir car on ne leur promet plus rien, il n'y a plus d'espoir et la seule chose qu'on leur annonce c'est une hausse des charges sociales, fiscales et autres. On observe donc une réduction des dépenses en ce qui concerne les aides à domicile mais aussi et surtout une redirection vers le travail au noir, pour payer autant qu'avant en conservant le même nombre d'heures, par exemple.

Cela a pour conséquence que les foyers qui n'ont plus les moyens de s'offrir ces aides à domicile vont devoir le faire par eux-mêmes au détriment de leur activité professionnelle. Cela fragilise les mères célibataires, notamment. Il y a aussi le développement d'un système de troc qui se développe de manière organisée. On échange de plus en plus de services avec parfois de la monnaie virtuelle. L'administration fiscale commence à s'en inquiéter sérieusement, preuve en est son offensive généralisée contre les entreprises du numérique. La matière imposable commence à se réduire car les gens font désormais leurs affaires en dehors du circuit traditionnel.

Toutes ces mesures qui ont été prises depuis cinq ans, et donc pas seulement sous François Hollande, fragilisent paradoxalement d'abord les pauvres. D'un point de vue économique, ce qui s'est passé depuis cinq ans a au moins eu le mérite de démontrer la réalité de la courbe de Laffer, qui montre qu'au-delà d'un certain niveau, variable selon les époques et les pays, quand les taux des charges fiscales et sociales augmentent, leur produit diminue. C'est ce qui se passe en France : ces deux dernières années, le produit des impôts a diminué alors que les taux ont augmenté. Les gens ont trouvé d'autres solutions : l'exil intérieur, mais aussi extérieur. Au nom d'un combat contre les inégalités, contre les riches, l'Etat a voulu raboter les têtes qui dépassaient. Cela n'a fait qu'appauvrir les pauvres.

Philippe Crevel : Il y a un cumul de coups portés à l'emploi à domicile depuis 2011. Il y a d'abord eu une augmentation du taux de cotisation, puis la suppression du forfait, ensuite le plafonnement des niches à 10 000 euros et enfin le statut de l'auto-entrepreneur durci par un relèvement des taux de cotisation. L'accumulation de ces mesures a eu pour conséquences une réduction du travail à domicile et surtout une augmentation du travail au noir. Le travail non déclaré signifie l'absence de protection sociale, de droits à la retraite ni de droits à l'assurance maladie et à l'assurance chômage. C'est donc une précarisation supplémentaire de populations déjà fragiles car ce sont bien souvent des Français aux revenus modestes qui pratiquent de professions d'aide à domicile. Les femmes, majoritaires dans les travaux de ménage, sont les premières touchées. Il y a aussi pour les employeurs des risques fiscaux, sociaux et pénaux, en cas d'accident au travail. Il n'y a finalement à la fois pas d'augmentation recettes sociales et en plus on encourage le travail au noir. Il y a un manque à gagner fiscal et social. C'est un mauvais signe donné au travail.

Les mesures fiscales de ces dernières années ont essayé de colmater les déficits publics et cela a fortement réduit la croissance. Cela a par définition des effets sociaux en cascade. Plus on va taxer des personnes qui peuvent employer d'autres personnes, cela a des effets pervers. Il faudrait considérer les ménages comme des entités économiques indépendantes et ainsi si quelqu'un salarie une personne, cette personne devrait pouvoir déduire de ses revenus l'ensemble des charges retenues pour l'emploi d'une personne, comme une entreprise. Cela serait beaucoup plus logique que ce système complexe de réduction d'impôt plafonné. Plus personne ne comprend aujourd'hui les règles de calcul des cotisations et plus globalement pour l'emploi à domicile. Il va donc y avoir un refus des règles par le marché noir ou un renoncement à embaucher quelqu'un.

La France est championne du monde de la pression fiscale avec une charge fiscale qui a bondi d'un point de PIB par an depuis 2011 et de 3,7 points depuis 2009. L'argument de la redistribution est souvent avancé pour justifier la pression fiscale. La hausse de la fiscalité a-t-elle permis une baisse des inégalités ?

Jean –Philippe Delsol : L'augmentation de la pression fiscale a d'abord contribué à une réduction de la croissance, qui souffrait déjà de la crise mondiale, alors qu'en libérant les comportements des entrepreneurs comme des consommateurs en réduisant ces charges l'Etat aurait pu relancer l'économie. La difficulté majeure de la politique actuelle est que l'Etat pense que tout doit passer par lui. C'est l'Etat à tout faire, qui imagine que les acteurs ne peuvent pas décider par eux-mêmes. C'est le cas de l'investissement : il en manque selon le gouvernement, qui met en place le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, qui prend finalement aux entreprises tout ce qu'il lui redistribue, avec des coûts énormes et des incompréhensions avec des entreprises qui parfois, suspicieuses, abandonnent. Le gouvernement imagine alors une deuxième solution avec une hausse des amortissements de 40% sur des investissements industriels très ciblés financée par l'argent doté pour le CICE qui n'a pas été utilisé. Ces 40 milliards auraient pu être utilisés pour réduire en trois ans jusqu'à le supprimer l'ISF, qui représente 4 milliards par an. Supprimer l'ISF aurait été beaucoup plus libérateur que de créer des usines à gaz fiscales que personne ne comprend et qui coûtent très cher.

Depuis trois ans, il y a une aggravation des inégalités. Il y a plus de personnes sous le seuil de pauvreté et plus de chômage. D'ailleurs, on s'aperçoit, quand on prend en compte les catégories B et C de chômeurs, non comptées dans les chiffres habituellement donnés, qu'il y a environ 5,5 millions de demandeurs d'emploi. Et encore, on oublie ceux qui ne sont pas inscrits et ceux qui ont été radiés. Nous sommes dans un déni qui représente 20% de demandeurs d'emploi. Et le phénomène s'aggrave. Les Français ont élus des hommes politiques avec un double slogan de lutte contre la pauvreté et la rédaction des inégalités. Aucun de ces objectifs n'a été respecté. Au contraire, la pauvreté et les inégalités ont augmenté.

Les populations qui en font le plus les frais sont les classes moyennes. Les cotisations aux allocations familiales sont en réduction et elles vont même être supprimées cette année sur les salaires égaux ou légèrement supérieurs au SMIC, ce qui va permettre aux employeurs de donner aux salariés les moins bien payés une augmentation. D'ailleurs le SMIC a augmenté plus que le coût de la vie. Cette année, il y a 3% de plus de Français qui ne paieront pas d'impôts sur le revenu. Les plus pauvres ne vont donc pas souffrir sur leurs revenus mais ils vont le payer par le chômage car les entreprises ont moins de marge, du fait de l'augmentation globale des charges et des impôts, et elles vont réduire leurs effectifs, à commencer par les métiers manuels, qui peuvent être remplacés par des machines. Au niveau des plus riches, certains vont souffrir aussi. Les frontaliers, par exemple, doivent désormais être affiliés à l'Assurance Maladie alors que jusqu'à présents ils pouvaient choisir leur mutuelle librement. Globalement, pour un ménage de cadres moyens, les cotisations doublent de 500 à 1000 euros environ par mois. Ces catégories de population vont en souffrir et que la concurrence était favorable aux assurés sociaux. Marisol Touraine ne voulait pas que cette comparaison perdure car elle montrait le coût exorbitant de la sécurité sociale par rapport à un service de moins en moins important. Par exemple, la France oblige les entreprises d'assurer leurs salariés à une assurance complémentaire dont ces derniers percevront des bénéfices qui sont en fait ceux que la sécurité sociale ne couvre plus.

Philippe Crevel : On ne peut pas dire qu'il y ait eu une baisse des inégalités : le taux de chômage et le taux de pauvreté ont augmenté. L'augmentation des dépenses publiques et des prélèvements n'ont pas réussi à endiguer ces phénomènes. L'écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres ne se dégrade pas mais ne s'améliore pas non plus. Les impôts n'ont donc pas réussi à corriger les inégalités.

La campagne 2015 de déclaration d'impôts sur le revenu a commencé. Par rapport à l'année dernière, la première tranche a disparu dans l'objectif de soulager les revenus les plus faibles. Quels sont les risques d'effet de seuil ?

Jean –Philippe Delsol : A la fin du mandat du Nicolas Sarkozy, il y avait à peu près 51% de foyers fiscaux exonérés de l'impôt sur le revenu. La politique des deux premières années du quinquennat de François Hollande a abaissé le nombre de foyers fiscaux exonérés à 49% environ. Finalement, les mesures mises en œuvre pour 2015 font remonter le nombre de foyers exonérés à 52%. Donc, globalement, il y a eu une courbe de Gauss inversée mais au niveau de l'impôt sur le revenu stricto sensu les exonérations ont plutôt été en faveur des classes les plus favorisées. En réalité, les dépenses publiques ont augmenté et il faut que quelqu'un paye. Quand on exonère les catégories les plus modestes, il faut faire payer plus les autres.

Philippe Crevel : Il pourrait y avoir des effets pervers avec une augmentation de la fiscalité sur les classes moyennes modestes, qui pourraient être impactées par ce seuil à 14% qui s'applique maintenant à partir de 9000 euros de revenus et non plus comme auparavant au-delà de 11000 euros. Il y a donc un risque d'augmentation des prélèvements sur certains ménages, qui avaient autrefois une tranche à 5,5% jusqu'à 11000 euros de revenus.

La réforme qui rentre en vigueur cette année exonère environ 3 millions de personnes et à peu près 6 millions en bénéficieront logiquement.  On peut estimer que ceux qui se situent aux marges des bénéficiaires pourront être impactés. Avec un revenu aux alentours de 40000 euros de revenus annuels, un couple avec deux enfants serait par exemple touché par cet effet de seuil.

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