S300 à Téhéran : à quoi jouent vraiment les Russes en offrant à l’Iran un moyen de protéger ses installations nucléaires des bombardements ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Russie est revenue lundi 13 avril sur un décret interdisant la vente des missiles aériens S-300 à l’Iran.
La Russie est revenue lundi 13 avril sur un décret interdisant la vente des missiles aériens S-300 à l’Iran.
©Reuters

Guerre des missiles

La Russie est revenue lundi 13 avril sur un décret interdisant la vente des missiles aériens S-300 à l’Iran. En signant l’annulation de cette interdiction, Vladimir Poutine s’engage dans le renforcement des relations entre la Russie et l’Asie centrale, contrant la fragile reprise du dialogue américano-iranien.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico: La Russie avait auparavant proposé puis annulé la vente des missiles S-300. A quoi ces missiles étaient-ils destinés, et pourquoi aujourd’hui la Russie reprend-elle ce contrat qu’elle avait enterré?

Florent Parmentier : La vente de ces missiles aura connu plusieurs temps. En effet, la livraison de cinq batteries de missiles anti-aériens S-300 avait déjà fait l’objet d’un contrat entre les deux états en 2007, pour environ 800 millions de dollars. Pourtant, celui-ci avait été suspendu en septembre 2010 par Dimitri Medvedev, ce qui n’était pas sans conséquence sur les relations russo-iraniennes.  

Il faut observer que ce n’est qu’en janvier 2015 que les deux parties ont relancé leurs discussions à ce sujet, à un moment où l’Iran semble marquer son retour sur la scène internationale et sortir de son isolement. La question pour l’Iran est bien celle du rythme de la sortie des sanctions.

Quel est leur intérêt stratégique dans l’armement de l’Iran ? Sont-ils un outil de défense en cas d’attaque ou de protection de leur site, et notamment leur site de production nucléaire ?

Florent Parmentier : Les missiles S-300 appartiennent à la catégorie des systèmes de missiles sol-air à moyenne et longue portée, et se destinent à équiper l’armée en systèmes mobiles susceptibles de repousser des raids aériens massifs. Cet armement est donc semble-t-il plutôt de nature défensive, en lien avec la question de sa production nucléaire.

Il est toutefois vrai que cette vente a suscité des critiques de la part d’Israël, logiquement soucieux de sa sécurité nationale quand on sait que la posture anti-israélienne de l’Iran remplit une fonction tribunitienne, c’est-à-dire qu’elle permet à l’Iran d’accroître son prestige dans le monde arabo-musulman.

La Russie, en s’imposant dans un dialogue avec l’Iran au moment même où les Etats-Unis et l’ONU entendent le réintégrer dans le jeu international montre-t-elle une simple volonté de présence sur la scène internationale de la Russie au même titre que les Etats-Unis, ou s’inscrit-elle dans une stratégie bien plus construite autour d’une Alliance avec les pays du Moyen-Orient ?

Florent Parmentier : Il est certain que la Russie cherche à conserver une relation privilégiée avec l’Iran, notamment depuis la révolution islamique de 1979. Le souverain iranien Mohammad Reza Shah Pahlavi avait défini un cap clairement pro-occidental pour son pays, notamment après le débarquement du Premier Ministre Mossadegh en 1953. Si l’Union soviétique pouvait compter sur un puissant parti frère, le Toudeh, ce n’est donc qu’avec le changement de régime que s’effectue le rapprochement avec Moscou, sous l’URSS puis sous la Russie.

L’Iran n’a alors guère le choix : le pays est isolé sur le plan diplomatique, confronté à la puissance américaine et exsangue du fait du conflit avec l’Irak avait besoin d’une alliance internationale, d’où le paradoxal rapprochement entre le pays de l’athéisme scientifique et une théocratie. Au cours des années 1990, la Russie et l’Iran se trouvent des affinités en Asie Centrale et dans le Caucase, les deux pays prenant par exemple une position plus favorable à l’Arménie qu’à l’Azerbaïdjan.

La politique actuelle consiste donc à renforcer les liens existants avec l’Iran, mais également à soutenir le régime syrien, et à être présent dans des régions qu’elle avait un temps laissées de côté comme le Yémen.

L’Iran a-t-il les moyens de traiter à la fois avec la Russie et l’ONU ou se doit-il de prendre position, et tourner le dos à l’un ou à l’autre ?

Cyrille Bret : la grande force de la diplomatie iranienne est de refuser, depuis 1979, de se laisser enfermer dans un camp contre un autre, de se voir contraindre à prendre parti dans des alternatives simples et de s’embourber dans des alliances unilatérales. La République islamique d’Iran a ainsi refusé de choisir entre son inclusion dans les Etats parties au traité de non prolifération et le développement de son programme nucléaire. L’Iran a maintenu, malgré toutes les vicissitudes, un pied dans le système de contrôle multilatéral du TNP et l’agence de l’ONU et un pied dans le camp des puissances nucléaires hors traité comme l’Inde, le Pakistan et Israël.

Il en va de même envers la Russie : l’Iran s’est constamment appuyé sur l’alliance de revers russe face aux sanctions américaines, sur les technologies russes face aux suspicions occidentales et sur le soutien de la Russie dans l’opposition à l’Arabie saoudite et à Israël. Mais son rapport à la Russie est instrumental et pragmatique : si, aujourd’hui, elle a besoin de vecteurs – les missiles – en provenance de Russie, c’est pour envoyer à ses désormais partenaires et bientôt alliés américains, un message. L’Iran ne se laissera pas enfermer dans un apaisement, puis une normalisation et enfin un partenariat avec les Etats-Unis. La République islamique d’Iran, vis-à-vis de son partenaire historique, la Russie, comme envers son futur partenaire pour les décennies à venir, les Etats-Unis, entend conserver les marges d’action nécessaires pour développer une stratégie d’influence, un instrument militaire et des intérêts nationaux propres et autonomes.

Ainsi, l’Iran trouvera les moyens de traiter et avec l’AIEA et avec la Russie. Avec la première elle agitera le spectre d’une prolifération. Avec la seconde elle usera de la crainte de l’isolement russe dans la région. A l’AIEA, elle fera miroiter la pérennité du système du TNP. A la Russie, elle offrira comme perspective un remède à son isolement diplomatique.

Jusqu’où Vladimir Poutine est-il prêt à aller dans sa stratégie avec l’Iran ? 

Cyrille Bret : l’approche russe de l’Iran est elle aussi pragmatique. L’action extérieure de la Russie au Moyen-Orient et tout particulièrement en Iran est tout à la fois historique (depuis le Grand jeu contre l’empire britannique), résolue (les ressources consacrées à la région sont importantes) et sans illusion (l’Iran n’est perçu ni comme un satellite, ni comme un allié inconditionnel, ni comme un soutien stable).

Le président russe cherche, par sa stratégique iranienne, à poursuivre des buts essentiellement négatifs : limiter la perspective d’une alliance avec les Etats-Unis à ses porte, sortir de l’isolement diplomatique et militaire issu de la crise ukrainienne, préserver une influence dans la région largement réduite avec l’engagement américain en Afghanistan en 2001 et en Irak. La tactique russe en Iran a des buts limités même si elle a une portée historique. La Russie ira donc en Iran aussi loin qu’il sera nécessaire pour entraver les stratégies occidentales.

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