Non, nous ne sommes pas condamnés à une croissance faible à cause de la baisse tendancielle de la productivité<!-- --> | Atlantico.fr
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Une usine de production de bérêts français.
Une usine de production de bérêts français.
©Reuters

L’économie happée par un trou noir

Face à la peur montante de la stagnation séculaire, notamment soutenue par les derniers rapports du FMI, la faiblesse de l'investissement, de l'innovation et des gains de productivité ne sont pourtant pas une fatalité.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Les thèses déclinistes ont le vent en poupe et distillent progressivement leurs effets. La France, parmi d’autres, serait en proie à une baisse structurelle de sa productivité, notamment en raison de la baisse du niveau d’investissement. Ce qui condamnerait, à terme,  notre économie à la stagnation. En effet, et comme l’indiquait le Prix Nobel Paul Krugman en 1994 "La productivité n’est pas tout, mais à long terme, c’est presque tout. La capacité d’un pays à améliorer son niveau de vie dépend presque entièrement de sa capacité à élever sa production par travailleur". C’est-à-dire sa productivité.

Une baisse structurelle amorcée depuis les années 70

Et en effet, la baisse en tendance de la productivité horaire depuis les années 70 semble évidente :

PIB par heure travaillée. En %. Annuel. Source. FRED

Si le mouvement du déclin est en place, il reste utile de considérer deux périodes qui coexistent. Entre une France d’après-guerre, dominée par son industrialisation et sa reconstruction et une France mature, post 30 glorieuses. Car entre la fin des années 70 et la crise de 2008, une relative stabilité semble se dessiner autour d’un axe de 2% de croissance de la productivité. Mais cette stabilité a été anéantie par la crise de 2008.

Une baisse amortie depuis 30 ans

Pourtant, et malgré la réalité de la faiblesse des gains de productivité au cours de ces dernières années, le pessimisme ambiant semble tout à fait excessif.

Dans un premier temps, il convient de rappeler que l’investissement dans "l’appareil productif" n’est pas le seul facteur permettant des gains de productivité. L’organisation et le niveau de qualification des salariés sont notamment des facteurs à prendre en compte. Dans un second temps, il est nécessaire de vérifier la validité de l’idée préconçue d’une baisse "structurelle" de la productivité au cours des dernières décennies. Car ici, le constat est donc moins évident qu’il n’y paraît :

PIB par heure travaillée 1983-2013. Indice base 1983. Source FRED

Entre 1983 et 2006, les gains de productivité connaissent en réalité une croissance relativement stable, soit 2.08% annuels. Au cours des années 2000, certaines années sont même très supérieures à cette moyenne : 3.54% en 2000, 2.99% en 2002, ou 2.9% en 2006. L’hypothèse d’une baisse structurelle semble être fragilisée par ces chiffres. Le pic technologique de la fin des années 90, et du début des années 2000 le démontre. La fatalité n’est pas de mise.

Par contre, le choc très lourd de l’année 2008 a fait totalement dévié la courbe des gains de productivité de sa trajectoire. Au cours des années qui nous séparent de 2007, la moyenne des gains de productivité chute à un niveau moyen proche de 0.5%. C’est-à-dire un quart de leur valeur précédant la crise. La baisse n’a donc pas été progressive, mais subite, et elle correspond parfaitement au moment d’impact de la crise.

Les causes du décrochage de 2008

Et cette baisse de la productivité horaire ne semble pas non plus être la conséquence d’une forte baisse de l’investissement des sociétés non financières en France, en % de PIB. En effet, ce ratio a été plutôt stable au courant de ces années, malgré la légère correction intervenue depuis 2008, faisant passer le ratio de 12.6% à 11.9%. Elle affiche même une belle progression entre 1997 et 2008.

Investissement des sociétés non financières. En % de PIB

Ainsi, la volonté des entreprises d’investir dans l’avenir ne serait pas réellement en cause, car la part allouée à l’investissement n’a pas reculé de façon significative. La cause de la stagnation  ne vient donc pas des entreprises, mais du PIB lui-même. En effet, la stagnation presque totale du PIB depuis 2008 a tout simplement généré une stabilisation des investissements. De 252 milliards en 2008, les entreprises non financières ont investi 251 milliards en 2013. Soit 6 années de stagnation totale.

Et la cause de cette stagnation est évidente. En effet, il suffit de constater, par exemple, le niveau de production industrielle du pays pour le comprendre :

Indice de production industrielle. France. INSEE. Janvier 1990-février 2015.

Pourquoi les entreprises françaises investiraient pour améliorer leurs moyens de production puisque le niveau de production est inférieur de 15% de son niveau pré-crise ? Symptôme d’une trop faible demande. Une situation qui se trouve confirmée par le taux d’utilisation des moyens de production en France :

Taux d’utilisation des moyens de production. France. 1976-2014. En %. (Et moyenne pré-crise 2008 en rouge)

Avant d’investir pour produire "plus et mieux", il faudrait déjà retrouver les conditions existantes avant crise. Ce qui apparaît ici, c’est que les entreprises n’investissent pas plus parce qu’elles n’en ont tout simplement pas besoin. Les moyens de production actuels sont déjà très largement suffisants pour répondre à une demande atone.

Le cas américain

Et cette même question se pose également aux Etats Unis, qui ont vu leurs gains de productivité stagner fortement au cours des dernières années. Ce qui a été largement commenté par de nombreux économistes, dont ceux de la Réserve Fédérale D’Atlanta, et qui déclarent :

"Pensons-nous que cette faiblesse va persister ? Non. Dans nos prévisions à moyen terme, nous, à la Fed d’Atlanta, pensons que les facteurs qui ont bridé la croissance de la productivité du travail (et en particulier la faiblesse des dépenses en investissements) vont se dissiper lorsque la confiance dans l’économie va s’améliorer, et que les entreprises vont augmenter le rythme de leurs dépenses en investissement (…)Nous anticipons que la tendance de croissance de la productivité va s’améliorer pour atteindre un rythme de 2% annuels, à mi-chemin entre le rythme actuel et le rythme que nous avons connu au cours de la période 1995-2004, période de forts gains de productivité. En fait, nous ne sommes pas des pessimistes de la productivité" 

Ainsi, pour que l’investissement et que l’innovation "repartent", il suffirait de voir les anticipations de croissance s’améliorer. Les nuages d’une baisse structurelle et  inévitable de l’investissement, de l’innovation, et de la productivité, se dégagent peu à peu.

De leur côté, et concernant le niveau d’investissement, les économistes de la Réserve fédérale des Etats Unis émettent une autre hypothèse. Les investissements dans les nouvelles technologies seraient en partie sous-estimés en raison de défaillance constatées sur les évaluations de prix. "Nous estimons que les niveaux de dépenses mesurés sur la haute technologie seraient supérieurs de 17% à la fin 2014". Une hypothèse qui vient renforcer l’effet mécanique déjà existant de la baisse des prix de la haute technologie dans l’investissement.

La productivité zéro n’est pas une fatalité.

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