Trop de paroisses, trop de missions... Les prêtres au bord du burn-out <!-- --> | Atlantico.fr
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Certains prêtres doivent aujourd'hui gérer plusieurs dizaines de clochers.
Certains prêtres doivent aujourd'hui gérer plusieurs dizaines de clochers.
©Reuters

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Le Pape, dans une messe à la destination des prêtres, leur a confié son soutien face à la fatigue qui les accable : dans un contexte de crise des vocations et de déchristianisation en France, comment s’organise le quotidien des prêtres.

Christophe Henning

Christophe Henning

Christophe Henning est "Conseiller éditorial culture et religion" à l’hebdomadaire Pèlerin (groupe Bayard). Il anime également des émissions sur RCF, les radios chrétiennes francophones. Auteur d'une quinzaine d'ouvrages, il a présidé jusqu'en janvier 2015 l'Association des écrivains croyants d'expression française.

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Atlantico : Depuis plusieurs années, on assiste à la fusion des paroisses, au déplacement des prêtres dans de nombreux secteurs pour pallier au manque de vocation : quelles sont leurs activités au quotidien et comment vivent-ils cette nouvelle répartition du travail ?

Christophe Henning : Il est vrai que la charge pastorale des prêtres s’est particulièrement alourdie ces dernières années, non seulement en raison d’un nombre insuffisant de prêtres ordonnés (une centaine par an, alors qu’on enregistre environ 800 décès et départs à la retraite chaque année) mais surtout du vieillissement du clergé. Alors qu’ils étaient 25000 en 1990, on compte aujourd’hui environ 13000 prêtres en France, dont plus de la moitié ont plus de 75 ans, qui est normalement l’âge de la retraite. Certains « retraités » gardent quelques activités, mais ils sont déchargés d’une bonne partie de leur mission. Les « moins de 75 ans » sont donc très sollicités, notamment en raison du regroupement des paroisses que vous pointez : il n’est pas rare qu’un prêtre soit désormais responsable de 20, 30 voire 50 clochers ! La tendance risque de s’aggraver : ils ne devraient être qu’un peu plus de 4000 prêtres en activité dans dix ans.

En même temps, tout est lié : d’une part, la pratique dominicale, par exemple, n’est plus aussi assidue. D’autre part, le regroupement des paroisses peut être aussi une occasion de rassemblement : les catholiques – comme tous les Français – sont plus mobiles pour leur travail, leurs loisirs, et rechignent moins à l’idée de faire une dizaine ou une vingtaine de kilomètres pour se rendre à la messe. Par comparaison, en quelques dizaines d’années, on pourrait dire que la pastorale de terrain est passée d’une culture « intensive » - au pied du clocher, au cœur du village -, à une culture extensive, en laissant germer par endroits des initiatives qui animent le territoire de la paroisse aux frontières plus larges. Il faut bien sûr moduler cette analyse selon les diocèses : très clairement, les régions de l’Ouest, du Nord de la France ou les diocèses concordataires de l’Est sont encore animés par un nombre de prêtres significatifs. En revanche, dans le centre, le sud-ouest, il y a des manques cruels de pasteurs, même si des prêtres étrangers venus d’Afrique, de Pologne, d’Inde sont accueillis dans ces diocèses en souffrance.

Enfin, dernier élément important et plutôt réconfortant : si la baisse du nombre de prêtres est une vraie préoccupation pour les évêques et les prêtres, les chrétiens se sentent concernés. Les laïcs prennent des responsabilités, assument des missions que le prêtre ne peut plus prendre ne charge comme rendre visite aux malades, assurer le catéchisme, participer à l’action caritative ou même célébrer les funérailles. Ils le font de mieux en mieux, parce qu’ils sont généralement formés pour ces responsabilités pastorales. Ils sont même, pour beaucoup, officiellement envoyés par leur évêque. 

Tous les prêtres en France sont-ils soumis à la même charge de travail ou certaines paroisses sont-elles plus affectées que d’autres ?

Il y a évidemment une grande disparité de situations… Tout d’abord, le prêtre est sollicité durant toute la journée, mais aussi en soirée s’il veut rencontrer des fidèles qui travaillent, et encore le week-end pour célébrer les mariages et l’eucharistie dominicale. Dans beaucoup de diocèses, il a été établi des règles pour freiner les prêtres, leur demander de ne pas célébrer plus de deux messes par jour, de prendre au moins une journée de repos par semaine… mais la demande peut être forte, et il faut une véritable discipline pour ne pas en faire « trop ». L’autre critère est très concret : un prêtre parisien, même s’il va à l’autre bout de sa paroisse, mettra dix minutes à rentrer dans son presbytère en métro. Son confrère des Hautes Alpes ou du Morvan aura peut-être une heure de petites routes à parcourir dans le noir. Cela n’empêche pas de vivre avec bonheur son sacerdoce mais constitue une fatigue supplémentaire.

Les différences sont aussi liées à des réalités mathématiques : les chiffres sont têtus ! Prenons la situation du diocèse de Langres, qui couvre le département de la Haute-Marne : il compte 190 000 habitants, 500 communes et seulement 13 prêtres de moins de 75 ans, soit un prêtre pour 15000 habitants. La moyenne nationale s’établit davantage aux alentours d’un prêtre actif pour 5500 habitants. Ces disparités qui peuvent paraître choquantes sur le papier sont vécues différemment sur le terrain : la baisse du nombre de prêtres, pour inéluctable qu’elle puisse être, est progressive. Les diocèses démunis ne le sont pas du jour au lendemain, et les communautés chrétiennes ont dû inventer des manières de vivre leur foi en ne voyant qu’épisodiquement monsieur le curé. Paradoxalement, ce sont les diocèses mieux pourvus qui vont sentir durement la raréfaction de prêtres, notamment en raison du départ à la retraite de ceux qui furent ordonnés dans les années 1950, avant l’hémorragie des années 1960 et les débuts de la crise des vocations des années 1970. Enfin, dernier élément : j’évoquais l’engagement des laïcs. Celui-ci est très variable d’un diocèse à l’autre, d’une paroisse à l’autre.

Observe-t-on des cas de burn-out ou des problèmes de santé liés à la surcharge de travail ?

Oui, il y a des cas de prêtres qui flanchent, surchargés. Comment l’analyser ? Les causes sont évidemment multiples. Tout d’abord, l’ordination sacerdotale ne fait pas du prêtre un surhomme ; il peut éprouver, comme tout un chacun, de la fatigue, voire tomber malade. Or, dans certaines paroisses, le prêtre est sans cesse sollicité, animateur de la moindre rencontre, évidemment président de toute célébration. Certains jeunes prêtres sont d’ailleurs tentés par cette attitude de « pleins pouvoirs » qui, au bout d’un certain temps, devient intenable. Mais il est rare que les laïcs s’autorisent à intervenir : jusqu’alors, c’est plutôt la communauté paroissiale qui doit s’adapter à son pasteur plutôt que l’inverse.

D’autre part, le prêtre du XXIe siècle n’est pas « hors-sol » et vit avec les hommes et les femmes de son temps : le burn out, la dépression, le stress, affectent nombre de nos contemporains, alors que nos grands-parents ne connaissaient pas ce genre de problèmes. Et puis il y a une spécificité, malgré tout, à la vie du prêtre : par sa vocation, il a choisi de vivre célibataire. Son quotidien s’organise dès lors soit dans la solitude de son presbytère, soit dans une vie communautaire, avec d’autres prêtres qu’il n’a pas forcément choisi, et la collectivité est aussi un défi. L’un et l’autre mode de vie peut très bien convenir à la personnalité du prêtre, devenir le lieu d’un épanouissement spirituel et humain, mais il se peut aussi que le prêtre ressente la solitude comme une épreuve et souffre de l’isolement. Il est de l’ordre de l’évidence de souhaiter que le prêtre puisse veiller à son équilibre, qu’il se ménage de vraies vacances, qu’il puisse se livrer à quelque loisir, le sport, le cinéma… Mais il y faut certainement plus de volonté que pour enchaîner les activités pastorales qui surabondent. Pour beaucoup, leur famille s’impose souvent comme un facteur précieux pour « tenir » dans le sacerdoce.

Mais on ne peut pas aborder cette question sans faire référence à l’enracinement spirituel : or, la foi peut être mise à rude épreuve. Mère Teresa elle-même n’a-t-elle pas connu les affres du doute et de l’acédie. Inquiet de cet engagement pastoral qui ne serait pas accordé à la source spirituelle, ce que soulignait justement le Pape François, dans son exhortation apostolique, Evangelii Gaudium , l’Evangile de la joie publiée en novembre 2013 : « Le problème n’est pas toujours l’excès d’activité, mais ce sont surtout les activités mal vécues, sans les motivations appropriées, sans une spiritualité qui imprègne l’action et la rende désirable. De là découle que les devoirs fatiguent démesurément et parfois nous tombons malades », écrit le Pape François. En fait, ce que souligne l’ancien archevêque de Buenos Aires, dont la réputation était d’être très proche de ses prêtres, c’est qu’il peut y avoir un épuisement devant l’énorme travail qui attend le prêtre. Alors que sa principale mission est d’annoncer l’Evangile avec ses propres talents, et non de devenir l’homme-orchestre d’une mission impossible.

Quelle est l'attitude du clergé face à ces difficultés ? Sont-elles prises au sérieux ?

La réaction des prêtres face à la surcharge de travail est très liée au tempérament de chacun. La plupart savent s’appuyer sur leurs équipes proches composées de laïcs. Dans le presbytère, ils se préservent un espace personnel. Le partage des responsabilités eut aussi s’organiser avec les diacres qui peuvent prendre part à la vie paroissiale. Ces hommes, souvent mariés, sont ordonnés et généralement missionnés pour témoigner de l’évangile dans le monde du travail, comme aumônier de prison ou d’hôpital. Mais ils participent à la vie de la communauté et peuvent célébrer mariages et baptêmes, assurer la prédication… Pourvu qu’il le veuille bien – car ce n’est pas toujours bien accepté – le prêtre n’est plus seul pour faire face à ses responsabilités pastorales.

Certes, il ne faut pas négliger des situations de vraie solitude, quand les paroissiens restent dans l’illusion du prêtre des années 1950, ou quand il y a vraiment une vraie désaffection des fidèles. Rien n’est plus déprimant pour un prêtre que de faire 30 kilomètres un dimanche matin pour célébrer la messe devant une assemblée de 20 paroissiens, qui plus est quand ceux-ci restent disséminés dans l’église plutôt que de se réunir auprès du chœur. Mais ne perdons pas de vue qu’il n’y a que l’Eglise pour rassembler chaque dimanche des millions de catholiques : on dénombre encore 8% de Français pratiquants, sans doute plus que de spectateurs des matches de foot du samedi soir !

Cette crise, en tous cas, est prise au sérieux par le clergé : les prêtres ne font pas les malins, ils savent que leur mission est rude, qu’ils doivent se préserver. Sont-ils toujours entendus ? C’est à souhaiter. Là encore, des règles plus ou moins générales, prévoient que les prêtres changent d’affectation tous les six ans : c’est une manière de ne pas les enfermer dans une paroisse : il leur faut accepter aussi de ne pas modeler la communauté paroissiale à leur personne puisqu’ils ne resteront pas… Cette mobilité peut d’ailleurs être parfois source d’angoisse et d’instabilité. Ces mutations sont quand même discutées : le prêtre est écouté par sa hiérarchie, même si celle-ci a de moins en moins de latitude pour gérer ces ensemble paroissiaux. Un évêque me confiait, à l’issue du redécoupage des paroisses qu’il parvenait à un ensemble de cinquante paroisses… mais qu’il n’avait d’ores et déjà que 48 prêtres en capacité de prendre en charge ces nouvelles entités. Gérer ressources humaines quand la dimension spirituelle intervient est extrêmement délicat. Et puis, parce que le burn out existe, parce que la solitude a pu aussi entraîner certains prêtres dans la dépression ou l’alcoolisme, ceux-ci disposent évidemment d’une couverture sociale, sont pris en charge et peuvent être envoyés en séjour de repos, dans les familles, etc. Encore faut-il qu’ils acceptent cette situation qui apparaît souvent à leurs yeux comme un échec de leur mission, et qu’ils puissent demander de l’aide.

Enfin, une dernière chose est essentielle pour l’équilibre de prêtres : c’est l’écoute sérieuse de leurs demandes. Ainsi, certains souhaitent accompagner les Scouts, d’autres animent des groupes de prière, certains maintiennent une activité professionnelle… Il peuvent aussi demander une année sabbatique pour reprendre des études, quand ils ne sont pas envoyés par leur évêque à Rome ou Jérusalem pour parfaire leur formation. Enfin, certains veulent servir pendant trois ou six ans dans un pays de l’hémisphère sud, en Afrique ou en Amérique latine : ces prêtres dits « fidei donum » sont, en quelque sorte, « prêtés » à un autre diocèse plus dépourvu encore. Les prêtres français qui font cette expérience en reviennent ragaillardis par rapport à la situation hexagonale qui n’est peut-être pas aussi dramatique qu’on peut le penser…

Dans de telles conditions, le prêtre peut-il encore être proche de ses fidèles ?

Certains prêtres parviennent tout à fait  à vivre cette proximité. Mais encore faut-il qu’ils puissent s’épanouir dans les missions qui leur conviennent : l’un sera plus doué pour la prédication, l’autre accompagnera les malades, un troisième formera les laïcs à la théologie. Celui qui ne parvient pas à comprendre un bilan financier s’épuisera à vouloir gérer les comptes de la paroisse ! Une fois encore, et tout récemment,  la semaine dernière dans la basilique Saint-Pierre, le pape a rappelé la seule mission des prêtres, qui fut celle des disciples de Jésus : « Porter aux pauvres la Bonne Nouvelle, annoncer la libération aux prisonniers et la guérison aux aveugles, donner la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du Seigneur. » Et le pape d’ajouter qu’il en résultera une « bonne fatigue ». Etre prêtre, ce n’est pas de tout repos, mais la plupart sont heureux dans cette vocation particulière que beaucoup de contemporains ont du mal à saisir aujourd’hui. Peut-être les prêtres devraient-ils en témoigner davantage : baptiser de jeunes enfants, préparer de futurs mariés, accompagner des personnes qui traversent le deuil, la maladie ou qui cherchent un sens à leur existence… Il y a une profonde densité humaine dans le ministère de prêtre.

A terme, existe-t-il des solutions pour pallier la fatigue des prêtres et donc préserver l’équilibre de l’église, qui passe nécessairement par un lien fort entre les paroissiens et les prêtres ?

Il y a tout d’abord, dans l’Eglise, une attention plus vive aux conditions de vie des prêtres, notamment depuis le suicide de l’un d’entre eux dans la Manche en 2014, deux jours avant Noël. Les communautés paroissiales ne doivent peut-être plus tout attendre du prêtre, et en tous cas être aussi présentes en cas d’échec ou de difficultés pastorales : une véritable responsabilité collective de la vie paroissiale est non seulement une aide précieuse, mais aussi un partenariat rassurant pour le prêtre. Ensuite, dans tous les diocèses, les évêques veillent à l’équilibre spirituel de leurs prêtres : il ne s’agit plus de tout assurer mais de faire entrer la mission du prêtre dans une certaine gratuité. Ont-ils encore le temps de prier, de lire, de se reposer ? Se préoccupent-ils de leur santé ? Ont-ils des loisirs ? La jeune génération des prêtres ordonnée depuis l’an 2000 est sans doute plus attentive à un certain équilibre de vie : ils font du jogging, vont à la piscine, assistent au match de foot ou se passionnent pour l’art, l’aquariophilie ou les séries TV. Ils veulent être de leur temps, utilisent internet et sont généralement très actifs sur les réseaux sociaux – qui peut d’ailleurs devenir un refuge – mais qui permet d’être « branchés » sur la vraie vie, de rester au contact de camarades de fac, de leurs neveux ou de leurs paroissiens avec qui ils sont désormais « amis »…

En fait, le prêtre perd l’équilibre quand il oublie ce trépied : la mission, la vie spirituelle et la vie quotidienne. Mais c’est un savant mélange ! Tous n’ont pas la même capacité de travail, la même résistance aux souffrances parfois lourdes qui leur sont confiées. Les mots de François sonnent pour eux comme un encouragement : même le Pape se trouve fatigué ! Et n’a d’autre ressource alors, que de se tourner vers Dieu, comme il l’a confié lors de la messe chrismale, le jeudi 2 avril dernier  : « La fatigue des prêtres! Savez-vous combien de fois je pense à cela: à la fatigue de vous tous? J’y pense beaucoup et je prie souvent, surtout quand moi aussi je suis fatigué. (…) Notre fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte silencieusement vers le ciel. »

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