Le patron de la CFDT aimerait voir les études qui prouvent que la flexibilité est bonne pour l’emploi ? Les voici<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le patron de la CFDT.
Le patron de la CFDT.
©Reuters

Pour éclairer Laurent Berger

"Le dossier du CDI est clos" a affirmé Laurent Berger sur RTL ce mardi 7 avril. Le secrétaire général de la CFDT se serait en effet vu garantir vendredi dernier par le gouvernement "qu'il n'y aura pas d'évolution du contrat de travail". Il a renchéri : "je voudrais voir les études qui montrent que plus de flexibilité pour les salariés, c'est forcément plus d'emplois. Où sont les études ?" Atlantico est allé les chercher.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

Voir la bio »

Avant d'aborder la question des études que Laurent Berger exige de consulter (comme s'il ne disposait pas de documentations diverses), il est fondamental de bien distinguer les sujets car tout le monde prend un plaisir intellectuel un peu particulier à tout mélanger.

On parle du contrat de travail, on évoque le licenciement, on s'attache à la question du chômage et à la fin, tout n'est que brume ou approximations.

Prenons donc le temps de cinq réflexions :

1) La montée croissante du CDD et la crise :

De nombreuses créations d'emplois ont désormais lieu sous le régime des CDD et cette montée croissante traduit principalement l'appréhension des entrepreneurs face à la pérennité incertaine de leurs carnets de commande.

De la même manière que la récession détourne les ménages d'effectuer des achats de biens durables, elle détourne du CDI qui est un engagement plus prégnant que le CDD.

Il est donc souvent confondu le recours au CDD comme arme anti-CDI là où il faut avant tout détecter la prudence de gestion des employeurs. Par ailleurs, la mauvaise conjoncture a accru le recours au CDD mais sans accélération foudroyante contrairement à des propos répétés et contestables. "Après une forte progression au cours des années 1980 et 1990, la part de ces formes temporaires d'emploi (CDD, intérim) se stabilise autour de 13,5% de l'emploi salarié depuis le début des années 2000" (COE : rapport du 8 avril 2014).

2) Un rappel du chiffre des CDI :

Le COE (Conseil d'orientation pour l'emploi) a donc publié une étude il y a exactement un an qui concluait à la stabilité de la part des emplois détenus en CDI (soit 87% du total) ce qui est un rappel chiffré utile dans ce débat. La forme très majoritaire de l'emploi en France demeure le CDI. La question que des études à venir permettront de résoudre est ambitieuse : peut-on conclure que la rupture conventionnelle de 2008 a été un moyen d'éviter l'érosion du nombre de CDI en France ?

3) L'incertitude juridique et judiciaire :

Le Code du travail (comme tous les autres : code de commerce, code général des impôts, etc.) n'est pas d'un maniement aisé. Il est donc source d'incertitude juridique et de destruction de flexibilité. Mais surtout, les études d'opinion ou les remontées d'information des URSSAF attestent que les employeurs redoutent essentiellement les poursuites judiciaires post-rupture du contrat de travail.

Lorsque Laurent Berger indique mardi matin sur RTL que "le dossier est clos" quant à une éventuelle réforme du contrat de travail, il omet de rappeler que le projet de loi Macron réforme la justice prud'homale. Si les termes définitifs de ce volet du texte fourre-tout ne sont pas encore connus (voir la future lecture définitive à l'Assemblée nationale), il n'en demeure pas moins qu'il adresse un pan sensible de l'éventuelle appréhension des employeurs vis-à-vis du CDI.

4) "Les carrières hachées"

Ce terme utilisé par Laurent Berger est fondamental. Les personnes nées dans les années 30 ne connaissaient que 2 ou 3 employeurs dans leur vie. Celles nées en 1960 le double. Celles nées en 1985 connaîtront parfois plus de dix employeurs dans leur vie professionnelle. C'est ici qu'intervient un silence français assez étonnant en matière d'inégalités. En effet, il faut distinguer celles et ceux qui changent de jobs sans traumatisme et celles et ceux qui doivent subir, entre deux CDI, le choc du chômage dont la durée moyenne dépasse désormais (source Coface et Pôle emploi) les 500 jours.

A ce stade, il n'y a pas besoin de faire ou de lire des études, la peine sociale et le fardeau humain devraient suffire aux parties concernées (syndicats et Medef, etc) pour se lancer dans la flexisécurité de type danoise (loi de 1999) qui a effectivement assoupli la rupture du contrat de travail mais assuré la formation des chômeurs et leur meilleur suivi.

5) Les nouvelles formes de travail :

Là encore, nul besoin d'étude pour noter que le travail des indépendants, des salariés multi-employeurs, des jeunes en précarité se développent. A l'autonomie de la personne finement observée par Jacques Attali dans "Devenir soi" doit correspondre un filet de sécurité juridique. Croit-on que les démonstratrices à domicile effectuent 35 heures par semaine ? Que dire de certains excès du portage salarial ? Ici pourrait se tenir un syndicalisme de vigilance et de propositions comme sût parfois l'incarner Marc Blondel.

6) Le débat est ouvert :

Laurent Berger tire la conclusion de son récent entretien avec MM. Macron et Rebsamen que le "dossier est clos" quant à la nature du contrat de travail. La simple capacité à observer un panel de dix entreprises prises au hasard suffit à démontrer l'absurdité du propos digne du caractère péremptoire de "Lip c'est fini" proclamé par Pierre Messmer (1973) face aux tentatives autogestionnaires de Charles Piaget (Cfdt).

Non, le débat n'est pas clos sur un plan social et économique et rien ne dit qu'il soit tranché au plan politique pour qui songe à la récente phrase de Manuel Valls qui veut "lever les freins à l'embauche".

Où sont les études ? Les voici

1) COE : rapport du 8 avril 2014 : page 3  Les différentes formes d'emploi salarié :

La flexibilité issue de l'intérim ou des CDD de courte durée alimente un flux d'emplois non négligeable. Ce sont deux vecteurs anti-chômage même s'ils ne sont pas la panacée du CDI.

2) Selon la convention Etat-Unedic-Pôle emploi du 18 décembre 2014 (période 2015-2018), l'accent sera mis sur la réduction des imperfections d'informations entre offreurs et demandeurs de travail. La flexibilité du marché du travail passe là encore par une économie de la connaissance et par la réduction de l'effet Ackerlof (asymétrie d'informations).

3) L'exemple allemand du chômage partiel total représente une forme de flexibilité quantitative interne qui évite les licenciements. De nombreuses études ont démontré la justesse de cette pratique en temps de crise.

4) "Le chômage, fatalité ou nécessité" (2004) : Pierre Cahuc et  André Zylberberg ont démontré, il y a déjà onze ans, que l'emploi est une variable de flux et que si 15% des emplois sont détruits, 15% d'emplois nouveaux apparaissent. Face à cette gestion imposée de près de 10 000 personnes par jour ouvrable, il est requis de disposer de formes institutionnelles flexibles (Voir rapport Larcher d'avril 2012 et formation professionnelle : synthèse Manpower).

5) Edmond Malinvaud (ancien directeur général de l'INSEE) a démontré ( "Nouveaux développements de la théorie macroéconomique du chômage", Revue Economique, janvier 1978) la coexistence d'un chômage classique (rigidités de l'offre et de la demande) et d'un chômage keynésien (issu de la faible propension à embaucher en bas de cycle économique). Il a ainsi eu recours à la théorie du "Job search" qui explique la coexistence d'un chômage involontaire (le travailleur est privé d'emploi) et d'un chômage volontaire (le travailleur reste en recherche d'emploi tant que ses allocations chômage lui permettent d'attendre un poste optimal).

Cette théorie, au départ très libérale, a été formulée par George Stigler et E.S Phelps et analysée par Jean-Pierre Giran ("Recherche d'information et déséquilibres ", Economica, 1979). De cet ouvrage, on déduit l'importance de la flexibilité et la stratégie des acteurs. Un ouvrage qui a 35 ans....

6) Le CESE (Conseil économique, social et environnemental) vient de rendre un avis sur l'emploi des jeunes et a attiré l'attention sur la situation tendue des "Neet" (not in education, employment or training) et sur le fait qu'un jeune sur trois est surdiplômé par rapport à son emploi. Cette étude démontre l'inadéquation entre l'offre et la demande de travail et le chômage frictionnel qui atteint la jeunesse. La flexibilité permet d'inverser le principe qui consiste à  "équiper les individus pour faire fonctionner le marché plutôt que d'équiper le marché pour faire fonctionner les individus" (Gautié et Gazier, 2003). (ANPE, mars 2003 : "Transitions et trajectoires sur le marché du travail"). Depuis 12 ans, il est difficile de contester que ces études ont conduit à des politiques économiques erronées.

Entre les différents responsables syndicaux et politiques qui se sont récemment exprimés sur ce sujet de la flexibilité, il est hélas acquis qu'ils sont loin de l'adhocratie qui est un modèle décrit par Henry Mintzberg au sein duquel les participants sont censés avoir conscience de l'intérêt collectif majoritaire et agir pour tenter de le promouvoir.

On est loin des propos de micros ou d'antichambres qui masquent mal les postures que ne goûtaient ni les ministres Christian Beullac ou Jean Auroux.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

CDI, temps de travail, smic et fiscalité des comportements : ces rigidités françaises qui coûtent tellement cher à ceux qu’elles sont censées protégerPourquoi il vaut mieux arrêter de vouloir décrocher un CDI à tout prix que de mourir d'ennui Aveugles ou égoïstes ? Quand la France des allergiques à la flexibilité oublie les 30% de Français qui paient au prix fort l’absence de réforme du marché du travail

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !