Montebourg, Taubira, Aubry, Duflot à l’offensive... ce que l’autre gauche réserverait à la France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Montebourg et Aubry, perturbateurs du PS
Montebourg et Aubry, perturbateurs du PS
©Reuters

Surprise !

Les élections départementales sont à peine terminées que tous les regards se tournent vers le prochain congrès du PS de juin. Mais déjà, c’est la course aux dépôts de mentions, le Conseil national du parti devant entériner le 11 avril les propositions qui feront l’objet d’un vote. Martine Aubry, entre autres, multiplie les rencontres à Paris dans cette perspective. Elle pourrait signer une motion commune avec les frondeurs.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

Voir la bio »
Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Pascal Cauchy

Pascal Cauchy

Pascal Cauchy est professeur d'histoire à Sciences Po, chercheur au CHSP et conseiller éditorial auprès de plusieurs maisons d'édition françaises.

Il est l'auteur de L'élection d'un notable (Vendemiaire, avril 2011).

 

Voir la bio »
  • Les tractations vont bon train au Parti socialiste pour déposer des motions communes avant le 11 avril.
  • Martine Aubry maintient le doute : s'associera-t-elle à une motion de défiance, ou ménagera-t-elle le gouvernement en échange de mesures symboliques ?
  • Même si une opposition de gauche plus construite que celle des frondeurs aujourd"hui se créait, celle-ci se rallierait probablement à la tête du PS en 2017, par calcul éldectoral.
  • Les motivations des différents dirigeants hostiles à la ligne du gouvernement sont tellement différentes que l'on peu douter de la pertinence de la constitution d'une opposition constructive.
  • Les réalités européennes auraient de toute façon tôt fait de brider les velléités keynésiennes de ces memebres de la gauche.

Atlantico : Si les insatisfaits de la gauche que sont aujourd’hui Arnaud Montebourg, Christiane Taubira, Martine Aubry et Cécile Duflot parvenaient à constituer un front commun pour peser sur la ligne du gouvernement, quelle serait la nature de ce rassemblement ? Serait-ce une simple coalition de mécontents, donc par défaut ?

Pascal Cauchy : Un front de gauche face au gouvernement Valls est-il possible ? Rappelons déjà qu’une tentative a été faite par Mélenchon avec son Front de gauche à lui, ce qui s’est soldé par un échec. Par contre un parti des mécontents qui constituerait ainsi une nébuleuse à gauche peut avoir un certain mérite à moyen terme : je pense à ce qui s’est passé à partir de 1972, c’est-à-dire au moment de la naissance du PS. Une sorte de nébuleuse contestataire se porte sur la gauche, qui apparaît comme une forme d’opposition, pour finalement se transformer  en force d’appoint au bout de deux ans. C’est pourquoi aujourd’hui le « timing » n’est pas si mauvais : l’échéance se trouvant en 2017, les responsables politiques font des calculs et des paris sur la détermination de François Hollande à se présenter de nouveau, sur leur capacité créer un rapport de forces leur permettant de faire émerger un autre candidat… Mais ce n’est pas cela le plus important. Ce qui compte, c’est la stratégie générale : ils ont tout un électorat de gauche à conquérir, reconquérir ou mobiliser. Du côté des mécontents il n’est pas totalement idiot de créer un effet de souffle dans la perspective de 2017, là où le PS dans sa mouture gouvernementale n’est plus en mesure de le faire aujourd’hui. Cela peut même être voulu, d’une certaine manière : il n’était pas absurde de trouver des gens très opposé à Mitterrand dans les années 70, comme Chevènement, et cela n’a pas empêché au dernier moment de drainer des voix et que tout le monde se rallie derrière le candidat PS. La question de savoir si ce sera Hollande ou un autre ne se pose pas pour le moment. L’émiettement en politique sert aussi à ratisser plus large au sein de l’électorat, selon un effet bien connu d’opportunité et d’aubaine.

Lire également : Congrès du PS : François Hollande pourrait-il survivre à un parti qui ne le soutiendrait plus ?

Eddy Fougier : Un rapport de forces en prévision du congrès de Poitiers semble se tramer, pour faire en sorte de provoquer une inflexion de la politique gouvernementale. Après la débâcle des départementales il a été répété que le gouvernement ne changerait pas de ligne : ce que les opposants n’ont pas réussi à faire par la grande porte, ils essayent de le faire par la fenêtre. Ils sont d’accord sur le fait qu’ils sont opposés à l’orientation du gouvernement, par contre de là à dire qu’ils vont dans le même sens… C’est encore autre chose, car chacun à ses propres ambitions. Benoit Hamon veut diriger le parti, Martine Aubry n’a pas nécessairement renié toute forme d’ambition présidentielle malgré ses propos  favorables à Hollande, tout comme Arnaud Montebourg. L’idée d’une coalition de frondeurs avec Aubry à sa tête ne me paraît pas la plus probable, car elle l’a nié à plusieurs reprises, même si elle est la personnalité critique extérieure au gouvernement la plus notable. Taubira est quant à elle la personnalité critique au sein du gouvernement la plus notable.

Un tel ensemble de personnes serait-il capable de construire une opposition constructive, avec des propositions claires et cohérentes ?

Pascal Cauchy : En propositions, non. Je vois mal un certain nombre de députés socialistes devenir une sorte d’opposition de gauche. Si les radicaux ont des sièges, par exemple, c’est parce qu’ils sont les alliés du PS. En revanche il n’est pas exclu de créer une tension sur le terrain médiatique. Le gouvernement Valls ne serait pas le premier dans l’histoire à subir dans son propre camp un effet de tension idéologique ou partisan. Sur le plan institutionnel c’est un effet de manche, puisqu’une pseudo opposition qui dissocierait une partie des élus socialistes à l’égard du gouvernement ne peut pas vraiment avoir de conséquences. Tout au plus auront-ils la capacité d’infléchir certaines propositions de loi ou directives. A céder, le risque risquerait d’alimenter un peu plus l’électorat UMP ou FN, car il faudrait que ces propositions d’opposition de gauche rencontrent l’adhésion de gens susceptibles de voter à droite et que l’on voudrait conserver à gauche. Ce serait un jeu dangereux, c’est pourquoi je pense que ces opposants de gauche jouent plutôt à « retenez-moi ou je fais un malheur ».

Nicolas Goetzmann : Entre rassembler des mécontents et construire un programme commun, c’est le cas de le dire,  il existe un long chemin, chemin qui paraît incertain aujourd’hui. Pour le moment, le point de partage se construit sur la critique de François Hollande, la critique d’une sociale démocratie sous sa forme européenne actuelle. C’est-à-dire une sociale démocratie « à l’allemande », construite sur un modèle de rigueur.

Ensuite, il existe quelques points d’accord entre les mécontents, notamment sur le diagnostic de crise. Et là, il paraît trop simple de caricaturer les propositions faites par les uns ou les autres comme étant archaïques ou ringardes. Keynes n’est pas Marx. Et si une réponse keynésienne à cette crise me semble clairement inappropriée, elle a au moins le mérite d’avoir une base doctrinale. Ce qui est déjà supérieur à ce qui est proposé par François Hollande depuis le début de son quinquennat. Malheureusement, et même s’il existe des exceptions, la majorité  de ces opposants reste sur une ligne qui me paraît plus proche d’une logique de clientélisme que d’une ligne économique ambitieuse. Les débats économiques américains sont aujourd’hui de très haut niveau, et les responsables politiques de la gauche française pourraient s’en inspirer. Une offre politique est donc possible sur le papier, mais la perspective qui s’offre à un parti en voie de « trounoirisation » n’est pas propice à une réelle réflexion sur le fond. Les cadres du parti ont plutôt l’air d’être tétanisés par leurs échecs successifs.

Eddy Fougier : Des idées seront avancées. Aubry en propose un certain nombre sur l’investissement public, la redistribution ou l’égalité des chances… ce qui n’est pas pour déplaire aux autres. Du côté du gouvernement on cherche surtout à rassembler tous ces gens autour d’un même ennemi, c’est-à-dire le FN. Il n’est pas très compliqué de se retrouver sur des valeurs, par contre pour fonder un programme économique et social, c’est plus compliqué. Cambadélis, Valls et Hollande vont tout faire pour qu’une motion consensuelle soit votée à Poitiers. Ce serait un échec pour Hollande si ce n’était pas le cas. Le 2e risque serait que l’ensemble des opposants présentent une motion commune. Et le 3e risque serait que cette motion, éventuellement guidée par Martine Aubry, soit majoritaire. Et là ce serait une nouvelle débâcle pour le gouvernement.

Tous ces gens hypothétiquement mis ensemble adopteraient une orientation plutôt keynésienne mettant l’accent sur le rôle régulateur de l’Etat, et un encadrement plus net des acteurs économiques. Les marges de manœuvre seraient très limitées, l’essentiel se jouerait donc sur des mesures symboliques.

Dans quelle mesure les contraintes européennes, en matière de déficit notamment, pourraient-elles  brider leurs résolutions pour un changement de politique ? Car ce sont les mêmes contraintes qui pèsent aujourd’hui sur le gouvernement…

Nicolas Goetzmann : Ce point est déterminant parce que l’orientation qui se dégage de ces personnalités est une relance budgétaire, en totale contradiction avec les canons actuels de l’économie européenne. Tout l’enjeu repose donc sur la capacité de la France à modifier les règles du jeu en ce domaine. L’ironie est que cette stratégie est celle qui a été proposée par François Hollande en 2012, pendant la campagne électorale. « Changer l’Europe ». Et les électeurs ont déjà été trompés une fois sur ce point.

C’est la grande contradiction du parti socialiste. Comment parvenir à modifier un modèle européen dont ils ont été le principal artisan. Il s’agirait d’un reniement absolu. Les critères de Maastricht, la règle des 3% de déficit, les 60% d’endettement, le pacte budgétaire européen, l’ensemble de ces mesures, qui sont si souvent critiquées, ont été très largement mises en place par le parti socialiste lui-même. De façon plus pragmatique, un renversement des règles européennes reste une possibilité, mais ce n’est pas en réclamant un délai ou une exception que la trajectoire peut être modifiée. Il s’agit de proposer une refonte assez globale de l’esprit de Maastricht pour obtenir un projet viable et pérenne. Ce qui nécessite, d’une part une bonne dose de reniement, et d’autre part, un élan politique fort dont la gauche française semble encore très éloigné, pour convaincre ses partenaires européens.

Pascal Cauchy : Une fois que le jeu politique français est dépassé, d’autres contraintes apparaissent forcément : la crise et le contexte international. Là encore ces responsables sont plus dans l’incantation que dans la gestion réelle des choses. En outre, cette opposition est quelque peu baroque : ses « membres » viennent de formations différentes, et un parti des mécontents ne dure jamais très longtemps, comme on l’a vu avec Mélenchon.

Eddy Fougier : Les frondeurs considèrent que le cadre européen est une contrainte beaucoup restrictive, notamment par rapport à la politique budgétaire et monétaire, même si en l’occurrence l’Europe a, d’un certain point de vue, répondu à leurs desiderata avec le Quantitative Easing et le sursis accordé à la France sur la réduction du déficit public à 3% du PIB. Cela correspond en partie à l’idée des frondeurs, selon lesquels il faudrait que la BCE rachète une partie des dettes des Etats et que le déficit budgétaire puisse se développer pour faciliter la demande. Une logique moins « sociale-libérale », donc. Mais la réalité européenne bride les promesses, comme on le voit en Grèce avec Syriza, qui est tombé sur un os, à savoir l’Allemagne. Hollande lui-même a fait adopter par le Parlement le pacte budgétaire européen, alors qu’il avait dit qu’il voulait le renégocier. Ce genre de chose est symptomatique. Au début des années certains voulaient que la France sorte du système monétaire européen : finalement elle y est restée, et elle a entrepris une politique de rigueur et de libéralisations. Et c’étaient des dirigeants de gauche ! On voit bien que le discours estampillé de gauche, « pur sucre », et soluble dans les réalités internationales et les contraintes européennes qui sont antagoniques avec les idées keynésiennes.

Quelles seraient les conséquences positives de ce type de regroupement ?

Eddy Fougier : Du côté du gouvernement, la tentation sera plus forte, non pas de changer d’orientation, mais d’envoyer des signaux soit en termes de valeurs. Un certain nombre d’annonces ont été faites par le Premier ministre après les attentats de janvier, sur les banlieues et la politique de la ville. Cependant il faut trouver les moyens de mener ce genre de politique estampillée de gauche. C’est compliqué, dans une période de disette budgétaire, de mener une politique de gauche qui ne hérisse pas le poil des investisseurs et des Allemands !

Nicolas Goetzmann : C’est là que je vois le risque principal. Une relance budgétaire peut avoir des effets positifs, mais il faut faire une distinction claire. Il peut être envisagé de mettre en place une relance des investissements, notamment de l’infrastructure, puisque ce type de dépenses peut s’autofinancer et donc être sans conséquence pour le niveau de dette du pays. Le bénéfice est donc net. Par contre, une relance budgétaire pour le simple plaisir de faire de le relance aurait pour conséquence de soutenir la croissance à court terme, alourdir la dette, et de ne rien changer au modèle de croissance. C’est ce qui s’appelle repousser la difficulté au lendemain, tout en continuant de s’encombrer d’une dette de plus en plus lourde. La conséquence à moyen terme serait le retour inévitable vers une croissance molle tout en ayant besoin de se financer au travers de déficits toujours plus importants, ou de plus d’impôts. Mais avec une dépense publique sur PIB de 57% et des impôts à 46% du PIB, la marge de manœuvre n’existe plus.

Une telle stratégie aurait donc pour conséquence d’en revenir au point de départ, c’est-à-dire aujourd’hui, mais en pire. Plus d’impôts, et plus de dettes. Pour éviter cette trajectoire, à mon sens, seule une modification du mandat de la Banque centrale européenne, sur le modèle de ce qui est pratiqué aux Etats-Unis, pourra permettre à la France de conjuguer croissance, baisse du chômage, réduction relative des dépenses publiques, baisse des impôts etc…c’est-à-dire un cercle vertueux permettant à la fois le retour au plein emploi et l’assainissement des comptes publics. C'est ce qui est fait aux Etats-Unis. Par exemple.

Inversement, qu’est-ce qu’un rassemblement des opposants à la ligne actuelle du gouvernement coûterait à la France ? Cela paralyserait-il encore plus l’action politique ?

Pascal Cauchy : En droit, cela ne change rien car le président n’est pas le chef d’un parti. Si lors du congrès le PS vote une motion de défiance à l’égard de la politique gouvernementale, cela ne toucherait absolument pas François Hollande. Si des  députés se mettent en délicatesse avec leur propre parti, ils savent qu’ils n’auront plus d’investiture. Ce serait politiquement suicidaire : au final un député ça grogne et ça vote. En revanche il est possible que la grogne porte sur quelques projets de loi, et donc que la tension s’exerce dans l’écriture de la loi.

Eddy Fougier : Ce ne serait pas une bonne nouvelle pour la gauche en vue des régionales ; ce serait catastrophique sur le plan de la doctrine et de l’unité ; le candidat de gauche ne pourrait pas être au second tour de la présidentielle… En privé, Hollande appelle les frondeurs, Mélenchon et Duflot, « le Club du 21 avril »… Le message est fort. Le vote utile est invoqué pour le gouvernement, et continuera de l’être pour les prochaines échéances électorales.

Vu de l’extérieur, ce serait un très mauvais signal envoyé au sujet de la dynamique réformatrice de la France. Il est évident que les velléités réformatrices seraient totalement bloquées : le gouvernement ne pourrait plus mener des réformes impopulaires, et la probabilité de tenir les engagements européens d’ici 2017 serait rendue encore plus improbable.

Du côté du FN cela donnerait l’image de politiques qui se complaisent dans une logique médiocre de pouvoir personnel. Du côté de la droite cela conforterait l’idée d’un profond amateurisme au gouvernement. Les différentes oppositions auraient beaucoup de grain à moudre, sans qu’en face la gauche ait la capacité de mobiliser.

Si une motion de consensus est faite avec Martine Aubry, un dénominateur commun entre le gouvernement et une partie de la gauche sera cherché, comme au bon vieux temps de François Hollande secrétaire du PS. Ceci dit personne ne sera dupe de l’arrangement. Par contre si la défiance l’emportait, le désaveu serait total. Dans les deux cas l’exécutif est perdant.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !