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Le Labyrinthe de l'Europe : 26 pays, des langues diverses, trois lieux pour se réunir et des institutions complexes
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Bonnes feuilles

Ce livre apporte un regard neuf sur le fonctionnement des pouvoirs publics et le comportement d'entreprises ou de particuliers qui nous compliquent la vie. Dans le mythe grec, Thésée est sorti vainqueur du labyrinthe, symbole de la dictature appuyée sur la complication, et a doté Athènes de la première législation démocratique. L'auteur propose de suivre sa voie. Extraits de "Le Labyrinthe" de Jacques Bichot, aux éditions Les Belles Lettres 2/2

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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L’Union européenne (UE) est nécessairement complexe. Premièrement, elle se compose de vingt-huit États (quand nous écrivons ceci, en août 2014), dont les niveaux de développement sont très différents, dont les intérêts sont en partie divergents et dont les habitants ont des langues maternelles diverses. Deuxièmement, elle est susceptible d’accueillir d’autres membres, comme cela s’est fait pour la Croatie le 1er juillet 2013, et auparavant pour la Bulgarie et la Roumanie le 1er janvier 2007, ou encore un peu plus tôt, le 1er mai 2004, pour neuf pays (les trois pays baltes, quatre pays d’Europe centrale, Malte et Chypre). Six pays ont engagé le processus, dont la Turquie qui, avec 77 millions d’habitants et une croissance démographique forte, remplacerait vite l’Allemagne (81 millions) comme pays le plus peuplé de l’Union. Troisièmement, l’UE a pour monnaie l’euro, mais dix États membres conservent à ce jour leur unité monétaire d’avant leur entrée dans l’Union, et il s’est avéré qu’une monnaie unique pour des pays ayant des comportements économiques très différents pose de sérieux problèmes. Quatrièmement, les États membres conservent leurs représentations diplomatiques et leurs forces armées : l’UE n’est pas un État fédéral comme le sont par exemple les États-Unis d’Amérique, mais elle a une action internationale, si bien que la coordination de cette action avec celles de ses membres est une nécessité tout en étant fort délicate. Cinquièmement, il existe d’autres institutions européennes, en particulier le Conseil de l’Europe, ou « Europe des 47 », car il réunit 47 États membres ; ce Conseil gère différentes conventions, et plus particulièrement la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour qui juge les litiges correspondants. Et cette liste de facteurs de complexité est loin d’être exhaustive !

La gestion de cette complexité naturelle pourrait cependant se réaliser sans complication inutile – disons familièrement : sans en rajouter ! Or ce n’est pas le cas. Les structures mises en place, les décisions prises, les monceaux de « directives » dont la transcription en droit national de chaque pays soulève quantité de problèmes délicats, les politiques de subventions tous azimuts, et bien d’autres façons de faire des instances européennes tant administratives que politiques, à côté de simplifications notables, engendrent des complications importantes. De plus, comme nous allons le voir sur quelques exemples, les jeux de pouvoir européens que les institutions de Bruxelles ajoutent aux jeux de pouvoir nationaux et internationaux sont à l’origine d’une grande partie de ces complications.

Des institutions tarabiscotées

Le Parlement européen a pour siège officiel Strasbourg, où se tiennent les douze sessions plénières annuelles de trois jours et demi chacune. Mais les travaux des vingt-deux commissions ainsi que six « sessions complémentaires additionnelles » se déroulent à Bruxelles, de façon à faciliter les échanges avec la Commission. Quant au Secrétariat général, avec les services administratifs et le staff de traduction, important pour une assemblée composée de vingt-huit nationalités différentes, il est localisé à Luxembourg. Cette organisation ne simplifie les choses ni pour les députés et leurs collaborateurs personnels, ni pour la Commission, ni pour les services, ni pour les personnes et organisations qui entretiennent des liens suivis avec des instances de l’UE. Elle est due à la volonté de chacun des trois pays concernés (et d’autres, qui n’ont pas obtenu satisfaction) de détenir une part du gâteau ; elle constitue l’issue, initialement incertaine, de négociations ardues. La localisation de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort a également été le résultat d’âpres négociations (Amsterdam et Londres étaient aussi en lice) – et de la suprématie allemande, économique et monétaire plus encore que politique. 

La Commission, qui est en quelque sorte le gouvernement de l’Europe, a seule le « droit d’initiative » pour différents sujets (notamment la politique agricole commune, l’union douanière, le marché intérieur et l’euro) ; elle le partage avec les États membres pour certains autres (politique étrangère, défense, coopération policière et judiciaire). Elle doit rendre compte non seulement au Parlement, mais aussi aux États membres, par le biais de deux conseils : le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État, et le Conseil de l’UE, qui réunit les ministres dans la compétence desquels se situe l’ordre du jour. Cette dualité est caractéristique d’un choix qui n’a pas été tranché entre une UE émanation de la population européenne, représentée par des parlementaires élus, et une « Europe des nations ».

Les États-Unis ont résolu un problème analogue en ayant une assemblée représentative des États membres de l’Union, le Sénat, auquel chacun des cinquante États envoie deux représentants, indé- pendamment de l’importance de sa population, et le Congrès, où la répartition des sièges s’effectue grosso modo au prorata de la démographie. Il n’y a pas de conseil des Gouverneurs analogue au Conseil européen qui réunit les vingt-huit chefs des États membres. La répartition des responsabilités entre l’État fédéral et les États est assez claire ; en ce qui concerne notamment la politique étrangère, le premier a les coudées franches, ce qui n’est pas le cas de la Commission européenne. Bref, l’UE n’est pas un État fédéral, et cela est à l’origine de complications considérables lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui engagent l’Union vis-à-vis du reste du monde.

Les ving-huit commissaires composant la Commission (un par État membre) sont nommés pour cinq ans. Ils doivent proposer et mettre en œuvre les politiques communautaires. Le président de la Commission, choisi par le Conseil européen, est ratifié à la majorité qualifiée par le Parlement, ce qui s’est produit le 15 juillet 2014 pour Jean-Claude Juncker, successeur de José Manuel Barroso, qui a accompli deux mandats successifs. Le choix des commissaires par les gouvernements nationaux rend difficile l’adéquation de la personne au poste : chaque gouvernement peut décider que telle personne le représente à la Commission, mais son affectation à tel ou tel champ de responsabilités fait l’objet de tractations. Cela peut déboucher sur un manque de compétence dans le domaine spécifique, et par suite à une situation de « bride sur le cou » pour les services dépendant d’un commissaire plus préoccupé par son rôle politique au sein de la Commission (et même, le cas échéant, dans son propre pays) que par sa fonction technique.

L’UE peut produire différents actes juridiques : le règlement, directement applicable dans chaque État membre ; la directive, qui « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant aux formes et aux moyens »2; la décision, « obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne » ; les recommandations et avis, qui ne lient pas leurs destinataires. En outre, des Livres verts et Livres blancs jettent des jalons en vue de décisions à venir

Les institutions européennes, à la différence de leurs homologues nationaux, n’ont pas beaucoup de champ d’action directe (faire fonctionner des services d’état civil, des services fiscaux, des forces de police, des forces armées, etc.). Elles ont donc surtout pour mission de coordonner l’action des États membres et de leur imposer certaines dispositions juridiques. La Banque centrale européenne (BCE) est la plus importante des exceptions à cette absence d’action directe (encore qu’elle agisse beaucoup par l’intermédiaire des banques centrales nationales qui forment, avec elle comme chef de file, le système européen de banques centrales), mais la BCE est par construction indépendante du pouvoir politique, si bien qu’elle n’apporte pas de grain à moudre aux fonctionnaires et hommes politiques européens. On a donc une superstructure de type étatique qui n’a pas grand-chose d’autre à faire que produire des textes à l’intention des États membres : cela contribue à expliquer l’inflation normative européenne. Cela explique aussi l’attrait des fonctionnaires et hommes politiques européens pour les programmes de subvention : ceux-ci constituent l’une des rares occasions qu’ils ont d’agir assez directement sur la réalité – ou d’avoir l’impression d’agir, ce qui est un sentiment agréable.

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