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Du neuf au sommet des Amériques : le continent sens dessus dessous entre espoirs à Cuba et gueule de bois des émergents
©Reuters

Diplomatie

Les Etats-Unis ont amorcé une vraie évolution diplomatique en renouant avec Cuba. Cela pourrait changer la donne sur un continent où ceux qui auraient pu proposer une alternative – le Brésil notamment – se sont montrés décevants. Le point sur les dynamiques à venir sur le continent.

Atlantico : Les Etats-Unis ont donné un vrai "coup de pied dans la fourmilière" en annonçant le début d'un retour à des relations diplomatiques avec Cuba. Comment ce changement, s'il va à son terme, peut-il redessiner les rapports entre la première puissance mondiale et les Etats d'Amérique latine ? Où seront les grands changements ?

Miguel Dhenin : La relation des États-Unis avec Cuba s’est nettement améliorée ces dernières années. Le retour d’un canal diplomatique est un signe positif pour la communauté internationale, mais il faut aussi souligner que le président Barack Obama a fait un geste symbolique, à l’approche de la fin de son second mandat. Mais si cela a été spectaculaire et salué par les différents partenaires des états concernés, en coulisse, les négociations étaient déjà bien avancées. Par ailleurs, depuis le retrait politique de Fidel Castro, son frère Raul opère un processus d’ouverture de l’île à d’autres pays. On peut s’en réjouir. En effet, Cuba a besoin de capitaux externes pour soutenir son activité économique et commerciale. Pour la partie cubaine, cependant, bien qu'ils voient les avantages économiques, l'ouverture aux États-Unis apporte de nombreux risques, car elle est associée à une plus grande présence du personnel et les « diplomates » américains dans le pays. Une certaine méfiance peut exister des deux côtés.

Concernant les effets pour les pays de l’Amérique du Sud, cela dépendra de chacun. Tous ces pays maintiennent généralement de bonnes relations avec La Havane. Au Brésil, par manque de médecins dans les villes du Nord du pays, un programme d’invitation de médecins cubains fonctionne déjà. Et du côté brésilien, un accord sur la gestion des activités portuaires a déjà été signé. Ce sont des signes encourageants. Ce qui a surtout été important, c’est que le message diplomatique s’est fait directement au niveau des chefs d’Etat, et les médias y ont donné une grande importance, après des décennies de tensions plus ou moins fortes.

Quels éléments de doctrine les Etats-Unis semblent-ils vouloir adopter pour orienter leur politique sur leur propre continent dans les années à venir ?

Dans un monde plus complexe et incertain, les États-Unis continuent à suivre une doctrine réaliste pragmatique dans la conduite de leur politique étrangère. La « fin » de la guerre en Afghanistan et le retrait des troupes en Irak ont allégé temporairement l’agenda américain. Cependant, le conflit en Ukraine et la lutte contre l’Etat Islamique (EI) préoccupent beaucoup Washington. On peut se demander si ces questions étaient résolues, les Etats-Unis n’auraient pas porté un peu plus d'attention aux processus politiques en cours en Amérique du Sud. On constate clairement une évolution dans le sous-continent, avec des avancées claires au niveau du processus d’intégration (l’UNASUL et le Conseil Sud-américain de Défense, par exemple), pendant les années Lula. La possibilité d’un leadership brésilien dans le Sud, serait considérée par Washington comme quelque chose de positif, en représentant une forme de stabilisation, ce dont les États-Unis ne serait pas forcément contre, afin de ne pas avoir à régler de problèmes majeurs. Cependant, il faut aussi rappeler l’épisode des écoutes américaines et la réaction ferme de la présidente Dilma Rousseff. Elle a même déclaré qu’elle n’irait pas en visite officielle si les Etats-Unis n’arrêtaient pas d’espionner le Brésil, ce qui est loin d’être évident. D’autre part, Barack Obama peut difficilement offrir ces garanties au nom de la sécurité nationale. Ils seront néanmoins réunis en avril au Panama, et cela sera peut-être l’occasion d’avancer sur ce dossier.

Le grand "adversaire" affiché des Etats-Unis sur le continent est le Venezuela. Comment évolue la relation depuis la mort de Chavez, face à un Nicolas Maduro qui essaie aussi de représenter une ligne d'intransigeance ? Comment cela fait évoluer en corollaire les relations avec les pays proches idéologiquement du Venezuela comme la Bolivie ou l’Equateur ?

Premièrement, le terme « adversaire » me semble trop fort pour caractériser le Venezuela. S’il s’agissait d’être en compétition, ou bien même de représenter une menace pour la sécurité des Etats-Unis, les provocations de feu président Chavez n’étaient qu’un élément de rhétorique qui masquait une vraie coopération économique, au moins du point de vue énergétique. Depuis le coup d’état avorté de 2002, les Etats-Unis ont été souvent la proie de critiques sévère du régime bolivarien, mais je pense qu’il s’agissait surtout pour Chavez de justifier en partie des politiques considérées « populistes » aux Etats-Unis, et socialistes au Venezuela. Les médias des deux pays jouent un rôle clé dans ces problématiques. Ce qu’il faut souligner, c’est que Chavez avait un projet d’Etat dans les vieux schémas de développementisme d'Amérique latine. Sa mort a obligé le parti a trouvé un successeur rapidement, mais le charisme et l’autorité de Chavez étaient très importants. Les partis d’opposition au Venezuela sont très virulents et les manifestations de 2013 ont polarisé un peu plus encore le pays. Pour Nicolas Maduro, la tentation est grande de suivre les pas de Chavez, mais le cours du baril de pétrole étant bas, les difficultés apparaissent de plus en plus et la contestation se fait chaque jour plus forte. Sachant que le nombre d’armes qui circulent est très élevé, on peut comprendre la préoccupation des Etats-Unis de voir le pays basculé dans le chaos. Les relations avec les autres pays proches est très différentes. L’antagonisme avec les Etats-Unis fait partie de la logique de gouvernements nationalistes d'Amérique latine. Le Venezuela se projette beaucoup plus vers les Caraïbes. Ce qui est différent des autres pays du continent sud-américain, qui ne voit pas comme cela et tous ne sont pas traités de manière égale par Washington. La Colombie est devenue quasiment un protectorat.

Le Brésil enfin, qui aurait pu représenter une vraie alternative du fait de son statut de "BRIC", semble à la peine. Le pays exerce-t-il vraiment un contrepoids ? Parvient-il à créer une attractivité ?

Le Brésil traverse une période incertaine du point de vue politique et économique. L’image du Christ Rédempteur décollant qui faisait la couverture du journal The Economist paraît lointaine, mais il ne faut pas sous-estimer la capacité du pays de retrouver une croissance convenable dans les prochaines années. Les manifestations de juin 2013 ont marqué le pays, mais certaines demandes restent insatisfaites. Le Brésil ne peut pas représenter une alternative crédible aux Etats-Unis car il faut encore consolider son économie, améliorer un modèle social encore trop inégal et surtout faire en sorte que les millions de personnes qui sont sorties de la pauvreté pendant les années Lula puissent créer une classe moyenne instruite et productive. Je pense que le Brésil assume déjà le leadership de l’Amérique du Sud, et c’est une responsabilité. Au niveau des grandes puissances, le pays est respecté et invité dans les grands forums internationaux. Le Brésil possède des atouts évidents : secteur agricole énorme et technologiquement avancé, 3ème constructeur mondial dans l’aviation civile, grandes industries, à São Paulo, puissance spatiale, programme de sous-marins nucléaires en partenariat avec la France, etc. Cependant, représenter un contrepoids aux États-Unis est peu probable, compte tenu de la différence de dimension économique. Son objectif est de préserver un espace pour son capitalisme (via le BNDES) dans la région. Les discussions autour de l’ALCA ont montré très bien cela.  Le leadership brésilien est reconnu de tous, mais l’Argentine peut difficilement déséquilibrer ce processus. L'Argentine ne dispose pas assez de masse critique pour se transformer en un centre d'attraction et n'a jamais été considérée comme un partenaire fiable par les autres pays d'Amérique du Sud, du fait de ses intérêts plus ciblés en Europe. Finalement, l’Argentine ne présente pas aujourd'hui un modèle attractif et manque de crédits externes pour faire face à ses problèmes. Les prochaines élections en Argentines seront importantes et il faudra que le Brésil soit attentif aux éventuels changements dans sa politique étrangère avec son voisin et partenaire.

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