Californie : "rendre le monde meilleur", oui, mais très vite<!-- --> | Atlantico.fr
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La Silicon Valley
La Silicon Valley
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Bonnes feuilles

Les enfants d’aujourd’hui initient leurs géniteurs aux nouvelles technologies pour qu’ils ne soient pas perdus dans le monde de demain. L'auteur raconte ces innovations de rupture qui vont transformer notre vie quotidienne : une manière originale de nous offrir à la fois l’antisèche des parents et l’encyclopédie des ados. Extraits de "Lettres à mes parents sur le monde de demain" de Dominique Nora, aux éditions Grasset 1/2

Dominique Nora

Dominique Nora

Dominique Nora, grand reporter à L’Obs, est l’auteur de plusieurs livres prophétiques, notamment Les possédés de Wall Street (sur les dérèglements de la finance, dès 1987), Les conquérants du Cybermonde (sur la naissance de l’économie internet, dès 1995) et Les pionniers de l’or vert (sur l’essor des énergies alternatives, dès 2009).

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Alors voilà : j'ai décidé de vous écrire de vraies lettres (si, si, par snail mail ou « courrier escargot », comme ils disent ici), à chaque fois que je serai étonné par une rencontre, une découverte, une visite d'entreprise, un événement. Pendant les mois qui viennent, je vous raconterai mes surprises, je vous ferai part de mes réflexions, des questions que je me pose. Et, quand vous viendrez me voir, pour les vacances de Pâques 2015 avec David et Arthur, on pourra en discuter de vive voix. Franchement, j'ai souvent l'impression de vivre sur une autre planète. Et là, je ne parle pas seulement des rapports hommes-femmes, si déconcertants pour nous autres Latins. Mais plutôt du rapport que les Californiens entretiennent avec la technologie, dont ils pensent qu'elle peut venir à bout de tous les problèmes.

Dire que le secret de cette Vallée si spéciale, c'est l'écosystème université-finance-entreprises, c'est vrai. C'est devenu un cliché. Mais je comprends, petit à petit, que l'important n'est pas là. Ou plutôt, que cette alchimie entre matière grise, capital et goût du risque n'aurait pas suffi à faire de cette région du monde ce qu'elle est devenue. Ce qui me fascine et m'effraie à la fois, c'est que les gens ici – je veux dire les professionnels que je rencontre, mais aussi les étudiants de Stanford ou de Berkeley, les spécialistes du capital-risque ou les aspirants entrepreneurs – semblent persuadés que rien n'est impossible. Toujours à l'affût des nouveautés, prêts à foncer… quitte à se planter et à recommencer. Ils ont confiance dans l'avenir : ils sont sûrs que les innovations de rupture – disruption, comme ils disent – sont à portée de main. Et surtout, qu'elles vont améliorer notre existence, dans tous les domaines. Ils semblent croire sincèrement que le progrès est inéluctable, et qu'il s'accélère sans cesse. Bref, qu'ils vont « rendre le monde meilleur » !

Cette phrase est devenue un vrai gimmick. D'ailleurs, elle est tellement sur-utilisée, proférée à tout bout de champ, qu'elle est l'un des gags récurrents de la série télé Silicon Valley. Une espèce de parodie de la culture geek qui règne, de San Francisco à San José. Il faudra que je la conseille à brother David, ça le fera beaucoup rire, lui qui est fasciné par les tycoons de l'informatique et qui veut s'orienter vers les métiers du Web !

C'est vrai que les brillants cerveaux d'ici ne doutent de rien ! Certains sont d'une arrogance sans limites. Et ça m'agace. Mais, en même temps, n'est-ce pas justement cet état d'esprit qui leur a permis de découvrir la fameuse « loi de Moore », qui a rendu les semi-conducteurs abordables et produit tous les dix-huit mois des ordinateurs deux fois plus puissants pour le même prix ? Sans cette conviction, ce grain de folie même, auraient-ils été capables, dans les années 1980, de mener la mutation des grands systèmes à la micro-informatique ? Se seraient-ils, dans les années 1990, lancés à corps perdu dans la révolution Internet ? Et à présent dans l'informatique mobile ?

Ils sont certes matérialistes. Mais pas seulement. Fortune faite, les mêmes pionniers des technologies de l'information – ceux qui ont créé ou financé Sun Microsystems, PayPal ou Yahoo! – jettent leur dévolu sur les nouvelles technologies les plus prometteuses. Ils pourraient profiter de leurs milliards, se reposer sur leurs lauriers. Leur descendance est à l'abri du besoin pour plusieurs générations. Mais non, ils semblent drogués à la technologie. Alors, ils misent à nouveau : à partir de 2005, sur les « green tech » porteuses des énergies renouvelables, et plus récemment sur les « biotech » qui manipulent la vie, les « nanotech » qui percent les secrets de l'échelon moléculaire, la robotique, et l'intelligence artificielle qui ambitionne de surpasser l'intelligence humaine… Faim, pauvreté, pénurie d'eau, réchauffement climatique, maladie, vieillissement : ils affirment que tous les grands problèmes de l'humanité peuvent être résolus à coup de science et de technique, de high-tech et d'approches innovantes. Les plus allumés prétendent même vaincre la mort !

Certains jours, je me prends à partager leur enthousiasme communicatif. Je me dis que je suis en train d'attraper le virus ; qu'au lieu de revenir en Europe à la fin de mon contrat de Volontaire International en Entreprise, je ferais mieux de rester ici et me faire embaucher dans une start-up, ou même de monter une boîte avec des copains. A d'autres moments, leur discours de boy-scout me paraît naïf, utopiste… voire manipulateur. Et si tout ce foin marketing sur le « progrès exponentiel » et le « meilleur des mondes » technologique était seulement un cache-sexe à leur envie de réussir, de faire fortune et de dominer la planète ? Un aimant pour l'argent du capital-risque ? Une justification bien commode pour cacher l'insanité des valorisations de leurs start-up ?

Tout va tellement vite ici, les chiffres sont tellement démentiels !

Extraits de "Lettres à mes parents sur le monde de demain", de Dominique Nora, aux éditions Grasset, 2015

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