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L’option Bayrou ? Pourquoi les départementales ont offert une nouvelle chance à l’homme du Modem
©Reuters

"Un centre uni, rien ne lui résiste"

Face à un PS à la dérive, et une UMP en crise, François Bayrou pourrait bien avoir une carte à jouer. C'est du moins ainsi que le maire de Pau tente de se positionner en soutenant ouvertement Alain Juppé. Dans l'optique de 2017, plusieurs hypothèses pourraient jouer en sa faveur.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : François Bayrou s'est exprimé mardi 31 mars sur iTélé au sujet de la victoire de l'UMP et de l'UDI aux départementales estimant que le centre n'était pas une "succursale de l'UMP". Cette alliance de l'UMP et de l'UDi ouvre-t-elle la voie pour François Bayrou et le Modem ? 

Jean Petaux : La position de François Bayrou n’est pas nouvelle. Sur ce point le Béarnais têtu qu’il est applique une seule devise : « Ne Varietur ». Littéralement : « Qu’il ne soit rien changé » (sous-entendu « à ma position »). C’est celle qu’il exprima au congrès de Toulouse lors de la formation de l’UMP quand il refusa que « l’UDF-Canal historique » intègre l’UMP… On se souvient de sa fameuse phrase : « Quand on pense tous la même chose, on ne pense plus rien ». Ses opposants peuvent au moins lui accorder le bénéfice de la constance. Alors est-ce que ce rappel en forme de principe originel : « Le centre n’est pas une succursale de l’UMP » ouvre des perspectives ? Oui s’il est reçu comme la marque d’une volonté d’indépendance organisationnelle au sein d’une coalition hostile au gouvernement actuel. Non si la réception qui lui est réservée est celle d’une énième manifestation de l’hostilité que Bayrou nourrit à l’égard d’une partie de l’UMP… et surtout envers son actuel président… Tout dépend donc de l’ interprétation. Et en politique celle-ci est souvent plus importante que le message initial lui-même.

Selon une information Europe 1, Nicolas Sarkozy aurait décidé d’ouvrir la primaire de 2016 au centre et le patron de l'UDI aurait été encouragé à l'accepter. Si François Bayrou ne possède pas les réseaux de l'UDI, il n'en est pas moins dépourvu d'une stature de présidentiable. L'UDi ralliée à l'UMP pour les présidentielles, cela peut-il laisser présager une aventure comme celle de 2007 pour François Bayrou ? 

Jean Petaux : Tout va dépendre des conclusions du rapport que Thierry Solère (député des Hauts-de-Seine) doit rendre avant la fin du mois d’avril et qui doit faire des propositions pour l’organisation pratique de ces fameuses primaires à droite, premières du genre. Il est clair aujourd’hui que François Bayrou est un homme seul et sans infrastructure organisationnelle. Qu’on le veuille ou non sous la Ve République même si les partis sont devenus des coquilles vides (à moins que cela ne soit des « EHPAD pour militants), il est encore nécessaire d’avoir un embryon de structure pour se lancer dans le « grand cirque présidentiel ». Lors de sa candidature au premier tour de la présidentielle de  2007 François Bayrou avait encore l’UDF d’avant le Modem. Ce n’est qu’entre les deux tours de cette même élection présidentielle que les plus opportunistes de son entourage (Hervé Morin, Jean-Christophe Lagarde, ou encore Maurice Leroy) vont former le Nouveau Centre en refusant la consigne de « non-choix » de Bayrou et se désisteront, quant à eux, en faveur de Nicolas Sarkozy.

Est-ce que les circonstances de 2017, dix ans plus tard, seront comparables (à défaut d’être exactement identiques…) à celle de 2007 ? Je ne le pense pas. Même si François Bayrou, de mon point de vue, n’a rien perdu de son ambition présidentielle et même si l’aventure le tente plus que jamais….

Comment interpréter le soutien "pour l'heure" de François Bayrou à Alain Juppé dans le cadre des primaires UMP et de la présidentielles de 2017 ? Faut-il y voir une habile façon d'ouvrir la voie à une force centriste indépendante pour la présidentielle ?

Jean Petaux : Cela me semble assez simple. François Bayrou soutient Alain Juppé dans des primaires « ouvertes jusqu’au Modem  compris ». Si les primaires sont « semi-ouvertes » (incluant seulement l’UDI ou seulement des votants militants par exemple à jour de leurs cotisations) voire « fermées » et donc strictement réservées aux adhérents de l’UMP, François Bayrou sera totalement libre de ses actes. D’un strict point de vue formel il n’a d’ailleurs pas du tout intérêt à se « lier les mains » en étant candidat à une primaire dont l’issue le concernerait (pour ne pas dire « l’entraverait ») en quelque sorte. Il a donc tout intérêt à laisser Alain Juppé revendiquer la place de premier opposant interne à Nicolas Sarkozy au sein de l’UMP d’abord et de la droite et du centre-droit.  En fait si les primaires ne tournent pas en faveur d’Alain Juppé, François Bayrou qui ne se présentera pas à l’élection présidentielle « officielle » en 2017  contre le maire de Bordeaux, aura tout le loisir, en revanche, d’affronter au premier tour de la présidentielle (en « indépendant » en quelque sorte)  le vainqueur de la primaire à droite qui pourrait alors être Nicolas Sarkozy. Il pourra d’autant plus le faire qu’il n’aura signé aucun accord avec l’UMP sarkozyste…

En clair François Bayrou dit à Alain Juppé : « si tu es élu lors de la primaire à droite à l’automne 2016 je te soutiendrai pour la présidentielle d’avril-mai 2017. Si tu es battu par Sarkozy dans cette même primaire, je me présenterai contre lui à la présidentielle ».

Face à un Parti socialiste affaibli mais avec un Front national en hausse peut-il espérer un accès au second tour ? 

Jean Petaux : Dans la configuration que vous présentez, l’issue pour François Bayrou me semble plus favorable que celle qu’il a connue face à Ségolène Royal dans le « match dans le match » qui l’opposa à elle au premier tour de 2007 pour parvenir à décrocher l’une des deux places qualificatives pour la « finale » (le second tour). Mais la situation de 2017 sera, selon toute vraisemblance, très différente de celle qu’on a pu connaître en 2007 ou en 2012. Désormais tous les acteurs sont identifiés. François Bayrou en 2007 incarnait une solution électorale possible offerte à celles et ceux qui, au centre-gauche et surtout au PS ne voulaient pas de Ségolène Royal. Parviendra-t-il à se repositionner sur ce créneau ? Rien n’est moins sûr. Mais il parie certainement sur un élément fort : le degré de rejet de Nicolas Sarkozy, le niveau de détestation qu’il atteint dans les rangs de certains électeurs de droite et de centre-droit dont Alain Juppé capte l’héritage aujourd’hui encore mais qu’il faudra bien gérer si, pour une raison ou pour une autre, ce même Alain Juppé ne se présente pas au premier tour de l’élection présidentielle.

Mais la véritable inconnue de 2017 est celle du « mouchoir de poche » dans lequel va se jouer la course aux deux premières places au soir du 1er tour. Il est assez probable que 4 candidats se tiendront dans une fourchette de 2 points en 20 et 18%. Et que l’un passera devant les autres à la faveur de quelques décimales en termes de pourcentage par rapport aux suffrages exprimés. Dans un tel contexte tout dépendra de la nature du « binôme finaliste ». Il est peu probable qu’on soit en présence d’un duel « Bayrou – Juppé » qui n’aurait aucun sens. Je propose donc d’écarter cette option.

Il reste donc 4 scénarii possible.  

1 - on peut très bien avoir un affrontement : « Le Pen – Bayrou » si Bayrou parvient à dépasser Nicolas Sarkozy au premier tour. Dans ce cas, il me semble que François Bayrou sera élu sans problème au soir du 2nd tour.

2 - on peut aussi, si Marine Le Pen plafonne et si le candidat socialiste est vraiment désavoué, se retrouver dans une configuration « Sarkozy – Bayrou » avec l’élimination au soir du 1er tour du candidat PS (modèle « présidentielle 1969 » où Georges Pompidou – UDR - affronta Alain Poher  - Centriste -). Dans ce cas-là il est très probable que Bayrou sera élu face à Sarkozy, puisque le candidat Modemaura pu rallier sur son nom nombre d’électeurs socialistes hostiles au retour de Sarkozy.

3 - si François Bayrou est en compétition avec un candidat socialiste il aura beaucoup de difficulté à obtenir les voix des électeurs  de l’UMP (sans parler de ceux qui auront voté FN et qui auront vu leur championne disqualifiée elle aussi).

4 - dernière hypothèse : Nicolas Sarkozy se retrouve face à un candidat socialiste et François Bayrou est troisième (modèle 2007) ou quatrième (modèle 2012) : c’est l’une des situations que nous avons connues à ce moment-là qui se reproduit… En tout état de cause François Bayrou après un quatrième échec à l’élection présidentielle n’aura plus qu’un objectif : se représenter en 2020 pour essayer de battre le record d’Arlette Laguillier…

Donc dans 2 situations sur 4 François Bayrou peut l’emporter. Encore une fois à condition que l’une de ces hypothèses se confirme et se construise ainsi.

Dans quelle mesure le changement au sein de l'électorat, la montée du FN et le passif de François Bayrou peuvent-ils présenter des obstacles au maire de Pau ?

Jean Petaux : Tout dépend de ce que vous entendez comme « passif » pour François Bayrou ? Si vous évoquez l’appel à faire battre Sarkozy d’entre les deux tours de 2012 oui c’est vrai que cela figure certainement dans la colonne « passif » du « bilan comptable politique » de François Bayrou du point de vue des militants et sympathisants UMP. Pour ce camp-là François Bayrou a définitivement rejoint la famille des « traitres » où figurent en bonne place Judas Iscariote et  Ganelon voire Grouchy (même si l’histoire a récemment réhabilité ce dernier dans sa responsabilité de la défaite de l’Empereur à Waterloo). La montée du FN ne me semble pas à ranger dans la même catégorie que celle de la perception de François Bayrou par les électeurs de la droite républicaine. Tout simplement parce que tant Marine Le Pen que le maire de Pau ne chassent pas du tout sur les mêmes terres. Autrement dit ils ne se concurrencent pas directement. On peut même considérer que plus le FN grimpera dans l’électorat et plus l’UMP et/ou le PS seront affaiblis, dégageant ainsi le terrain pour un François Bayrou.

Ce qui est sûr et certain, au milieu de tout cela, c’est que celui qui craint le plus François Bayrou c’est bien évidemment Nicolas Sarkozy. Il l’a beaucoup craint en 2007, pensant même que si le Béarnais arrivait à se qualifier au second tour ce serait très difficile pour lui, Nicolas Sarkozy, de l’emporter. Il l’a littéralement détesté en 2012 considérant que c’est lui qui l’a fait perdre en indiquant publiquement son choix personnel en faveur de François Hollande. Comme Nicolas Sarkozy est d’abord et avant tout un angoissé doublé d’un grand peureux, il est absolument obsédé par François Bayrou en qui il trouve sans doute matière à conforter sa paranoïa primaire. En d’autres termes Sarkozy fera tout pour éliminer Bayrou de la course finale.

On le mesure aisément : les obstacles sont très nombreux sur le chemin de l’Elysée, en 2017, pour François Bayrou.

Prière néanmoins de ne jamais oublier la réflexion de François Mitterrand à l’égard du maire de Pau, biographe d’Henri IV : « Un homme qui parvient, arrivé à l’âge adulte, à maitriser et vaincre le bégaiement qui a été le sien, est doté d’une force de caractère hors du commun qui fait que rien ni personne ne peut l’abattre tant qu’il n’a pas atteint son objectif ». Et celui de François Bayrou n’a pas plus varié que sa volonté d’indépendance par rapport à l’UMP : c’est l’Elysée.

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