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"Game of Thrones" inspiré d'un modèle d'un modèle d'écriture dramatique datant de 1800
©HBO

Bonnes feuilles

Après un premier volume consacré aux séries classiques (Docteur House, Section de recherches, etc.), Vincent Colonna, sémiologue, continue d’éclairer, avec ce tome 2, les grandes tendances de l’évolution de la culture. Extraits de "L’Art des séries télé" aux éditions Payot 2/2

Vincent   Colonna

Vincent Colonna

Vincent Colonna est consultant en séries télé. Il est l'auteur de deux volumes sur la technique narrative de la série télé : L'art des séries télé, tome 1 et 2, Payot éditeur.

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Robespierre avait dressé l'éloge du caractère populaire du mélodrame, et de sa capacité à catéchiser le devoir, bien mieux que la tragédie : Nous éprouvons que nos larmes peuvent couler pour d'autres malheurs que ceux d'Oreste et d'Andromaque ; nous sentons que plus l'action ressemble aux scènes de la vie, plus les personnages sont rapprochés de notre condition, plus l'illusion est complète, l'intérêt puissant et l'instruction frappante.

Mais essayez l'expérience suivante : remplacez dans cette histoire la moralité par l'immoralisme, la mièvrerie par une sexualité éclatante, l'absence de mystère dans la forêt par du surnaturel et des accessoires mythologiques, rajoutez des vampires et des luttes de pouvoir, conservez la Bohème mais au Moyen Âge, n'est-ce pas une belle histoire de fantasy ?

Autre essai : enlevez les reconnaissances et les liens de parenté, changez les paysages et les époques, conservez le reste élément par élément et mélangez le tout dans une narration compliquée ; n'avez-vous pas obtenu, au choix, un policier, un récit criminel, un western, sophistiqués, bref la série d'auteur qui vous plaît ?

De même qu'avec la « pièce bien faite » avait été mis au point vers 1800 un modèle d'écriture dramatique increvable, le mélodrame a forgé une panoplie de héros et de situations promise à une très longue fortune, sur laquelle capitalise encore Game of Thrones

Le système de Scribe était en grande partie logique, il consistait en un ensemble de procédés pour jongler avec les situations, produire le maximum d'attentes et de surprises. Aucun motif, aucun thème n'était imposé, à part le primat du hasard dans le déroulement des événements. Le système de Pixérécourt était plus exaltant, il offrait une riche matière symbolique, des situations à base de puissants et de misérables, d'injustice et de justice, de crime et de vengeance, de famille brisée et de romance irrépressible, de paysages rares.

Mais les deux systèmes étaient complémentaires, chacun pouvait avoir besoin de l'autre ; Scribe a écrit ou adapté des mélodrames ; Pixérécourt, démodé plus vite, pillé par les romantiques, a dû regretter à la fin de sa vie, de ne pas posséder le talent purement formel de son collègue à l'Académie française. Encore pouvait-il se consoler en songeant qu'il avait su thésauriser ses gains, se ménager une retraite confortable, un autre créateur du mélodrame, presque aussi important que Pixérécourt, était mort en 1842, pauvre et oublié.

La Révolution française, en balayant l'Ancien régime, a donné le jour à deux systèmes dramatiques, à deux formules théâtrales. Charles Nodier soutenait que le mélodrame, en montrant que la vertu n'est jamais sans récompense, et que le crime suscite toujours un châtiment, était la moralité de la Révolution. La « pièce bien faite », en suggérant que l'Histoire progresse à coups de quiproquos et de coïncidences, jetait par avance la suspicion sur cette justice immanente ; elle était l'immoralité de la Révolution ; la leçon tirée de l'enrichissement par les Biens nationaux et de ceux qui avaient survécu à la Terreur.

Je sais que ce parallélisme a quelque chose de trop parfait. Faguet s'en plaignait et disait avoir lutté pour l'écarter. Et pourtant, il faut s'en contenter et plus encore car nous devons bien accepter qu'une bonne partie des techniques qui dominent la télévision aujourd'hui, soient nées deux siècles plus tôt, pour répondre à un climat moral postrévolutionnaire.

À quel climat répond la série d'auteur ? C'est vers elle que nous progressons, en paraissant nous en éloigner. Nous approfondissons la façon contemporaine de « vivre un moment dans un monde de héros et de dieux » pour reprendre la formule de Mauss ; nous enquêtons sur la généalogie du drame moderne.

Dieux

L'évocation du divin dans des séries laïques mérite une explication. On sait que les dieux et les démons sont partout dans Game of thrones, la série offre un panthéon surnaturel d'une grande qualité. Cet aspect est souvent présent dans les séries qui ont rapport avec le « fantastique », cet archigenre comprenant l'anticipation, la science-fiction, le postapocalyptique, le surnaturel, la fantasy, le merveilleux et toutes les formules de ce type. Dès qu'il y a « fantastique », l'inhumain n'est pas loin et à défaut de divin, la présence d'Esprits, ou le soupçon de leur présence, se dessine. Qu'il y ait du divin dans les séries fantastiques parait donc normal.

Mais comment les genres réalistes, le western, l'historique, le médical, le policier, peuvent-ils accueillir de l'inhumain, des forces supérieures ? et ainsi proposer ce séjour dans un monde de héros et de dieux, fonction de tout drame selon la formule de Mauss ?
D'abord, il y a les personnages démesurés, bigger than life, ces héros ou héroïnes indestructibles, qui ont nom Dexter, Tony Soprano, Walt White, Patty Hewes et Helen Parsons, Nancy Botwin, et beaucoup d'autres. Leur énergie, leur capacité à se sortir de toutes les situations, rend ces protagonistes différents des autres êtres humains. Leur nature qui ne ploie jamais les rapproche des demi-dieux, le premier sens de héros.

Ensuite, les forces supérieures sont plus nombreuses qu'on ne le croit. Notre imagination, et ce que certains auteurs appellent la « pensée symbolique », les invoque sans cesse. Derrière les personnages et même les événements, dès lors qu'ils sont perçus comme sympathiques et antipathiques, agréables et désagréables, des forces sont mises en mouvement, des forces qui les dépassent.

Qui n'a pas senti que les protagonistes d'une histoire incarnaient des puissances supérieures à leur rôle ? qu'à travers eux, un conflit quasi-cosmique se déroulait ? Qui n'a pas lu dans une feuille de chou, à propos d'une grosse production cinématographique : « Les forces du bien et du mal s'affrontaient dans un combat sans merci » ?

Extraits de "L’Art des séries télé" de Vincent Colonna, aux éditions Payot, 2015

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