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Vers un défaut de la dette grecque : un scénario tellement évitable et pourtant de plus en plus probable
©Reuters

Dialogue de sourds

A l'issue d'âpres négociations entre le gouvernement Tsipras et les créanciers de la Grèce à Bruxelles (BCE, FMI et Commission européenne), les possibilités de parvenir à un accord sont très minces voire nulles. Le pays pourrait se retrouver en défaut de paiement le 9 avril.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Selon les économistes de la Deutsche Bank, la Grèce pourrait faire défaut dès le 9 avril. Angela Merkel et Alexis Tsipras affichent une entente cordiale, cependant cela change-t-il quoi que ce soit aux désaccords de fond entre les deux pays ?

Alexandre Delaigue : Ce n'est pas seulement un désaccord de fond entre deux pays mais entre l'ensemble des bailleurs de fonds et la Grèce. Il ne faut pas cantonner cette question au simple dialogue plus ou moins cordial entre l'Allemagne et la Grèce. D'autres pays n'ont pas particulièrement envie que la Grèce puisse obtenir une situation particulièrement avantageuse à commencer par l'Espagne. Il ne faut pas trop attendre de ce genre de relations interpersonnelles.

Le problème de fond est que les dirigeants grecs actuels devraient, s'ils souhaitent obtenir quelque chose, susciter de la part des autres pays européens une confiance qu'ils ne suscitent pas pour le moment. On peut toujours dire qu'on est de bonne volonté mais cela ne change rien. Ils ont gâché une bonne partie du capital sympathie et du capital confiance qu'ils pouvaient avoir avec une gestion difficile des débuts. Ils sont arrivés en suscitant la curiosité et au bout de deux semaines, ils ne suscitaient plus que la méfiance. Certains éléments de gestion médiatique n'ont pas été très bons comme le fait d'avoir fait passer des protocoles d'accords devant la presse alors que ces derniers n'étaient pas encore négociés par exemple.  Il y a ensuite eu un accord dans lequel les contraintes budgétaires étaient suspendues pour la Grèce à condition que le gouvernement soumette un ensemble de propositions et de réformes qui n'étaient manifestement pas à la hauteur de ce qu'attendaient les Européens. Il faut commencer par proposer quelque chose. Le problème c'est que les dirigeants grecs ont été élu pour un mandat et n'ont pas la possibilité de tout faire car cela ne passerait pas nécessairement auprès de la majorité du parlement grec et encore moins auprès des électeurs de Syriza.

Jean-Michel Rocchi : Il n’y a effectivement aucune entente pour deux raisons principales :

Tout d’abord l’Allemagne a fait le choix de l’économie de marché tandis que la Grèce a choisi un modèle crypto-communiste (en dépit d’un accord opportuniste avec les "Grecs indépendants" proches de l’extrême droite), madame Merkel sait que le marxisme est une impasse pour ne pas dire une chronique d’un désastre annoncé, elle vient de l’ex RDA et sait que la Grèce va dans le mur. Mais il faut respecter ce choix démocratique, M Tsipras et Syriza sont le choix des urnes. Il a choisi de prendre la zone euro en otage, la zone euro n’est pas obligée de céder à son chantage.

Les gouvernements grecs qui ont précédé l’arrivée de la coalition des extrêmes étaient des tricheurs, ils sont responsables d’avoir truqué les comptes nationaux (avec l’aide efficace de Goldman Sachs d’ailleurs). Personne n’a véritablement envie de céder aux truqueurs pas plus dans le reste de l’Europe qu’en Allemagne.  

La belle citation de Cioran dans Cahiers atteste du mauvais choix des grecs en son temps : "n’écris rien dont tu aies à rougir dans les moments de suprême solitude. La mort plutôt que la tricherie ou le mensonge". Finalement la tricherie aboutira peut-être aussi à la mort symbolique de l’Etat grec avec sa défaillance financière. Deutsche Bank à raison c’est clairement une éventualité.

Selon l'Allemagne, une politique de rigueur couplée à des réformes structurelles est nécessairement vertueuse et porteuse d'améliorations. Dans quelle mesure cette vision est-elle exacte dans le cas de la Grèce ?

​Alexandre Delaigue : Pour l'instant, si on regarde le cas de la Grèce les types de réformes demandés par la troïka et par l'Union européenne sont un échec complet. La méthode employée par l'Europe avec la Grèce n'a pas fonctionné. On peut essayer de chercher les responsabilités de chacun mais il faut commencer par faire ce constat. Ce cocktail de beaucoup d'austérité budgétaire avec un certain nombres de réformes, beaucoup de privatisation, etc..  n'a absolument pas marché. Néanmoins, entre les propos et la réalité, il faut constater qu'il y avait déjà une réorientation en cours. En pratique actuellement, il y a beaucoup moins d'austérité budgétaire demandée à la Grèce. Nous ne sommes d'ailleurs plus vraiment dan sun contexte où l'austérité budgétaire est un enjeu. Les anciens accords de 2012/2013 prévoyaient que la Grèce devait avoir à partir de maintenant un excèdent budgétaire de 4,5%. Tout le monde voit bien que dans les négociations cet objectif est le premier à pouvoir sauter. A condition bien évidemment que la Grèce mène un certain nombre de réformes qui relèvent beaucoup d'une volonté de contrôle.

Nous sommes actuellement dans une optique de contrôle. Vous n'êtes disposé à exercer un soutien que si vous pouvez exercer un contrôle. De la part de l'UE, il y a une réelle volonté de ne plus être dans la logique de réformes absolument obligatoires. Si le discours demeure quelque peu, sur le fond cela n'existe plus. Alors, quel est le problème exactement ? Le gouvernement grec annonce la loi sur la pauvreté et l'urgence sociale, sans prévenir les Européens et sans le faire figurer à l'intérieur du plan de réformes. Comment avoir confiance dans ce cas-là ? On surestime la dureté des Européens et l'intransigeance de l'Allemagne. Il y a une vraie volonté de ne plus être comme avant mais cela rend indispensable un gouvernement grec qui montre qu'il est prêt à jouer le jeu. Tout le monde est prêt à faire des efforts à conditions que ce ne soit pas un pays qui dise, vous m'avez octroyé des fonds, vous m'avez permis de participer à l'ensemble mais je n'en fait qu'à ma tête. Ce n'est pas possible et c'est pour cela que le jeu tourne autour de la confiance et du contrôle. L'Europe veut pouvoir contrôler ce qui se passe en Grèce.

Jean-Michel Rocchi : Les réformes structurelles sont un excellent exemple du fait qu’un accord sera très difficile à trouver tant les positions sont opposées :

La question des privatisations : l’Union européenne veut que les recettes des privatisations contribuent au redressement des finances publiques, le gouvernement Tsipras a pris une position idéologique d’hostilité de principe car le marxisme préconise au contraire les nationalisations.

La réforme de la fiscalité : alors que l’Union européenne conseille une hausse des impôts (par exemple la fin de la TVA dérogatoire dans les îles), le gouvernement Tsipras de manière assez pragmatique dénonce au contraire des risques pour le tourisme en cas de hausses d’impôts.

Que valent les propositions de la Grèce et surtout que valent leurs prévisions ? Il ne faut plus se bercer d’illusions, et être vigilents. Il ne faut pas oublier le fameux mot de Sir Winston Churchill : "je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées".

A cet argument, le ministre grec des finances Yanis Varouflakis rétorque que les liquidités injectées en Grèce ne sont pas de nature à aider la Grèce à faire repartir son économie, et ne contribuent donc pas à ce que les réformes demandées soient menées. Là aussi, dans quelle mesure le gouvernement grec a-t-il raison ?

​Alexandre Delaigue : C'est vrai sur ce qui a été fait dans le passé. Aujourd'hui la situation de l'aide à la dette grecque est en fait un simple jeu d'écriture. La Grèce doit des versements réguliers de dette et l'UE et le FMI verse à intervalles réguliers des fonds à la Grèce pour qu'elle puisse rembourser ses anciens prêts. Nous ne sommes plus dans une optique de prêter quoique ce soit. Nous sommes dans une optique de maintenir le contrôle.

La dette existe toujours même si tout le monde sait qu'elle ne sera pas réellement payée. Tout le monde dit, l'argent est dû et nous vous en prêtons pour que vous puissiez nous rembourser. Evidemment cette situation de contrôle n'est pas très agréable pour les dirigeants grecs qui se voient amputés d'une partie de leur pouvoir.

La question de la dette grecque est aujourd'hui secondaire. Le problème n'est plus le risque que la dette s'étrangle en raison du paiement de la dette. La charge de la dette pour la Grèce c'est moins que l'Italie, que Portugal, que toute une série de pays en Europe.

Qu'est-ce qui serait alors pertinent aujourd'hui ? Il y aurait effectivement des possibilités d'aider la Grèce avec des investissements mais cela nécessite un certain degré de confiance. On pourrait imaginer que dans le cadre du plan Juncker il y ait des prêts préférentiellement accordés à la Grèce pour favoriser l'investissement. Etant-donné la situation de la Grèce actuellement, qui peut croire que ces fonds vont être bien dépensés ? Personne. C'est pour cela que le préalable de la confiance est important. Ajouter à cela, un gouvernement grec qui s'engage à entreprendre certaines politiques et qui ensuite l'encre à peine sèche, met en œuvre des mesures complètement différentes, comme ce plan anti-pauvreté. La question, encore une fois n'est pas de savoir si ce plan est légitime. L'argument du ministre de l'économie et des finances grec est tout à fait juste. Mais pour pouvoir mettre en œuvre un véritable soutien à l'investissement en Grèce, il faut établir un degré de confiance que la Grèce n'a pas.

Jean-Michel Rocchi : Les propos du ministre sont excessif et de mauvaise foi car la Grèce est clairement favorisée dans les Fonds Européens. Entre 1981 (date de son adhésion à l’Europe), et aujourd’hui la Grèce a reçu annuellement en moyenne 3 milliards d’euros d’aide européenne. Pour l’essentiel via le Fonds européen de développement régional (Feder), Fonds social européen (FSE), Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (Feoga), et de l’instrument financier d’orientation de la pêche (IFOP). Il existe en Grèce un outil, le cadre de référence stratégique national (ESPA en grec). Pour la période 2014-2020 l’ESPA devrait disposer de 26 milliards dont 21 milliards venus de l’Europe et 5 provenant de l’Etat grec. L’ESPA contribue largement aux dépenses d’investissements en infrastructures (autoroutes, ponts, barrages …). Depuis 1981, la solidarité a joué pleinement en faveur de la Grèce, qu’elle se pose à présent en victime est indécent.

Alexis Tsipras bénéficie d'un fort appui populaire dans son pays (47,8 % d'intentions de vote pour son parti), ce qui laisse à penser que s'il cède, il perdra de cette popularité. En Allemagne, l'opinion publique attend du gouvernement qu'il ne fasse pas de concessions non plus. La pression des peuples condamne-t-elle les négociations au marasme, voire à l'explosion ?

​Alexandre Delaigue : Pour le cas de l'Allemagne, il est assez clair que la politique de gouvernement allemand est beaucoup moins dure que ce que souhaiterait l'opinion publique allemande. Et cela vaut pour toutes les opinions publiques en Europe. La Grèce ne suscite pas un vaste enthousiasme contre la politique des différents gouvernements, les gens ne comprennent pas. L'opinion publique dans les pays européens est parfois plus dure que les gouvernements mais cela ne pose pas de problème.

Dans le cas de la Grèce et de Syriza, la situation est nettement plus compliquée. Mais Syriza n'a pas un mandat pour sortir la Grèce de l'euro. Il y a une vraie lassitude de la population grecque vis-à-vis des anciens dirigeants, ce qui est tout à fait compréhensible. Syriza répond à ce besoin de renouvellement de personnel politique. Mais le mandat de Syriza est de rester dans la monnaie unique. Si Syriza entrait dans une situation à la limite de la sortie de l'euro, c'est là que sa popularité commencerait réellement à baisser. Sans même une sortie de la Grèce de l'euro, si le gouvernement grec se met en défaut de paiement avec des contrôles de capitaux, il y aura probablement des problèmes de pénurie de carburant, de médicaments, etc. Des fonctionnaires payés en IOU, leur valeur va s'effondrer. Si la situation venait vraiment à s'envenimer, le soutien de Syriza diminuerait considérablement. D'un autre côté Syriza doit aussi obtenir quelque chose. Là aussi, s'ils disent au bout de deux mois, ce sera exactement comme si vous aviez voté pour les autres, leur popularité baissera également. Mais ce n'est pas totalement impossible. Tout dépend de ce qu'ils veulent faire aussi. Pour eux, le plus dangereux, selon moi, c'est de commencer à faire défaut en poursuivant le bras de fer avec l'EU, je pense qu'ils n'ont pas les cartes en main pour le faire. La population leur pardonnera beaucoup plus facilement une retraite honorable qu'un bras de fer qui aurait des conséquences dramatiques, instantanées pour l'économie et la population grecques.

Jean-Michel Rocchi : Les Grecs ont la mémoire courte des transferts massifs et dénoncent l’austérité des dernières années mais il fallait rompre avec les dérives. Tsipras a promis la lune pour être élu, cela n’engage que lui et pas l’Europe. On connait la célèbre phrase sans appel de René Descartes : "l’ingratitude est un composé d’égoïsme, d’orgueil et de stupidité".   

Entre 1980 et 2005 le PIB de la Grèce a été pratiquement multiplié par 5 en 25 ans, cela se passe de commentaire, un grand merci aux fonds structurels européens ! 

GRECE

                  1980

     1985

      1990

     1995

      2000

     2005

En milliards de $

                   53,6

      45,1

       92,1

    128,8

     127,6

       242,6

A titre de comparaison sur la même période en milliards d’euros le PIB de la France est passé de 453 milliards d’euros en 1980 à 1772 soit un peu plus de trois fois plus. Les observateurs ont trop tendance à regarder les choses à très courte période, les 15 points de PIB perdus en 2011 et 2012 sont certes impressionnants, mais ils masquent la hausse vertigineuse des 30 années qui ont précédé grâce à l’Europe.   

Avec une vérité contre une autre vérité, est-on dans l'impasse ? L'Europe doit-elle, d'une manière ou d'une autre, "en finir" avec la Grèce ?

​Alexandre Delaigue : A partir du moment où je vous prête de l'argent et quand vous devez me le rembourser, je vous en redonne et que l'on fait ça de manière indéfinie, ce n'est pas réellement un défaut de la Grèce, mais une forme d'acceptation que vous ne reverrez pas votre argent. Simplement ce que veulent les Européens pour l'instant, c'est un moyen de contrôler la Grèce, c'est un moyen si la Grèce veut rester dans la zone euro de la rendre plus européenne de force. Cela relève de la contrainte, nous sommes bien d'accord. Nous sommes dans cette logique et c'est quelque chose qui est accepté sans difficulté particulière. Paradoxalement si la Grèce veut sortir de l'euro, il faudra qu'elle rembourse ce qu'elle doit et ce sera une négociation extrêmement dure. On accepte mais on n'annule pas totalement la dette.

Jean-Michel Rocchi : Tout le problème provient d’un choix politique n’ayant pas de vrai fondement rationnel du point de vue économique et financiers, et ce n’est pas un cas unique. Il ne faut pas oublier que la Grèce avait un niveau de vie très éloigné de la moyenne européenne si elle a été admise cela a été une aide à un pays qui accédait à un retour à la démocratie (après la dictature des colonels), une telle motivation se retrouve dans l’adhésion du Portugal (post-Salazar), de l’Espagne (après Franco) et plus récemment de la Roumanie (Ceaucescu). Une bonne action politique a souvent engendré en Europe des problèmes économiques futurs.   

Economiquement, une sortie de la Grèce de l’euro sera avant tout préjudiciable pour elle. Les traités n’ont pas prévu de mécanisme d’exclusion, il existe un flou juridique.  

Du point de vue culturel une Europe sans les Grecs ce ne serait pas vraiment l’Europe (le nom même provient d’une déesse grecque), c’est aussi le berceau de la démocratie et de la philosophie.    

Alexis Tsipras a clairement signifié qu'entre ne pas payer les créanciers internationaux de la Grèce, y compris le FMI, et payer ces derniers sans pouvoir rémunérer les fonctionnaires grecs à l'arrivée, il choisira la première option. Dans ces conditions, ne faut-il pas tout de même se résigner à laisser partir la Grèce de l'euro ?

Jean-Michel Rocchi : M. Tsipras n’est pas le premier homme politique prisonnier de promesses démagogiques. Les menaces de ne pas rembourser la dette sont l’expression d’une stratégie dite du faible au fort car si la Grèce peut agiter la menace de se placer en défaillance, dans ce dernier cas qui financera le nouveau déficit à venir car le budget grec est encore loin d’être à l’équilibre. M Tsipras devrait méditer ce propos de Louis-Ferdinand Céline : "on ne meurt pas de dettes. On meurt de ne plus pouvoir en faire". Certes en 2013, la dette publique grecque représentait environ 175% du PIB, mais au-delà de cela et c’est bien plus grave, plus grand monde n’a confiance dans ce pays, pas plus les Etats que les marchés financiers.   

Il ne faut pas avoir peur économiquement d’une sortie de la Grèce de l’Euro. Un chaos social dans la péninsule héllénique serait par contre beaucoup plus problématique et pas que pour M Tsipras. Nos voisins suisses ont déjà organisé avec l’efficacité (et une pointe de cynisme) qui les caractérise des manœuvres à grande échelle pour boucler les frontières face à un risque théorique de réfugiés venant des pays d’Europe du sud (France incluse).    

Alexandre Delaigue : Ce n'est pas seulement un désaccord de fond entre deux pays mais entre l'ensemble des bailleurs de fonds et la Grèce. Il ne faut pas cantonner cette question au simple dialogue plus ou moins cordial entre l'Allemagne et la Grèce. D'autres pays n'ont pas particulièrement envie que la Grèce puisse obtenir une situation particulièrement avantageuse à commencer par l'Espagne. Il ne faut pas trop attendre de ce genre de relations interpersonnelles.

Le problème de fond est que les dirigeants grecs actuels devraient, s'ils souhaitent obtenir quelque chose, susciter de la part des autres pays européens une confiance qu'ils ne suscitent pas pour le moment. On peut toujours dire qu'on est de bonne volonté mais cela ne change rien. Ils ont gâché une bonne partie du capital sympathie et du capital confiance qu'ils pouvaient avoir avec une gestion difficile des débuts. Ils sont arrivés en suscitant la curiosité et au bout de deux semaines, ils ne suscitaient plus que la méfiance. Certains éléments de gestion médiatique n'ont pas été très bons comme le fait d'avoir fait passer des protocoles d'accords devant la presse alors que ces derniers n'étaient pas encore négociés par exemple.  Il y a ensuite eu un accord dans lequel les contraintes budgétaires étaient suspendues pour la Grèce à condition que le gouvernement soumette un ensemble de propositions et de réformes qui n'étaient manifestement pas à la hauteur de ce qu'attendaient les Européens. Il faut commencer par proposer quelque chose. Le problème c'est que les dirigeants grecs ont été élu pour un mandat et n'ont pas la possibilité de tout faire car cela ne passerait pas nécessairement auprès de la majorité du parlement grec et encore moins auprès des électeurs de Syriza.

Jean-Michel Rocchi : Il n’y a effectivement aucune entente pour deux raisons principales :

Tout d’abord l’Allemagne a fait le choix de l’économie de marché tandis que la Grèce a choisi un modèle crypto-communiste (en dépit d’un accord opportuniste avec les "Grecs indépendants" proches de l’extrême droite), madame Merkel sait que le marxisme est une impasse pour ne pas dire une chronique d’un désastre annoncé, elle vient de l’ex RDA et sait que la Grèce va dans le mur. Mais il faut respecter ce choix démocratique, M Tsipras et Syriza sont le choix des urnes. Il a choisi de prendre la zone euro en otage, la zone euro n’est pas obligée de céder à son chantage.

Les gouvernements grecs qui ont précédé l’arrivée de la coalition des extrêmes étaient des tricheurs, ils sont responsables d’avoir truqué les comptes nationaux (avec l’aide efficace de Goldman Sachs d’ailleurs). Personne n’a véritablement envie de céder aux truqueurs pas plus dans le reste de l’Europe qu’en Allemagne.  

La belle citation de Cioran dans Cahiers atteste du mauvais choix des grecs en son temps : "n’écris rien dont tu aies à rougir dans les moments de suprême solitude. La mort plutôt que la tricherie ou le mensonge". Finalement la tricherie aboutira peut-être aussi à la mort symbolique de l’Etat grec avec sa défaillance financière. Deutsche Bank à raison c’est clairement une éventualité.

Selon l'Allemagne, une politique de rigueur couplée à des réformes structurelles est nécessairement vertueuse et porteuse d'améliorations. Dans quelle mesure cette vision est-elle exacte dans le cas de la Grèce ?

​Alexandre Delaigue : Pour l'instant, si on regarde le cas de la Grèce les types de réformes demandés par la troïka et par l'Union européenne sont un échec complet. La méthode employée par l'Europe avec la Grèce n'a pas fonctionné. On peut essayer de chercher les responsabilités de chacun mais il faut commencer par faire ce constat. Ce cocktail de beaucoup d'austérité budgétaire avec un certain nombres de réformes, beaucoup de privatisation, etc..  n'a absolument pas marché. Néanmoins, entre les propos et la réalité, il faut constater qu'il y avait déjà une réorientation en cours. En pratique actuellement, il y a beaucoup moins d'austérité budgétaire demandée à la Grèce. Nous ne sommes d'ailleurs plus vraiment dan sun contexte où l'austérité budgétaire est un enjeu. Les anciens accords de 2012/2013 prévoyaient que la Grèce devait avoir à partir de maintenant un excèdent budgétaire de 4,5%. Tout le monde voit bien que dans les négociations cet objectif est le premier à pouvoir sauter. A condition bien évidemment que la Grèce mène un certain nombre de réformes qui relèvent beaucoup d'une volonté de contrôle.

Nous sommes actuellement dans une optique de contrôle. Vous n'êtes disposé à exercer un soutien que si vous pouvez exercer un contrôle. De la part de l'UE, il y a une réelle volonté de ne plus être dans la logique de réformes absolument obligatoires. Si le discours demeure quelque peu, sur le fond cela n'existe plus. Alors, quel est le problème exactement ? Le gouvernement grec annonce la loi sur la pauvreté et l'urgence sociale, sans prévenir les Européens et sans le faire figurer à l'intérieur du plan de réformes. Comment avoir confiance dans ce cas-là ? On surestime la dureté des Européens et l'intransigeance de l'Allemagne. Il y a une vraie volonté de ne plus être comme avant mais cela rend indispensable un gouvernement grec qui montre qu'il est prêt à jouer le jeu. Tout le monde est prêt à faire des efforts à conditions que ce ne soit pas un pays qui dise, vous m'avez octroyé des fonds, vous m'avez permis de participer à l'ensemble mais je n'en fait qu'à ma tête. Ce n'est pas possible et c'est pour cela que le jeu tourne autour de la confiance et du contrôle. L'Europe veut pouvoir contrôler ce qui se passe en Grèce.

Jean-Michel Rocchi : Les réformes structurelles sont un excellent exemple du fait qu’un accord sera très difficile à trouver tant les positions sont opposées :

La question des privatisations : l’Union européenne veut que les recettes des privatisations contribuent au redressement des finances publiques, le gouvernement Tsipras a pris une position idéologique d’hostilité de principe car le marxisme préconise au contraire les nationalisations.

La réforme de la fiscalité : alors que l’Union européenne conseille une hausse des impôts (par exemple la fin de la TVA dérogatoire dans les îles), le gouvernement Tsipras de manière assez pragmatique dénonce au contraire des risques pour le tourisme en cas de hausses d’impôts.

Que valent les propositions de la Grèce et surtout que valent leurs prévisions ? Il ne faut plus se bercer d’illusions, et être vigilents. Il ne faut pas oublier le fameux mot de Sir Winston Churchill : "je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées".

A cet argument, le ministre grec des finances Yanis Varouflakis rétorque que les liquidités injectées en Grèce ne sont pas de nature à aider la Grèce à faire repartir son économie, et ne contribuent donc pas à ce que les réformes demandées soient menées. Là aussi, dans quelle mesure le gouvernement grec a-t-il raison ?

​Alexandre Delaigue : C'est vrai sur ce qui a été fait dans le passé. Aujourd'hui la situation de l'aide à la dette grecque est en fait un simple jeu d'écriture. La Grèce doit des versements réguliers de dette et l'UE et le FMI verse à intervalles réguliers des fonds à la Grèce pour qu'elle puisse rembourser ses anciens prêts. Nous ne sommes plus dans une optique de prêter quoique ce soit. Nous sommes dans une optique de maintenir le contrôle.

La dette existe toujours même si tout le monde sait qu'elle ne sera pas réellement payée. Tout le monde dit, l'argent est dû et nous vous en prêtons pour que vous puissiez nous rembourser. Evidemment cette situation de contrôle n'est pas très agréable pour les dirigeants grecs qui se voient amputés d'une partie de leur pouvoir.

La question de la dette grecque est aujourd'hui secondaire. Le problème n'est plus le risque que la dette s'étrangle en raison du paiement de la dette. La charge de la dette pour la Grèce c'est moins que l'Italie, que Portugal, que toute une série de pays en Europe.

Qu'est-ce qui serait alors pertinent aujourd'hui ? Il y aurait effectivement des possibilités d'aider la Grèce avec des investissements mais cela nécessite un certain degré de confiance. On pourrait imaginer que dans le cadre du plan Juncker il y ait des prêts préférentiellement accordés à la Grèce pour favoriser l'investissement. Etant-donné la situation de la Grèce actuellement, qui peut croire que ces fonds vont être bien dépensés ? Personne. C'est pour cela que le préalable de la confiance est important. Ajouter à cela, un gouvernement grec qui s'engage à entreprendre certaines politiques et qui ensuite l'encre à peine sèche, met en œuvre des mesures complètement différentes, comme ce plan anti-pauvreté. La question, encore une fois n'est pas de savoir si ce plan est légitime. L'argument du ministre de l'économie et des finances grec est tout à fait juste. Mais pour pouvoir mettre en œuvre un véritable soutien à l'investissement en Grèce, il faut établir un degré de confiance que la Grèce n'a pas.

Jean-Michel Rocchi : Les propos du ministre sont excessif et de mauvaise foi car la Grèce est clairement favorisée dans les Fonds Européens. Entre 1981 (date de son adhésion à l’Europe), et aujourd’hui la Grèce a reçu annuellement en moyenne 3 milliards d’euros d’aide européenne. Pour l’essentiel via le Fonds européen de développement régional (Feder), Fonds social européen (FSE), Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (Feoga), et de l’instrument financier d’orientation de la pêche (IFOP). Il existe en Grèce un outil, le cadre de référence stratégique national (ESPA en grec). Pour la période 2014-2020 l’ESPA devrait disposer de 26 milliards dont 21 milliards venus de l’Europe et 5 provenant de l’Etat grec. L’ESPA contribue largement aux dépenses d’investissements en infrastructures (autoroutes, ponts, barrages …). Depuis 1981, la solidarité a joué pleinement en faveur de la Grèce, qu’elle se pose à présent en victime est indécent.

Alexis Tsipras bénéficie d'un fort appui populaire dans son pays (47,8 % d'intentions de vote pour son parti), ce qui laisse à penser que s'il cède, il perdra de cette popularité. En Allemagne, l'opinion publique attend du gouvernement qu'il ne fasse pas de concessions non plus. La pression des peuples condamne-t-elle les négociations au marasme, voire à l'explosion ?

​Alexandre Delaigue : Pour le cas de l'Allemagne, il est assez clair que la politique de gouvernement allemand est beaucoup moins dure que ce que souhaiterait l'opinion publique allemande. Et cela vaut pour toutes les opinions publiques en Europe. La Grèce ne suscite pas un vaste enthousiasme contre la politique des différents gouvernements, les gens ne comprennent pas. L'opinion publique dans les pays européens est parfois plus dure que les gouvernements mais cela ne pose pas de problème.

Dans le cas de la Grèce et de Syriza, la situation est nettement plus compliquée. Mais Syriza n'a pas un mandat pour sortir la Grèce de l'euro. Il y a une vraie lassitude de la population grecque vis-à-vis des anciens dirigeants, ce qui est tout à fait compréhensible. Syriza répond à ce besoin de renouvellement de personnel politique. Mais le mandat de Syriza est de rester dans la monnaie unique. Si Syriza entrait dans une situation à la limite de la sortie de l'euro, c'est là que sa popularité commencerait réellement à baisser. Sans même une sortie de la Grèce de l'euro, si le gouvernement grec se met en défaut de paiement avec des contrôles de capitaux, il y aura probablement des problèmes de pénurie de carburant, de médicaments, etc. Des fonctionnaires payés en IOU, leur valeur va s'effondrer. Si la situation venait vraiment à s'envenimer, le soutien de Syriza diminuerait considérablement. D'un autre côté Syriza doit aussi obtenir quelque chose. Là aussi, s'ils disent au bout de deux mois, ce sera exactement comme si vous aviez voté pour les autres, leur popularité baissera également. Mais ce n'est pas totalement impossible. Tout dépend de ce qu'ils veulent faire aussi. Pour eux, le plus dangereux, selon moi, c'est de commencer à faire défaut en poursuivant le bras de fer avec l'EU, je pense qu'ils n'ont pas les cartes en main pour le faire. La population leur pardonnera beaucoup plus facilement une retraite honorable qu'un bras de fer qui aurait des conséquences dramatiques, instantanées pour l'économie et la population grecques.

Jean-Michel Rocchi : Les Grecs ont la mémoire courte des transferts massifs et dénoncent l’austérité des dernières années mais il fallait rompre avec les dérives. Tsipras a promis la lune pour être élu, cela n’engage que lui et pas l’Europe. On connait la célèbre phrase sans appel de René Descartes : "l’ingratitude est un composé d’égoïsme, d’orgueil et de stupidité".   

Entre 1980 et 2005 le PIB de la Grèce a été pratiquement multiplié par 5 en 25 ans, cela se passe de commentaire, un grand merci aux fonds structurels européens ! 

A titre de comparaison sur la même période en milliards d’euros le PIB de la France est passé de 453 milliards d’euros en 1980 à 1772 soit un peu plus de trois fois plus. Les observateurs ont trop tendance à regarder les choses à très courte période, les 15 points de PIB perdus en 2011 et 2012 sont certes impressionnants, mais ils masquent la hausse vertigineuse des 30 années qui ont précédé grâce à l’Europe.   

Avec une vérité contre une autre vérité, est-on dans l'impasse ? L'Europe doit-elle, d'une manière ou d'une autre, "en finir" avec la Grèce ?

​Alexandre Delaigue : A partir du moment où je vous prête de l'argent et quand vous devez me le rembourser, je vous en redonne et que l'on fait ça de manière indéfinie, ce n'est pas réellement un défaut de la Grèce, mais une forme d'acceptation que vous ne reverrez pas votre argent. Simplement ce que veulent les Européens pour l'instant, c'est un moyen de contrôler la Grèce, c'est un moyen si la Grèce veut rester dans la zone euro de la rendre plus européenne de force. Cela relève de la contrainte, nous sommes bien d'accord. Nous sommes dans cette logique et c'est quelque chose qui est accepté sans difficulté particulière. Paradoxalement si la Grèce veut sortir de l'euro, il faudra qu'elle rembourse ce qu'elle doit et ce sera une négociation extrêmement dure. On accepte mais on n'annule pas totalement la dette.

Jean-Michel Rocchi : Tout le problème provient d’un choix politique n’ayant pas de vrai fondement rationnel du point de vue économique et financiers, et ce n’est pas un cas unique. Il ne faut pas oublier que la Grèce avait un niveau de vie très éloigné de la moyenne européenne si elle a été admise cela a été une aide à un pays qui accédait à un retour à la démocratie (après la dictature des colonels), une telle motivation se retrouve dans l’adhésion du Portugal (post-Salazar), de l’Espagne (après Franco) et plus récemment de la Roumanie (Ceaucescu). Une bonne action politique a souvent engendré en Europe des problèmes économiques futurs.   

Economiquement, une sortie de la Grèce de l’euro sera avant tout préjudiciable pour elle. Les traités n’ont pas prévu de mécanisme d’exclusion, il existe un flou juridique.  

Du point de vue culturel une Europe sans les Grecs ce ne serait pas vraiment l’Europe (le nom même provient d’une déesse grecque), c’est aussi le berceau de la démocratie et de la philosophie.    

Alexis Tsipras a clairement signifié qu'entre ne pas payer les créanciers internationaux de la Grèce, y compris le FMI, et payer ces derniers sans pouvoir rémunérer les fonctionnaires grecs à l'arrivée, il choisira la première option. Dans ces conditions, ne faut-il pas tout de même se résigner à laisser partir la Grèce de l'euro ?

Jean-Michel Rocchi : M. Tsipras n’est pas le premier homme politique prisonnier de promesses démagogiques. Les menaces de ne pas rembourser la dette sont l’expression d’une stratégie dite du faible au fort car si la Grèce peut agiter la menace de se placer en défaillance, dans ce dernier cas qui financera le nouveau déficit à venir car le budget grec est encore loin d’être à l’équilibre. M Tsipras devrait méditer ce propos de Louis-Ferdinand Céline : "on ne meurt pas de dettes. On meurt de ne plus pouvoir en faire". Certes en 2013, la dette publique grecque représentait environ 175% du PIB, mais au-delà de cela et c’est bien plus grave, plus grand monde n’a confiance dans ce pays, pas plus les Etats que les marchés financiers.   

Il ne faut pas avoir peur économiquement d’une sortie de la Grèce de l’Euro. Un chaos social dans la péninsule héllénique serait par contre beaucoup plus problématique et pas que pour M Tsipras. Nos voisins suisses ont déjà organisé avec l’efficacité (et une pointe de cynisme) qui les caractérise des manœuvres à grande échelle pour boucler les frontières face à un risque théorique de réfugiés venant des pays d’Europe du sud (France incluse).    

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