Pourquoi le "protectionnisme intelligent" est une imposture<!-- --> | Atlantico.fr
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Le protectionnisme du Front national ne fonctionne pas
Le protectionnisme du Front national ne fonctionne pas
©Flickr

Fausse bonne idée

Un protectionnisme "intelligent" et capable de redresser l'industrie française : c'est ce que promet le Front National. Mais ses arguments reposent sur des constats factuels erronés et sur le postulat d'une absence de réaction de nos partenaires commerciaux.

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe est vice-président de l'Autorité de la concurrence et professeur affilié à ESCP-Europe. Il est également professeur des universités.

Spécialiste des questions de concurrence et de stratégie d’entreprise, il a publié de nombreux articles et ouvrages, notamment sur le modèle low cost (Le low cost, éditions La Découverte 2011). Il tient à jour un site Internet sur la concurrence.

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Jean-Louis Mucchielli

Jean-Louis Mucchielli

Jean-Louis Mucchielli est professeur des Universités, agrégé es sciences économiques. Il est l'ancien directeur du Pôle d’économie internationale de la Sorbonne (Paris 1) et directeur du Master de Stratégie industrielle (Paris 1).

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Article publié initialement sur le site du think-tank Génération Libre

Le retour au protectionnisme à l’encontre des pays à bas coût constitue aujourd’hui l’un des arguments phares du programme économique du Front National. De manière assez habile, le Front National prend soin de présenter son discours sous un jour « éclairé », en évoquant un  «protectionnisme  intelligent », ciblé sur certains produits et pays.

Mais ce protectionnisme new look repose sur un constat factuel erroné : les pays à bas coût ne sont pas la cause principale de notre déficit commercial, qui est beaucoup plus important avec nos partenaires de la zone Euro. Un seul chiffre : en 2013, le déficit bilatéral de la France avec l’Allemagne et la Belgique réunies est supérieur à celui avec la Chine, soit 23 milliards d’euros !

De même, le déclin de l’emploi industriel en France ne s’explique pas d’abord, comme le croit le Front National, par des délocalisations « massives » ni par l’ouverture au commerce avec les pays à bas coût. Les enquêtes INSEE montrent que seulement 4,2% des entreprises françaises ont procédé à des délocalisations sur la période 2009-2011. L’impact des délocalisations sur l’emploi reste assez limité, de l’ordre de 20 000 emplois entre 2009 et 2011, soit 7000 emplois par an.

Au-delà de ces approximations factuelles, le « protectionnisme intelligent » du FN appelle plusieurs critiques de fond :

• Une politique protectionniste repose sur une forme d’inconscience, en postulant que des partenaires commerciaux comme la Chine ne réagiront pas à une politique de fermeture : c’est oublier que le commerce marche dans les deux sens et que les représailles se feront sentir très vite ! La Chine représente en 2013 notre 6ème partenaire, soit 6% de nos exportations en valeur, alors que la France ne figure pas parmi les vingt premiers clients de la Chine : nous serions donc les grands perdants d’une guerre commerciale.

Les emplois créés ou sauvés dans les industries protégées seront détruits ailleurs, dans les industries qui vont devoir payer plus cher leurs produits intermédiaires. Les études économiques sur données américaines montrent un coût par emploi sauvé astronomique, avoisinant parfois le million de dollars. Sans parler des effets sur les ménages qui devront régler la facture en termes de pouvoir d’achat sacrifié dès lors qu’ils devront acheter des produits importés : une étude du CEPII estime le surcoût par ménage et par an à 1270 euros.

• Le Front National veut empêcher la prise de contrôle d’entreprises françaises par des capitaux étrangers, au nom du « patriotisme économique ». Sur le principe, il n’est pas anormal qu’un pays exerce un droit de regard sur le rachat de ses entreprises, lorsqu’elles opèrent dans des secteurs aussi sensibles que l’armement ou la sécurité nationale. Mais lorsque la définition des secteurs « stratégiques » devient trop large, l’interventionnisme étatique créé une incertitude et une opacité sur les règles du jeu qui risquent de détourner les investisseurs étrangers. De plus, si nous refusons aux étrangers le droit de racheter nos entreprises, alors pourquoi ne feraient-ils pas de même avec nous ?

Le protectionnisme sélectif du Front National accorde une confiance démesurée dans la capacité de l’Etat à cibler les « bons » secteurs à protéger. Pourtant, un bref retour en arrière sur la politique industrielle française des années 1970/80 invite à la plus grande circonspection : les programmes Concorde, Minitel, Composants, Calcul ont été sur le plan commercial des échecs cuisants. De plus, la politique protectionniste que préconise le Front National vise pour l’essentiel à protéger les secteurs en déclin, alors que les expériences passées nous montrent que ce type de politique coûte très cher, s’avère inefficace, et ne fait en réalité que retarder les ajustements inéluctables. Le cas de l’industrie du textile/vêtement en France est à cet égard emblématique.

• Le programme du Front National prévoit explicitement la sortie de la France de la zone Euro et en fait même un instrument privilégié de rétablissement de notre compétitivité, au travers d’une dévaluation du franc. Mais l’expérience des dévaluations, notamment de 1981 à 1983 nous montre que les conditions de succès sont rarement réunies; par contre, la dévaluation conduit mécaniquement à un renchérissement des importations et donc à une baisse de pouvoir d’achat des ménages.

Le protectionnisme intelligent du Front National, c’est le choix du repli et du déclin économique.

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