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Nouvelle hausse surprise du chômage : l’impact à en attendre sur les électeurs
©Reuters

Retour de bâton

Alors que tous les spécialistes annonçaient une baisse du chômage au mois de février, l'annonce de l'augmentation de 0,4% du nombre de demandeurs d'emploi a créé la surprise générale. Pas de quoi s'inquiéter pour l'exécutif français, l'impact sur les comportements électoraux n'en restera que très limité.

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj est chargé de recherche à Sciences Po. Diplômé et docteur en science politique de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, il est spécialisé dans les comportements électoraux et politiques en France, en Europe et aux Etats-Unis et la psychologie politique,

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Martial Foucault

Martial Foucault

Martial Foucault est directeur du CEVIPOF. Il est spécialiste des questions de comportement électoral et d’économie politique.

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Atlantico : Selon un sondage Ifop pour Atlantico (lire ici) de février 2015 sur les attentes des Français pour les prochains mois, la lutte contre le chômage demeure prioritaire pour 73% d’entre eux. Selon un sondage Ifop de mars 2014 (lire ici), seulement 5% d’entre eux font confiance à l’Etat pour réduire le chômage. Qu'est-ce que cela dit de l'importance du taux de chômage dans l'orientation du vote ? 

Martial Foucault : Il n’y a rien d’étonnant à trouver la lutte contre le chômage comme la première priorité d’action publique souhaitée par les Français. De la réponse positive du gouvernement dépendra une orientation du vote des électeurs. Il s’agit là d’un phénomène étudié depuis plus de 30 ans que les politistes qualifient de vote économique. Dit simplement, les électeurs adoptent un comportement de type sanction/récompense. Lorsque l’économie se porte bien, les gouvernements sortants sont récompensés dans les urnes et tenus responsables des bons résultats et inversement en cas de dégradation des conditions économiques. En France, le chômage étant le problème économique le plus important, il n’est pas surprenant que les électeurs manifestent lors des élections intermédiaires (municipales 2015, départementales 2015) un vote sanction. Autre phénomène important et bien documenté dans les pays développés, réduire le chômage ou améliorer les conditions d’emploi crée des attentes plus fortes dans l’électorat de gauche.

Vincent Tiberj : Le chômage est l’enjeu prioritaire des Français depuis une trentaine d’années, sauf entre 2001 et 2002, quand la sécurité était devenue un enjeu majeur après la période quasiment de plein emploi qui l’a précédé. Le chômage est ainsi une donne importante dans la logique du vote et cela correspond à une sanction du gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche. On s’est rendu compte depuis la fin des années 1970 avec le modèle américain de prévision des élections dit "de l'Iowa" importé en France qu’en fonction de l’état macroéconomique d’un pays un gouvernement a plus ou moins de chances d’être reconduit. Mais au niveau individuel, il y a une certaine myopie de l’électeur sur la situation économique du pays. Les électeurs ne votent pas systématiquement selon leurs intérêts économiques. Il y a une logique idéologique et non pas une logique d’acteurs rationnels.

La situation économique du pays est vue plus négativement par les électeurs que l’agrégation de la situation individuelle. Le traitement médiatique, qui a tendance à mettre en avant les mauvaises nouvelles, fait que l’on s’intéresse plus aux chiffres du chômage quand ils se détériorent.

Le troisième effet qui rend la relation entre les chiffres du chômage et le vote est qu’il y a une inertie à la baisse du chômage, c’est-à-dire qu’il faut très longtemps pour que la confiance se rétablisse et que les gens admettent qu’il y a une baisse du chômage. Il faut une accumulation de beaucoup de bons chiffres pour retrouver la confiance. C’était le cas sous le gouvernement Jospin, où il avait fallu jusqu’à deux ans pour que l’opinion s’en rende compte. En revanche, cette inertie à la baisse n’est pas vraie quand il y a une hausse du chômage. La réaction est alors beaucoup plus rapide.

Les positions idéologiques priment-elles ?

Martial Foucault : Globalement, le vote économique traverse toutes les catégories d’électeurs quelque soit leur position idéologique. Mais en matière de chômage, l’électorat de gauche est plus attentif et aussi plus sévère vis-à-vis de la responsabilité du gouvernement en charge d’apporter des réponses immédiates au fléau du chômage. Cela signifie qu’un électeur de droite est lui-même sensible à la question de l’emploi mais se distinguera d’un électeur de gauche dans la réponse politique. Ainsi, le clivage gauche-droite renvoie davantage au rôle de l’Etat, attendu comme régulateur et interventionniste chez un électeur de gauche et au contraire dérégulateur sur le marché du travail pour un électeur de droite.

Vincent Tiberj : Même avec une baisse du chômage forte et continue, le gouvernement de gauche ne convaincra pas l’électorat de droite. Le comportement des électeurs est prévisible dans 80 à 90% des cas. Une élection se joue à la marge. Entre la victoire et la défaite de Nicolas Sarkozy, il y a une différence d’un million d’électeurs sur 44 millions inscrits. Une petite variation au niveau macroéconomique peut induire la reconduction d’un gouvernement ou non. C’est là tout le paradoxe de cette équation qui voudrait que de l’addition du taux de chômage et du taux de popularité résulterait un pourcentage de voix. Le vote est plus compliqué que cela au niveau individuel. Il y a plus d’éléments qui entrent en compte dans la décision que la simple réussite économique du gouvernement.

Si les électeurs ne votaient qu’en fonction de leurs intérêts économiques, la gauche serait systématiquement au pouvoir. Il y a plus d’électeurs pauvres que riches, il y a donc plus d’électeurs qui sont favorables à une autre répartition des richesses que d’électeurs qui y sont contre. Si les gens ne votaient que sur ces questions-là, comme il y a plus de pauvres que de riches alors les pauvres l’emporteraient sur les riches. Or cela ne se passe pas comme ça : il y a des riches qui votent pour les pauvres et des pauvres qui votent en dans l’espoir de devenir riches. Quand les électeurs votent sur la question de l’immigration, ce n’est pas forcément par intérêt économique. L’économétrie nous donne des idées de ce qu’est le vote mais le vote ne se base pas uniquement sur cela.

Quels électeurs pourraient se laisser influencer par le taux de chômage ? Quelle proportion représentent-t-ils ?

Martial Foucault : Il est difficile d’identifier avec précision la taille de chacun de ces électorats. D’une certaine manière, le vote sociotropique domine le vote égotropique. Sociotropique en ce sens que les Français sont plus sensibles aux politiques publiques qui améliorent la situation du pays dans son ensemble plutôt que celles qui amélioraient uniquement leur situation personnelle (égotropique). Avec prés de 3,5 millions de chômeurs (et 5,5 millions si l’on tient compte de l’ensemble des demandeurs d’emploi), il est naturel d’observer un phénomène de contagion de telle sorte qu’un électeur connaît dans son entourage familial ou social des personnes à la recherche d’un emploi. Par conséquent, réduire le taux de chômage exerce un effet positif dans la décision électorale, même si d’autres priorités peuvent entrer en ligne de compte.

S’il y a une inversion de la courbe du chômage, François Hollande n’a donc pas grand-chose à en attendre ? Et si le chômage s’aggrave ?

Martial Foucault : S’il y a une telle inversion se produisait dans les prochains mois, François Hollande pourrait certainement en tirer un gain électoral, en particulier parmi les électeurs (de gauche ou déçus de Nicolas Sarkozy) qui lui avaient fait confiance en 2012 et qui depuis affichent un niveau élevé de défiance ou d’insatisfaction dans sa capacité à restaurer de meilleures conditions d’emploi. A l’inverse, si le chômage continuait de se détériorer, cela peut tout d’abord remettre en cause l’éventuelle candidature du président sortant en 2017 et ensuite affecter le parti socialiste et ses alliés de gouvernement qui seront tenus responsables de l’aggravation du chômage. Au fond, François Hollande aura beaucoup de mal à échapper à cette fameuse formule qui avait fait le bonheur électoral de Bill Clinton en 1992 "It’s the economy, stupid !". Gagner une élection sans résultats économiques probants reste une gageure.

Vincent Tiberj : Cela dépend de la temporalité. Pour le second tour des départementales, il n’y aura évidemment aucun effet. Les conséquences pourront être minimes pour les élections régionales de décembre prochain mais si cela s’améliore d’ici 2017 cela pourra faire de lui un candidat crédible. Si cela s’améliore cela ne pourra pas lui nuire. Par contre, si cela s’aggrave, il aura du mal.

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