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Le marché obligataire pourra-t-il sortir sans crise d’une situation où prévalent les taux négatifs ?
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Tension

Annoncée depuis au moins deux ans, la crise du marché obligataire n'a pas encore eu lieu. Les tensions déflationnistes empêchent pour l'instant une brusque remontée des taux. Une bonne nouvelle dans l'absolu, tant un krach sur ce type d'épargne serait une nouvelle catastrophique pour les agents économiques.

Eric Pichet

Eric Pichet

Eric Pichet est un économiste français, spécialiste en finance de marché, en économie monétaire, en économie fiscale, en gouvernance d’entreprise et en gouvernance publique. Il est professeur de finance à la Kedge Business School.

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Atlantico : Est-on dans une situation où une crise obligataire est possible ? Quelles sont les conditions qui pourraient la favoriser ?

Eric Pichet : Une crise obligataire c'est une remontée brutale et non anticipée des taux d'intérêt des obligations à long terme. Comme la zone euro est dans une situation de taux quasiment à 0, certains analystes estiment que l'on ne peut aller plus bas, et qu'il y aura un rappel violent. Et comme mathématiquement, le cours des obligations varie à l'inverse des taux d'intérêt, au niveau actuel soit 0,5% de rendement pour les obligations de l’Etat  français, une hausse de 100 points de base des taux, donc de 0,5% à 1,5% entraînerait mécaniquement une plongée du cours des  obligations de près de 9% tout de même.

Bien sûr, compte tenu de la situation dans laquelle nous sommes actuellement,  il y aura bien un jour une remontée des taux c'est évident. Est-ce que cela va se produire dans les prochains mois ? J'en doute fort. On peut anticiper, dans plusieurs années, une remontée des taux à 3% ou 4%, certes, mais cela devrait se faire  progressivement, du fait des fortes pressions déflationnistes actuelles dans la zone euro et en particulier en France, liées à la baisse du pétrole, à l'absence de croissance, et la hausse du chômage. Et bien entendu, il y a le puissant impact du quantitative easing qui va maintenir les taux d'intérêt à long terme très bas. Un acteur aussi puissant que la BCE qui décide d'acheter pour 1000 milliards d'euros d’obligations, cela compte !

En cas de crise, quels seront les agents économiques qui subiraient les plus fortes conséquences ?

Tous ceux qui détiennent des obligations bien sûr. En France, les quelque 1500 milliards d'euros de dette de l'Etat sont détenues à 60% par des non-résidents et pour  un tiers par des institutionnels français par le biais de l'assurance-vie. Précision : si vous êtes détenteur d'une part d'assurance-vie, vous êtes un investisseur de long terme  surtout intéressé par le coupon annuel que vous allez toucher : une hausse des taux d'intérêt n'est donc pas en soi une catastrophe. C'est en revanche, c’est une très mauvaise nouvelle pour ceux qui sont détenteurs d’obligations et qui seraient contraints de vendre au moment d’un krach obligataire.

Est-ce que la crainte d'une crise des taux obligataires, si par exemple une petite remontée des taux survenait à court terme, pourrait pousser les détenteurs d'obligation de vouloir se séparer de leur titre, poussant ainsi au krach ?

Il n'y a pas vraiment de phénomène "auto-réalisateur" sur le marché des obligations. D'une part parce que ceux qui investissent sur ce type de marché sont généralement particulièrement rétifs au risque. Or, investir ailleurs que dans les obligations d’Etat bien notés, c'est s'exposer au risque. Ils vont donc préférer attendre, toucher au moins leur capital à la fin de l'échéance, sans s'inquiéter de l'évolution des taux obligataires. D'autre part, une partie des investissements obligataires sont contraints pour des raisons statutaires ou réglementaires, comme certaines SICAV ou les compagnies d’assurances dans le cadre de leurs provisions. Ces agents économiques sont en quelque sorte piégés sur le marché des obligations, sans pouvoir en sortir même s'ils anticipent une évolution défavorable de la situation.

On parlait déjà d'une crise obligataire en 2013 et en 2014 qui n'est finalement pas arrivée. Pourquoi ? Le quantitative easing est-elle la seule explication ? Est-ce le dernier rempart qui nous sépare de ce type de crise ?

Le quantitative easing l'explique, mais il vient s’ajouter à une lourde tendance déflationniste. Le taux d'inflation sur un an est à 0%, s'il passait à -1%, même avec un taux de rendement obligataire de 0,5%, cela ferait encore un rendement réel des obligations de 1,5% proche de la moyenne historique. D’ailleurs en Suisse, le taux à 10 ans est déjà négatif et  l'Allemagne n'en est pas très loin : il n'est donc pas du tout exclu que le marché accepte ces taux négatifs sans réaction brutale de remontée.

Le quantitative easing a pour premier objectif de contrer à tout prix le risque de déflation. Mais il fait aussi indirectement baisser le coût de l'euro face au dollar, et surtout il fait baisser les taux obligataires : c’est le meilleur antidote à un prétendu  krach obligataire même si ce n'est pas son but premier !

Avec des obligations à long terme qui ne rapportent plus rien ou même un rendement négatif, le  vrai problème, c'est la répression financière que subiraient les investisseurs obligataires avec ne serait-ce qu’un peu d’inflation car pour obtenir un rendement positif, les  gens vont être obligés de placer leur argent sur de nouveaux placements, nécessairement plus risqués. On est donc dans une pénalisation du placement sans risque. Ce n'est pas le but premier du quantitative easing, mais c'est une de ses conséquences. Plutôt que face à un krach obligataire, on peut se trouver à court terme  face à un dilemme : soit on se met sur des obligations d'Etat avec une sorte de "droit de garde" de 0,5%, soit on va investir vers d'autres marchés, comme les actions, en risquant de perdre une partie de son capital. Et à l'avenir je pense que les investisseurs vont être tentés de se diriger vers cette voie, c'est une des raisons qui expliquent la bonne tenue de la bourse en ce moment. On pourrait même envisager d'ici deux ou trois ans un phénomène de bulle sur le marché action, même si l'on n'en est pas encore là. 

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