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Comment l'Occident a libéré les femmes de leur humiliation permanente
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Bonnes feuilles

Ecrit à quatre mains par la philosophe Chantal Delsol et le professeur en philosophie Martin Steffens, ce livre explore la crise actuelle de l'identité et de la différence des sexes. Extraits de "Le nouvel âge des pères" aux éditions du Cerf 1/2

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Ce qui est impressionnant

Je ne suis pas étonnée de constater que les femmes ont toujours été humiliées dans tous les temps et sous toutes les latitudes. Considérées comme un appendice de l’homme, faites pour son plaisir et son service, et comme disait la chanson, faites pour le rendre heureux. Je ne suis pas étonnée devant les trois soumissions imposées à la femme chinoise – au père, au mari, au fils aîné –, devant l’esclavage des femmes de harems, et de voir toutes celles auxquelles on refuse dans tous les temps les études et les livres et la joie de réaliser quelque chose à soi.

Je ne suis pas étonnée de savoir que là où l’infanticide est légitime, c’est- à-dire presque partout, ce sont d’abord les filles que l’on tue. Je ne suis pas étonnée d’apprendre qu’aujourd’hui même, on utilise le viol des filles comme arme de guerre, que dans certaines contrées les filles sont à la disposition de tous les mâles de la famille, et que dans nombre de pays musulmans, on légitime la pédophilie sur des petites filles qu’on marie à dix ou douze ans. De lire que les femmes sont par essence, dit-on, dociles et sans nom. De constater qu’on leur abandonne partout les tâches ingrates et insignifiantes. Les textes qu’on a écrits depuis l’aube des temps pour dire l’infériorité féminine sont absolument glaçants. Rousseau, pourtant philosophe des Lumières, peut en résumer l’attendu : "Il s’ensuit que la femme est faite spécialement pour plaire à l’homme." 

Tout cela ne m’étonne pas, parce qu’en effet les femmes sont physiquement plus faibles ; mais surtout elles sont affaiblies par le soin constant qu’elles ont à coeur d’apporter aux enfants ; et elles sont affaiblies de surcroît par une attention à l’autre dont on ignore si elle est le fruit de la nature ou de la culture, mais qui en tous les cas ne fait qu’exacerber leur vulnérabilité. Or comme le disait Simone Weil, et cette vérité déborde les temps et les espaces : On est toujours barbares avec les faibles.

En revanche, je suis impressionnée de lire chez Paul de Tarse : "Il n’y a ni homme ni femme, tous sont égaux sous le regard de Dieu" (Épître aux Galates 3, 28). De constater que les femmes du Moyen Âge occidental émergent peu à peu de cette humanité de seconde zone. De voir comment les Européens Komensky et Vivès réclament l’école pour les filles au XVIIIe siècle, et que ce voeu sera suivi d’effets. De lire l’histoire des femmes d’Occident qui ont bravé le ridicule pour se faire reconnaître en tant que personnes autonomes, et qui y sont parvenues. Je suis impressionnée par la lente émergence du droit de vote féminin au long du XXe siècle. Par la possibilité qui m’est conférée d’ouvrir un compte en banque sans tuteur, possibilité que n’avait pas ma grand- mère. Et par la certitude que nous sommes à présent considérées comme des adultes à part entière dans tous les domaines de la vie.

Autrement dit, ce qui m’étonne, ce n’est pas l’humiliation permanente infligée aux femmes depuis toujours et sur tous les continents. Car il y a là une forme de destin dans toute société qui suit sa pente. On est toujours barbares avec les faibles. L’étonnant est bien plutôt de voir qu’une culture, la nôtre, a pour la première fois brisée cette malédiction. Une malédiction est une prophétie désastreuse dont l’annonce produit la réalisation : une manière ici de prédire que les femmes sont incapables de penser en même temps qu’on leur interdisait l’accès aux livres. Or pourquoi la culture occidentale, et elle seule, a- t-elle pris l’initiative d’échapper à ce destin qui vouait la moitié de l’humanité aux tâches subalternes et au mépris ? Parce que sa croyance originelle repose sur les mots de Paul de Tarse : "Il n’y a ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, ni juif ni non- juif, tous sont égaux sous le regard de Dieu."

Parce que l’Occident n’aurait su demeurer soi-même sans briser la malédiction : la possibilité d’autonomie de tous les êtres humains adultes était inscrite dans les principes originels, et cette culture toujours en voie d’émancipation, ne pouvait aller que vers leur concrétisation, sauf à se nier elle-même. Il y avait une incohérence manifeste à perpétuer, comme disait John Stuart Mill, cette forme de l’esclavage primitif : "Les incapacités auxquelles les femmes sont soumises par le simple fait de leur naissance sont l’unique exemple d’exclusion dans la législation moderne."

Autrement dit, cette émancipation a été menée, non par une circonstance exceptionnelle ni par un renversement culturel, mais parce que l’asservissement en question, pour reprendre le terme de Stuart Mill, contredisait tous les principes sur lesquels se fonde cette culture – de même que Las Casas, au XVIe siècle, n’est venu que pour rétablir la cohérence culturelle, en s’élevant contre des comportements instinctifs et universels, qui consistaient à tenir certains peuples pour des peuples de sous-hommes. Ce qui rend manifeste le caractère révolutionnaire et pour tout dire, séditieux, d’une culture capable de mettre en cause (lentement, très tard, trop tard peut- être ?, et cependant elle le fait) un préjugé aussi avéré, aussi universel, qu’aucun peuple n’a pu auparavant s’en défaire.

Extraits de "Le nouvel âge des pères" de Chantal Delsol et Martin Steffens, aux éditions du Cerf, 2015

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