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Pourquoi l’industrie de la musique a tort de vouloir repartir en croisade contre le streaming
©Reuters

Taïaut !

Un CD vendu génère un bénéfice bien plus important pour la société productrice de musique qu'un abonnement sur un site de streaming. D'où des réticences de la part de l'industrie traditionnelle à l'égard de ce mode de consommation de la musique, qui est désormais bien ancré dans les habitudes.

Sylvain Dejean

Sylvain Dejean

Sylvain Dejean est Maître de conférences en économie à l'université de La Rochelle. Il est spécialisé dans l'économie numérique.

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Atlantico : Selon la Recording Industry Association of America (RIAA), les revenus de l'industrie musicale américaine générés par les services de streaming musicaux ont dépassé ceux du CD (plus profitable que le streaming), avec une augmentation de 29% par rapport à 2013. Peut-on parler d'une guerre économique entre streaming et industrie musicale traditionnelle ?

Sylvain Dejean : Ce n’est une guerre que si chaque modèle cherche à s’imposer au détriment de l’autre, or en l’espèce la vente de CD ne peut plus lutter avec la diffusion de la musique en ligne, le succès du streaming en est la preuve. La vente à l’unité de biens culturels se heurte à la possibilité de diffuser et d’échanger très facilement de la musique, des films, des séries sur les réseaux. Dans toutes les industries culturelles, les modèles économiques se redessinent en proposant aux consommateurs non plus des biens dont ils sont les propriétaires mais des accès à des catalogues dans lesquels les consommateurs piochent au gré de leurs envies. Plutôt que de le combattre, la logique voudrait que les ayants droit cherchent à négocier au mieux le passage à ce nouveau modèle avec les plateformes comme Spotify, Deezer ou Pandora.

Les artistes sont à la pointe de cette fronde contre le streaming. En quoi le modèle économique tel qu'il est actuellement conçu leur est-il défavorable ? 

Cela dépend de quels artistes on parle, les "superstars" sont bien évidemment moins rémunérés par une écoute sur Spotify que par la vente d’un CD, mais la valeur se déplace, elle n’est plus sur l’écoute d’une chanson enregistrée mais sur l’émotion générée par l’interaction entre un artiste et son public. Les artistes  doivent trouver de nouvelles sources de revenus, les concerts en sont une, l’association de son image avec une marque ou un produit en est une autre (exemple du succès de Dr Dre avec les casques Beat).

Les acteurs traditionnels de l'industrie musicale semblent déterminés à éradiquer le streaming légal, mais cela a-t-il un sens économique ? Est-il réaliste de vouloir effacer un usage désormais aussi profondément enraciné et capable de générer de tels revenus ?

Je ne crois pas qu’ils veuillent véritablement éradiquer le streaming, leur agacement vient plus probablement de la difficulté de ce modèle à transformer les écoutes gratuites (freemium) en abonnement payant, ce qui va prendre du temps et va nécessiter de mettre en place des offres différenciées qui déclencheront une disposition à payer chez les consommateurs. Ils sont dans le même temps en train de négocier les droits avec ces plateformes et utilisent probablement ces menaces comme un moyen de pression.

Selon les labels, le streaming gratuit dissuaderait les consommateurs d'acheter la musique. Est-ce réellement le cas ?

Le modèle du freemium est basé sur le principe de discrimination tarifaire, ceux qui valorisent le moins la musique peuvent l’écouter gratuitement en acceptant que les morceaux soient entrecoupés par la publicité, et ceux qui ont plus d’exigences peuvent contre rémunération s’affranchir de la publicité, écouter dans un format de meilleure qualité ou hors connexion. Chaque consommateur paie en fonction de la valeur qu’il accorde au bien. Si vous cherchez à faire payer tout le monde, les consommateurs les moins intéressés ne paieront pas et vous perdrez la possibilité de leur vendre plus tard des services ou des biens additionnels.

Spotify explique que le streaming a permis la baisse du piratage de 25% entre 2009 et 2011 en Suède. Interdire les services de streaming ne poussera-t-il pas de toute façon les consommateurs à revenir au téléchargement illégal ?

A ma connaissance le lien causal entre succès du streaming et baisse du piratage n’est pas clairement avéré. Mais ce qui est plausible c’est que l’offre de streaming, en proposant un catalogue élargi de musique que l’on peut écouter sans restriction sur différents supports (tablette, ordinateur, smartphone..), répond en partie aux besoins exprimés par les pirates de la première heure.

Un service de streaming coûte en moyenne une centaine d'euros par an. N'est-ce pas beaucoup plus que ce que les utilisateurs étaient prêts à payer pour de la musique ? Comment l'industrie musicale pourrait-elle plutôt tenter de profiter de cette tendance ?

Oui, c’est beaucoup plus, mais le nombre de personnes qui payent un abonnement sur une plateforme de streaming est encore inférieur au nombre de consommateurs qui achètent des CD dans les bacs d’un distributeur de biens culturels. Il faut imaginer la dynamique à long terme, et le mieux à faire pour l’industrie musicale est d‘accompagner le développement de ces plateformes, innover dans les services et dans la relation nouvellement créée avec les utilisateurs de streaming pour déclencher chez eux une disposition à payer pour des abonnements "premium".

Comment créer un nouveau modèle économique qui soit viable pour tout le monde ?

Le streaming est une partie de la réponse mais la valeur n’est plus uniquement dans la musique enregistrée, les concerts, l’image, la relation avec les fans... Les artistes et les ayant-droits doivent désormais penser leur production comme une expérience globale pour les consommateurs et la valoriser sur différents canaux. Internet devrait grandement les y aider. 

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