La reprise économique en Europe, c'est maintenant... En France, ce sera avec 2 ans de retard et voilà pourquoi <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La reprise économique de la France est en retard par rapport au reste de l'Europe.
La reprise économique de la France est en retard par rapport au reste de l'Europe.
©Reuters

Pédalage dans la semoule

Le cabinet Markit a publié ses estimations concernant la croissance de l'activité privée. En zone euro, l'indice PMI atteint les 54,1 points, le plus important depuis quatre ans. En France, il n'est que de 51,7 points. La faute à la hausse de la pression fiscale, la mauvaise lisibilité des politiques gouvernementales, et des mesures qui ont effrayé les investisseurs étrangers.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

Voir la bio »
Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
  • Mardi 24 mars, le cabinet Markit a publié ses estimations concernant la croissance de l'activité privée. En zone euro, l'indice PMI atteint les 54,1 points, contre 53,3 au mois de février. L'indice est le plus important depuis quatre ans. En France, l'indice d'activité provisoire reste sous la moyenne de la zone euro, à 51,7 points. L'activité s'est même ralentie par rapport à février. 
  • Ce retard de la France par rapport au reste de la zone euro peut être imputé à certaines mesures prises par le gouvernement de François Hollande, qui ont notamment induit un manque de visibilité pour les entreprises. 
  • Parmi elles, la hausse de la pression fiscale qui, depuis 2012, est de l'ordre de 40 milliards d'euros. La mauvaise lisibilité des politiques gouvernementales, successivement dirigistes et libérales, a également contribué à cette stagnation. 
  • La taxe à 75%, dont les effets économiques ont en réalité été mineurs, a également effrayé les investisseurs étrangers et donné l'image d'un pays aux positions radicales. Ainsi, le baromètre AmCham-Bain de 2014, qui mesure le moral des investisseurs américains en France - et constitue, de fait, un bon indicateur de la vision des investisseurs étrangers -, a indiqué un effondrement des opinions positives entre 2013. A la question "quelle est, selon vous, l’évolution du contexte économique en France dans votre secteur d’activité cette année ?", les investisseurs américains étaient seulement 10% à répondre favorablement. Pire encore, l'analyse indiquait près de 76% de détracteurs à la question "sur une échelle de 0 à 10, recommanderiez-vous la France à une entreprise américaine cherchant à s’implanter à l’étranger ?".
  • La complexité au niveau fiscal du CICE a par ailleurs joué un rôle, ainsi que le pacte de responsabilité. 
  • Les effets des 50 milliards d'euros d'économies prévus entre 2015 et 2017 pourront avoir un impact net positif, en relançant l'investissement et la confiance des entreprises. A défaut, seuls ses effets mécaniques négatifs sur la demande globale seront observables. Encore faut-il que le gouvernement parvienne à mettre en place cette mesure.

La hausse de la pression fiscale 

Gilles Saint-Paul : La conjoncture internationale se met au vert : baisse de l'euro, baisse du prix du pétrole, redémarrage de l'économie américaine et des pays émergents. Dans ce contexte, la France se démarque de ses voisins par une mauvaise performance. Alors que nos voisins créent des emplois depuis deux ans, nous en détruisons. A mon avis, la principale cause de cette stagnation est la hausse de la pression fiscale et la mauvaise lisibilité des politiques gouvernementales, tantôt libérales et tantôt marquées par une soif de réglementations et de contrôles supplémentaires.

Nicolas Goetzmann :La notion d’austérité est généralement liée à la baisse des dépenses publiques. Mais l’austérité peut prendre une autre forme, celle de la hausse des impôts. Et l’objectif de ces deux types de mesures est le même : réduire les déficits publics. Si d’autres pays européens ont pu connaître l’austérité sous sa forme réduction des dépenses, la France a connu pour sa part une période de forte hausse d’impôts, et ce, depuis 2011. 18 milliards de plus en 2011, 22 milliards en 2012, et 29 milliards en 2013. Pour le seul impôt sur le revenu, le produit a progressé de 60% sur une période relativement courte, atteignant un seuil proche de 80 milliards au cours de la dernière année. La pression fiscale en France représentait 42.5% du PIB en 2011, elle est supérieure à 46% du PIB en 2014, pour une hausse totale de 3.5% du PIB. Et ce choc fiscal n’est pas sans effet sur l’économie française, car celle-ci a été largement déprimée en raison de cette hausse d’impôts. Le fait est que le niveau d’activité économique, la demande, étaient déjà très faible au sein du pays à cette période. Le fait d’empiler les hausses d’impôts à ce moment a donc eu un effet récessif évident. Et cet impact a été sous-estimé par l’exécutif et est à l’origine d’une large part de la révision à la baisse des prévisions de croissance du pays depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir. 

Le changement de cap Ayrault / Valls et le manque de visibilité

Gilles Saint-Paul : Le changement de cap est en soi une bonne nouvelle car le nouveau gouvernement a montré sa volonté de marquer une pause sur la fiscalité, de réduire le coût du travail et de mettre en oeuvre certaines réformes structurelles. Pour autant, les déficits publics restent élevés et la possibilité d'un tour de vis fiscal supplémentaire n'est pas à écarter. Certaines réformes, comme la loi Duflot sur le logement ou certaines provisions de la loi de sécurisation de l'emploi, ont montré qu'aucune liberté économique n'était à l'abri de la fureur dirigiste du PS. Dans ces conditions, beaucoup d'entreprises préfèrent geler leurs projets d'investissements et faire le dos rond avant 2017.

Nicolas Goetzmann : Le quinquennat de François Hollande se démarque par un réel manque de lisibilité de la stratégie économique au fil du temps. Après la politique de hausse d’impôts dont les effets récessifs ont été largement sous-estimés, le Président a voulu se lancer dans "le virage de l’offre" avec la mise en place du pacte de responsabilité au début de l’année 2014. La problématique repose sur le fait que le changement de cap découle des premières erreurs. Il ne s’agit donc pas d’une tactique préétablie mais d’un revirement consécutif à l’échec, notamment, de l’inversion de la courbe du chômage. De plus, le Président a sans cesse cherché à donner un signal politique opposé à la réalité économique de ce qu’il proposait. Lorsqu’il signe le traité budgétaire européen en 2012 sans le modifier, il indique avoir réorienté l’Europe. Lorsqu’il augmente les impôts, il indique ne pas faire d’austérité, etc. Le résultat est que l’ensemble devient totalement illisible à court, moyen et long terme pour les acteurs économiques. Si une entreprise cherche à investir ou embaucher, elle doit pouvoir se reposer sur une certaine vision. Et c’est ce manque de vision, cette absence de projet, couplée avec une forte incertitude fiscale qui a participé au blocage économique du pays.

Les conséquences économiques de la taxe à 75% 

Gilles Saint-Paul : La taxe à 75 % ne concerne qu'une infime minorité de travailleurs. Dans la mesure où certains d'entre eux sont rémunérés pour leur talent exceptionnel, elle est évidemment coûteuse économiquement. Mais, en lui-même, son impact économique reste négligeable. Elle est essentiellement néfaste en ce qu'elle montre que le gouvernement est prêt à mettre en oeuvre une mesure absurde et nuisible pour de pures raisons démagogiques. Le cafouillage et les iniquités qui ont accompagné son implémentation n'arrangent rien. La baromètre que vous citez ne fait que tenir compte de l'aversion générale des français pour la réussite, le talent, la concurrence et l'économie de marché. C'est ce qui ressort des diverses enquêtes d'opinion qui montrent que la France est totalement atypique à cet égard. Hollande n'aurait jamais proposé cette taxe - qui n'est qu'un symptôme de cette attitude générale - s'il n'avait pas pensé qu'elle lui rapporterait des points sur le plan électoral. Le Cuba sans soleil se construit quotidiennement dans les écoles, les universités et les médias.

Nicolas Goetzmann :Cette mesure est peut-être la plus significative de tout le quinquennat Hollande. Elle fut annoncée en cours de campagne de façon improvisée, pendant une émission de télé. Puis, elle a été martelée afin de permettre l’émergence d’un "marqueur de gauche" pour le candidat François Hollande. Elle donnait du corps à l’expression "mon ennemi, c’est la finance". Et si cette idée a sans doute contribué à la victoire de François Hollande en 2012, elle a également participé à l’affaiblissement économique du pays. Car hors des frontières françaises, cette mesure fut considérée comme symbolique d’une politique de répression fiscale maximale. Cette taxe n’a finalement jamais été totalement appliquée, pour être ensuite enterrée. Il ne s’agissait donc que d’un effet d’annonce, sans réelle conviction sous-jacente. Le résultat est que les deux premières années du quinquennat ont été marquées par un  fort ralentissement des investissements étrangers en France. Conséquence, notamment, de la défiance fiscale à l’égard du nouveau pouvoir en place.  De 24 milliards en 2011 à 12 milliards d’euros en 2012 et 2013, soit une baisse de 50%. L’intérêt économique a tout simplement été sacrifié à l’intérêt politique. 

Les effets du Pacte de responsabilité et du CICE sur la croissance

Gilles Saint-Paul : Il s'agit là de la vulgate keynésienne de base. Si on s'y fiait, on ne réduirait jamais les dépenses publiques, et on deviendrait tôt ou tard un pays communiste. Il est exact qu'une réduction de dépense n'améliore pas la conjoncture, toutes choses égales par ailleurs. Mais, justement, toutes les choses ne sont pas égales par ailleurs. Avec une dette publique qui explose et une pression fiscale record, le gouvernement doit réduire ses dépenses. Il est certes préférable de le faire en période de vaches grasses qu'en récession, mais comme celle-ci se prolonge nous n'avons plus trop le choix. D'ailleurs jusqu'ici il y a eu fort peu d'austérité, puisque le déficit est fermement installé au-dessus des quatre points de PIB et les taux d'intérêt sont extrêmement faibles. Et il reste à prouver que cette réduction de dépenses ait réellement lieu. Le gouvernement table essentiellement sur un gel du point d'indice des fonctionnaires. Or cette mesure ne fonctionne que si l'inflation est suffisamment élevée, ce qui n'est pas le cas actuellement. Et si ça l'était, les fonctionnaires dont le pouvoir d'achat est laminé, risqueraient fort d'obtenir des ajustements à la hausse, à l'approche des élections. Il aurait été bien plus judicieux de réduire le nombre de fonctionnaires, comme tentait de le faire le gouvernement de Nicolas Sarkozy, car c'est la seule façon de mettre en oeuvre une réduction durable des dépenses publiques.

Nicolas Goetzmann :Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et le Pacte de responsabilité se sont inscrits dans la logique d’une politique de l’offre; celle de la baisse des charges sur le coût du travail. Mais d’une part, le dispositif mis en place par l’exécutif s’est révélé aussi contraignant que complexe dans sa réalisation, ce qui a réduit son impact global. Et d’autre part, la mise en place d’une politique de l’offre au moment même où la demande était proche du néant en France provoque l’incompréhension. Il est assez révélateur de constater qu’au moment même où François Hollande annonce son Pacte de responsabilité, en janvier 2014, les entreprises françaises manifestent une inquiétude du côté de la demande, comme l’indiquait alors le baromètre INSEE. Les entreprises du secteur automobiles signalaient à plus de 80% un problème de demande en France. C’est donc l’ensemble de la stratégie macroéconomique de l’exécutif qui est passée à côté de la réalité de cette crise. A aucun moment, le Président n’a semblé en prendre la mesure, ni dans son ampleur, ni même de sa nature. Pourtant, la simple lecture d’une baisse continue de l’inflation et d’une croissance proche de zéro, c’est-à-dire de la réalité qui touche la France, ne traduit rien d’autre qu’un large déficit de la demande. Parce que justement, la demande n’est rien d’autre que la somme de l’inflation et de la croissance. 

La baisse des dépenses de 50 milliards d'euros programmée entre 2015 et 2017

Gilles Saint-Paul : Il est trop tôt pour se prononcer. Si cette mesure est crédible, elle aura un impact net positif, en relançant l'investissement et la confiance des entreprises, en dépit de ses effets mécaniques négatifs sur la demande globale. Si par contre elle ne l'est pas, seul ces derniers effets seront observés, et l'impact sur l'activité sera négatif. Enfin, il se peut également, comme je l'ai mentionné, que le gouvernement ne parvienne pas à la mettre en oeuvre, et que la trajectoire préoccupante de la dette et des dépenses publiques se poursuive, jusqu'au jour où un ajustement brutal comme celui qu'ont connu les grecs sera inévitable.

Nicolas Goetzmann :Le Pacte de responsabilité envisagé par François Hollande repose également sur un volet "baisse  des dépenses publiques". Soit 50 milliards d’euros de réduction des dépenses par rapport à la trajectoire initialement prévue jusqu’en 2017(20 milliards pour la protection sociale, 19 milliards pour l’Etat et 11 milliards pour les collectivités locales). Depuis que le continent européen est entré en crise, plusieurs révisions ont été opérées par des organismes comme le FMI ou même la Commission européenne. Ceux-ci ont admis leur défaillance en termes d’analyses et de prévisions. Des révisions concernant le multiplicateur fiscal. Avant crise, ce "multiplicateur" était estimé, le plus souvent à 0.5. C’est-à-dire qu’une baisse de dépense de 1 contribuait à une baisse du PIB de 0.5. Mais, la réalité a donné un autre résultat, notamment en raison de la simultanéité des politiques conduites au sein de la zone euro. Lorsque tout le monde réduit ses dépenses, personne n’est là pour soutenir l’autre et l’ensemble s’effondre. Ce qui a conduit à constater un multiplicateur fiscal bien plus lourd que prévu, allant jusqu’à 2.6. C’est-à-dire qu’une baisse de dépenses de 1 pouvait provoquer une baisse de PIB allant jusqu’à 2.6. Ce qui relève du suicide économique. La Grèce en est le parfait exemple. Le résultat est totalement contreproductif puisque le PIB baisse plus vite que les dépenses, ce qui signifie que l’objectif de réduction par rapport au PIB ne peut être atteint de cette manière.

Si l’objectif est de réduire le niveau de dépenses sur PIB, le remède le plus efficace est de relancer l’économie par la voie monétaire tout en maîtrisant la croissance du niveau de dépenses publiques à un rythme inférieur à celle de la croissance globale. Ce qui nécessite, avant toute autre considération, de relancer très largement l’économie par la voie monétaire. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !