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Bientôt la panne de plutonium : encore 3 missions et la NASA ne pourra plus se permettre d’explorations spatiales
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Rupture de stock

Les batteries des missions spatiales américaines du type Curiosity fonctionnent au nucléaire. Problème : jusqu'à récemment la Russie fournissait la NASA en plutonium 238, mais le pays a cessé ses livraisons en 2009. Sans cette source d'énergie, la puissante agence spatiale se trouve fort dépourvue.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : Les stocks de plutonium-238 de la NASA diminuent dangereusement, comme le rapporte le site Space News. Sur 35 kilos restants, 17 seraient de suffisamment bonne qualité, ce qui permettrait à l'agence de fabriquer encore trois batteries identiques à celle qui alimente Curiosity, la sonde présente sur Mars. Comment se fait-il que les réserves disponibles soient à ce point limitées ?

Olivier Sanguy : En fait, ce stock est issu du Department of Energy (DOE), le département de l’énergie américain. La NASA ne reçoit le plutonium-238 qu’en fonction de ses besoins. Les réserves sont limitées pour 3 raisons. Premièrement, le plutonium-238 n’existe pas à l’état naturel et il faut donc le fabriquer. La méthode la plus utilisée consiste à irradier du neptunium-237 qui est issu des combustibles nucléaires usés, ce qui prend du temps (environ 1,5 kg par an pour le DOE).

Deuxièmement, lorsque du plutonium-238 a été fabriqué, celui-ci est radioactif, produisant de la chaleur (c’est cette chaleur qu’on récupère dans certaines sondes pour produire l’électricité), mais aussi en perdant peu à peu ses performances. Le plutonium-238 a une demie-vie de 87,75 ans, ce qui signifie qu’il a alors perdu la moitié de son potentiel. Voilà qui explique pourquoi seuls 17 kilos sur 35 sont considérés suffisamment encore actifs pour répondre aux performances exigées lors d’une missions spatiale.

Enfin, troisièmement, la NASA s’est fournie auprès de la Russie mais cette logique a été arrêtée en 2009 suite à un refus de ce pays. Depuis, l’administration Obama et la NASA ont demandé un budget au Congrès américain pour que soit relancée la production de plutonium-238 par le DOE. L’argent devait servir à remettre en état les installations nécessaires. Mais il a fallu attendre 2012 pour que les fonds soient approuvés.

Très concrètement pourquoi le plutonium-238 est-il essentiel aux missions spatiales ? Quels avantages cette matière présente-t-elle ?

Le plutonium-238 est utilisé comme source de chaleur dans ce qu’on appelle un RTG, pour Radioisotope Thermoeletric Generator ou générateur thermoélectrique à radioisotope. En raison de sa radioactivité, le plutonium-238 dégage de la chaleur qui est alors transformée en électricité par un principe extrêmement simple dit thermocouple et qui a été inventé en 1821. Pour faire simple, une plaque de métal est exposée à la chaleur et une autre au froid et, entre les deux, se crée un potentiel électrique. Le rendement est en fait très mauvais (10 % de la chaleur est transformée en électricité au mieux), mais dans le spatial ce dispositif présente un avantage énorme : pas de pièces mobiles ! Ce qui fait qu’avec le RTG on dispose d’une source d’alimentation électrique qui a très peu de (mal)chance de tomber en panne ! Les RTG sont employés sur des missions où les sondes s’aventurent loin du Soleil, là où des panneaux solaires auraient bien du mal à fournir le nombre de Watts nécessaires. Ceci dit, les technologies évoluent et le succès de la sonde Rosetta de l’Agence Spatiale Européenne le montre. De même, la nouvelle sonde de la NASA à destination de Jupiter, Juno qui doit arriver en août 2016, emploie 3 immenses panneaux solaires et non un RTG.

A l’inverse, les RTG présentent des avantages pour des destinations où, classiquement, le photovoltaïque peut suffire. L’exemple concret actuel est le rover Curiosity sur Mars qui utilise un RTG afin d’éviter des panneaux solaires qui se recouvriraient de poussière martienne et perdraient en efficacité, une mésaventure qui est arrivée à Spirit et Opportunity. Opportunity fonctionne certes toujours, mais ils a eu de la chance : des vents martiens ont en partie balayé ses panneaux solaires. De plus, les gros besoins en électricité d’un engin comme Curiosity (bardé d’instruments qui consomment beaucoup d’électricité) exigeait un RTG. D’ailleurs, le successeur de Curiosity prévu pour 2020 va aussi recourir à un RTG.

La production de plutonium-238 a été relancée, mais le matériau ne devrait pas être disponible dans les prochaines années. Comment se fait-il qu'une agence comme la NASA soit ainsi prise de court ?

Le problème est que la décision politique et budgétaire a pris du temps. Les installations ont redémarré, mais il faudra peut-être attendre un peu avant de retrouver les 1,5 kg/an, voire plus. A titre d’exemple, Curiosity est équipé d’un RTG doté de 4,8 kg de plutonium-238. Le retard budgétaire a donc créé ce "goulet d’étranglement" dans l’approvisionnement de futures missions. D’un côté la NASA assure que son accord avec le DOE permet d’obtenir le plutonium nécessaire pour les futures missions et de l’autre des groupes de soutient à l’exploration spatiale comme l’influente Planetary Society affirment au contraire que le risque de pénurie, et donc d’abandon de certaines ambitions, existe toujours.

Quelles sont les solutions alternatives pour alimenter les missions spatiales en énergie ? Y aura-t-il toujours suffisamment de plutonium sur terre ?

L’alternative principale est l’augmentation des performances des panneaux solaires. Comme évoqué précédemment, la sonde Juno de la NASA sera la première à étudier Jupiter en obtenant son électricité à partir de panneaux solaires et non d’un RTG. Un exploit qui est possible grâce aux progrès en efficacité des cellules photovoltaïques, mais aussi en équipant la sonde de 3 gigantesques panneaux d’un peu moins de 9 m de long. Pour comprendre le défi, au niveau de Jupiter, des panneaux solaires ne reçoivent que 2 à 3 % de l’énergie solaire qu’ils recevraient au niveau de l’orbite terrestre !

L’autre solution consiste à développer un RTG plus performant qui utiliserait, à production égale d’électricité, moins de plutonium-238. La NASA a ainsi étudié un RTG dit Stirling qui repose sur un piston mis en mouvement grâce à la chaleur du plutonium-238. Son avantage : un rendement qui monte à 30 %, ce qui permet d’utiliser 3 à 4 fois moins de plutonium-238. Le défaut : une mécanique plus complexe donc un risque de panne théoriquement plus élevé. Mais pour le moment, le budget alloué à cette recherche a été annulé en 2013. En ce qui concerne le plutonium-238, étant donné qu’il est fabriqué à partir des combustibles nucléaires usés (l’uranium employé dans les centrales devient du neptunium dans leurs réacteurs), la question se posera seulement en cas d’arrêt d’une utilisation de l’énergie nucléaire.

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