Conflit à Radio-France : Mathieu Gallet peut-il tenir longtemps ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de Radio France Mathieu Gallet
Le président de Radio France Mathieu Gallet
©Reuters

Changement de fauteuil

Les goûts de luxe du Président de Radio-France, ajoutés à une stratégie peu visible et une situation financière de l’entreprise médiocre ont entraîné un fort mécontentement du personnel. Mathieu Gallet, nommé par le CSA il y a un an, peut-il être débarqué ou démissionner ? Tout est possible. La journée de demain 24 mars risque d’être décisive.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Mardi 24 mars, doit se réunir un Comité central d’entreprise extraordinaire à Radio France. Objectif : que Mathieu Gallet donne des précisions sur sa stratégie
  • La question est sur toutes les lèvres : Gallet peut-il partir de lui-même ? Dans l’ensemble, les syndicats ne le pensent pas. Encore que dimanche 22 mars, une rumeur laissait entendre qu’il avait rédigé sa lettre de démission.
  • Pour beaucoup d’observateurs, outre cette histoire de réfection de son bureau pour 105 000 euros, le patron de Radio-France paie chèrement les rapports cassants qu’il entretient avec le personnel
  • L’atmosphère à la Maison de la Radio s’alourdit de jour en jour. Jamais sous les prédécesseurs de Gallet,  autant de salariés n’avaient eu envie de quitter l’entreprise
  • Le déficit de Radio-France est de 21,3 millions d’euros. Pour la première fois de son histoire, l’entreprise risque de devoir emprunter aux banques
  • Les travaux de réhabilitation de la Maison de la Radio devraient atteindre 500 millions d’euros en 2015. Leur coût originel était de 200 millions en 2004

Jadis, on surnommait la Maison de la Radio le Palais Gruyère. Aujourd’hui, on pourrait l’appeler le bateau ivre. C’est bien connu, le monde de la radio a la réputation d’être un tantinet agité… Mais depuis quelques jours, plus d’état d’âme à avoir. Surtout après les révélations du Canard Enchaîné sur la couteuse réfection -105 000 euros- du bureau du pdg, Mathieu Gallet. "Le principe de cette opération a été votée avant moi,"  s’est défendu l’intéressé. Ce qui a suscité, sur France-Inter, une réponse cinglante de son prédécesseur, Jean-Luc Hees : "Je ne me souviens pas qu’on ait voté 105 000 euros pour un bureau que j’allais quitter." Ajoutez à cela les fauteuils de sa nouvelle voiture de fonction réaménagés en cuir, et on comprend l’irritation du personnel en grève, surtout en cette période de disette économique. A propos de cette histoire de fauteuil, il semble que le paiement de la facture a été bloqué. Il est vrai que, chez le patron de Radio-France, la désinvolture semble être une habitude : il y a quelques mois, lors d’une réunion à la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, il est arrivé, tout fringant, tout bronzé dans une Porsche. Une désinvolture qui s’est encore manifestée au cours de la réunion où il a passé son temps à échanger des sms avec une de ses collaboratrices. Désormais, l’heure n’est plus aux œillades… En effet, demain mardi 24 mars, devrait avoir lieu une réunion extraordinaire du Comité Central d’entreprise de Radio-France, au cours de laquelle ses représentants devraient poser un certain nombre de questions à Mathieu Gallet. En tout 80 soigneusement préparés. Parmi celles-ci : sa  stratégie, le plan social avec départ volontaire, l’élaboration du budget, l’éventuelle réduction de la masse salariale, le rôle des directeurs.  etc… Voilà qui promet une séance animée. Avec, en bout de course, la possibilité  pour le Comité central d’entreprise de faire jouer son droit d’alerte économique si d’aventure le président de Radio-France ne répondait pas avec précision à toutes les préoccupations et inquiétudes des salariés.

Une telle décision signifierait que l’entreprise Radio-France n’est plus viable. Autant dire que la tension est toujours là. Bien palpable. Les salariés en ont eu la confirmation le vendredi 20 mars, au studio 104, lorsque le patron de Radio-France s’est fait hué à plusieurs reprises lors d’une Assemblée générale. Même si certains reconnaissent qu’il a eu du cran en affrontant une AG de plusieurs centaines de personnes très remontées contre lui. Visiblement, cette séance n’a pas secoué outre mesure Mathieu Gallet qui, le soir même, assistait à une représentation du "Banquet d’Auteuil" de Jean-Marie Besset au Théâtre 14. Une question est désormais sur toutes les lèvres : partira, partira pas ? Autrement dit, va-t-il connaître, à terme, le même sort que Thierry Le Paon, l’ancien secrétaire général de la CGT, dégagé pour un bureau rénové à hauteur de 62 000  euros ? Pour l’heure, Philippe Ballet, responsable de l’UNSA Radio-France devait adresser une lettre au président du  Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) Olivier Schrameck pour qu’il fasse "un rappel à l’ordre à Gallet".

Pour les syndicalistes que nous avons interrogés, son départ ne serait pas, pour l’instant, à l’ordre du jour. Encore que des rumeurs couraient dimanche 22 mars laissant entendre que Gallet aurait déjà préparé sa lettre de démission. Aussi, le CSA n’aurait-il pas besoin de le débarquer. Un membre du Conseil, très remonté par "l’affaire Gallet" n’hésite pas à dire en privé que "désormais, nous ne pouvons plus nous permettre une telle erreur."[ Sous-entendu la nomination de Mathieu Gallet]. Il est clair que si l’enquête de l’Inspection générale des Finances (IGF) diligentée la semaine dernière révélait d’autres dérives, la remarque de ce membre du CSA prendrait  tout son sens. Les frais de représentation du président de Radio-France sont actuellement passés au peigne fin. On évoque également son salaire. Mais il semble se situer dans une fourchette disons classique. Ses émoluments tourneraient autour de 180- 200 000 euros par an, en y incluant les primes liées aux objectifs atteints.

Président contesté, méchamment surnommé  par ses détracteurs "le petit marquis", souvent hautain avec le personnel, négligeant de le saluer lorsqu’il arrive à son bureau, l’ancien directeur adjoint de cabinet de Frédéric Mitterrand au ministère de la Culture, n’a pas une grande expérience du monde des médias et de la radio. A l’inverse de ses prédécesseurs, jadis Jacqueline Baudrier, Michèle Cotta, puis, plus près de nous, Jean-Marie Cavada, Jean-Paul Cluzel et autres Jean-Luc Hees… Mais Mathieu Gallet a eu l’intelligence de promouvoir comme numéro 2 avec le titre de "directeur délégué aux antennes et aux programmes" un professionnel reconnu, Frédéric Schlesinger dont c’est le retour dans la Maison Ronde où il a occupé les fonctions de directeur du Mouv (2003-2006) avant de diriger France-Inter ( 2006-2009).Le nouveau président de Radio-France va devoir aussi montrer qu’il sait gérer une entreprise de près de 5 000 personnes disséminés dans différentes structures, que ce soit France-Bleu, Le Mouv, France-Inter, France-Culture ou France-Info. Dans ce domaine, c’est le flou. Prenez le cas de France-Bleu. Cette radio décentralisée, très appréciée dans les territoires, a crée des petites unités satellites, elles aussi très écoutées. On ne sait toujours pas si elles vont être supprimées. On se demande même si l’unité installée à Tulle, ville chère à François Hollande va in fine passer de vie à trépas. A France-Info, on compte un pourcentage important de pigistes qui rend le travail des journalistes difficile. Songez encore qu’à Radio-France, sur 750 journalistes, 80 sont en CDD… Dont certains depuis 6-7 ans, ce qui n’est guère orthodoxe. Que dire encore du Mouv, supposée être destiné aux jeunes, mais qui a les faveurs des plus 50 ans ! Aussi, n’est-ce pas surprenant que l’atmosphère à Radio-France ne soit guère détendue. Au contraire. Bon nombre de salariés veulent partir. Il y deux ou trois ans, "je recevais une personne par mois qui souhaitait quitter l’entreprise, nous confie ce syndicaliste, aujourd’hui, c’est dix par mois."  Du côté du personnel de nettoyage -des membres du Comité d’entreprise ont insisté sur ce point- le malaise est terrible. Mathieu Gallet a décidé l’externalisation du nettoyage des locaux de Radio-France en confiant cette mission à l’entreprise Derichebourg. Rien à dire. Sauf que les 20 employés, demeurés salariés de Radio-France se sont vu confiés les tâches les plus ingrates : ils sont affectés au nettoyage du sous-sol et non des étages ! Une tâche stratégique, fait savoir, sans rire, la direction de Radio-France, car c’est au sous-sol que se trouvent les blocs électrogènes et les serveurs informatiques… Comme si dans les étages n’existaient pas d’endroits confidentiels comme la direction financière ou la direction générale ! Si la stratégie à mettre en œuvre à Radio-France demeure une priorité pour son président, il en est une autre tout aussi capitale, c’est redonner une santé financière à l’entreprise.

Aujourd’hui, cette dernière  affiche un déficit de 21,3 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 650 millions d’euros. Un déficit totalement inconnu ces dernières années. Il a été révélé, il y a trois mois, dans  la presse, via Le Figaro.fr  par Mathieu Gallet lui-même. Cette façon de faire, sans alerter prioritairement le Comité d’entreprise, a été le point de départ du vent de fronde de l’Intersyndicale, très unie, qui regroupe 7 organisations, de la CFDT en passant par l’ UNSA, le SNJ-CGT, la CFE-CGC, Sud, ou FO, face à la direction. Ce déficit, selon les experts du Comité d’entreprise, devrait atteindre 80 millions d’euros pour 2015.  Interrogée par les syndicats au début janvier 2015 sur cet avenir sombre, la directrice de cabinet de Gallet, Maïa Wirgin, venue de Public-Sénat où elle était secrétaire générale, s’est contentée de répondre par un laconique "il faudra faire un effort collectif." En clair, des départs seront demandés. On évoque 3 à 400 personnes. Gallet a promis qu’en priorité,  ces départs concerneraient les seniors. A ce déficit s’ajoute le poids de deux héritages pour lesquels le nouveau président de Radio-France est étranger. Le premier est la réhabilitation de la Maison de la Radio, le fameux bâtiment  -construit en 1963- qui surplombe la Seine. Les travaux touchent à leur fin et devraient être terminés en 2018. Visiblement, les études se sont avérées sinon légères tout du moins pas assez précises. En effet, le coût des travaux, évalué à 200 millions d’euros en 2004,  atteindrait, en 2015, selon les syndicats, 500 millions ! Heureusement, la tutelle -le Ministère de Culture dirigé par Fleur Pellerin- serait prêt à prendre en charge 60 à 65% des travaux tandis que 35% le seraient par Radio-France. Cet état des lieux serait incomplet si on oubliait de mentionner les travaux destinés à ouvrir une rue traversante, coupant la Maison de la radio en deux, partant de la porte D –au niveau de Ranelagh à la porte A– Front de Seine. Dans ce passage pourraient être installés des restaurants, une librairie etc… L’idée en revient à l’ancien  patron de Radio- France Jean-Paul Cluzel, prédécesseur de Jean-Luc Hees. Aujourd’hui, le personnel est vent debout contre ce fameux passage. Gallet, lui, souhaite qu’il aille à son terme. L’idée n’est pas mauvaise et pourrait engranger des recettes supplémentaires pour Radio-France. Sauf que l’ouverture envisagée à la porte D court sur trois étages, ce qui va accroître le coût de l’opération. Une ouverture de 5 à 6 mètres de haut sur 4 à 5 mètres aurait été amplement suffisante…

Nommé le 27 février 2014 par le CSA à la tête de Radio-France, Mathieu Gallet aurait dû assister pendant deux mois Jean-Luc Hees avant de prendre officiellement ses fonctions.  Pour on ne sait quelle raison, il n’a pas souhaité le faire. Préférant consacrer son temps à se constituer une équipe avec Eric Schlesinger et Maïa Wirgin, sa directrice de cabinet, un poste inconnu semble-t-il dans le passé.  Le personnel y a vu dans cette attitude une sorte désinvolture doublé de mépris. Ca commençait mal. Certes, Mathieu Gallet, a  effectué du bon travail lorsqu’il présidait l’INA (2010-2014), en multipliant les partenariats et en créant  Ina-Mémoires.  Mais, c’est un truisme de le dire, Radio-France, c’est autre chose. Un maillage sur tout le territoire national et au –delà.  Une tradition de mission de service public.  Une culture d’entreprise très marquée. Une multitude de métiers. Des syndicats dans l’ensemble très soudés.  Mathieu Gallet ne l’a, pour l’instant, pas compris. Peut-être est-il encore temps de renverser la vapeur. Au fond, l’une de ses erreurs – par manque de psychologie-  est sans doute d’avoir oublié le personnel qui se trouve totalement au bord de la route. Nombreux se souviennent des paroles de Jean-Luc Hees, le jour de son départ en 2014: "Quand je suis arrivé en mai 2009, il y avait 4 619 équivalents temps plein à Radio-France. Il y en a toujours 4 619."

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