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What’s wrong with France ? La crise d’une nation abandonnée par l’Etat qui l’avait créée
©Reuters

Un monde qui change

"What's wrong with France?": telle est la question que me posent depuis des mois les amis de la France partout dans le monde. Face à la mondialisation, le pays se replie et se radicalise plutôt que de se réformer. La faute à une crise d'identité, plus qu'à un problème d'adaptation.

Laurent Cohen-Tanugi

Laurent Cohen-Tanugi

Laurent Cohen-Tanugi, avocat aux barreaux de Paris et de New York, est l’auteur de nombreux essais influents, dont Le Droit sans l’Etat (1985), L’Europe en danger (1992) et Guerre ou paix (2007).

Il a dirigé la mission « L’Europe dans la mondialisation » pour la présidence française de l’Union européenne en 2008. Son dernier ouvrage, What’s wrong with France ?, porte un regard neuf sur les racines culturelles et institutionnelles du "mal français".

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Atlantico : Dans votre dernier essai « What’s wrong with France ? » (Grasset), vous diagnostiquez un modèle français inadapté à la mondialisation. Quelles sont les caractéristiques de cette inadaptation du modèle français ?

Laurent Cohen-Tanugi : J’ai voulu dans ce livre répondre à la question suivante : pourquoi la France a-t-elle plus de mal que les pays industrialisés comparables à s’adapter à la mondialisation ? Cela est attesté par les sondages récurrents et par la crise généralisée que nous traversons. Ma réponse est que la mondialisation ébranle ce qui constituait les piliers de l’excellence, voire de l’identité françaises : la centralité de l’Etat, la sacralisation du politique, notre système méritocratique, notre modèle social, ou encore notre leadership intellectuel et notre influence internationale. C’est-à-dire, tout ce qui a fait, pendant des décennies, une certaine grandeur française. Et pourquoi est-il ainsi ?  Parce que le modèle français était pensé pour une société homogène, structurée autour d’un Etat fort et centralisé, dans un monde d’Etats-nations. Cette société, cet Etat et ce monde ne sont plus : plus que d’une crise d’adaptation, il s’agit donc véritablement d’une crise d’identité.

François Hollande dénonçait «  la radicalisation de la droite » dans une interview publiée le 20 mars. Ne s’agit-il pas plutôt d’une radicalisation de la société ? Percevez-vous cette radicalisation comme étant la conséquence de cette crise d’identité que vous décrivez, elle-même conséquence de la mondialisation ?

Je ne parlerais pas de radicalisation, plutôt de repli sur soi. Lorsque l’on évoque la mondialisation, il faut en avoir une vision assez large : les flux économiques bien sûr, mais aussi la révolution numérique, les bouleversements géopolitiques, les flux migratoires, le retour du religieux et la question de l’islam, etc. En réponse à ces bouleversements, on constate effectivement en France, dans une partie de l’opinion, une tentation du repli sur soi, y compris chez certains intellectuels. Face à la carence du discours politique sur ces changements et à l’absence d’un projet réformateur, certains ont la nostalgie d’un passé révolu. Mais il n’y a pas de retour en arrière possible.

Considérez-vous également cette « obsolescence » comme étant la cause de l’incapacité de la France à se projeter ? Une incapacité qui peut être mise en évidence dans le débat concernant les départementales, ou le seul projet des partis de gouvernement est de s’opposer au Front national.

On peut en effet déplorer l’absence d’un discours politique positif et offensif face au Front national. Mais la progression continue de l’extrême-droite, avec aujourd’hui un risque sérieux, non seulement de la voir présente au second tour de l’élection présidentielle, mais peut-être même en tête, est une donnée nouvelle et structurante de la vie politique. Le revers positif de cette situation est cependant de confirmer une évidence longtemps refoulée par la classe politique, à savoir que le vrai clivage de la société française n’est plus entre droite et gauche, mais entre l’ouverture et la fermeture : à la mondialisation, à l’Europe, aux évolutions de société, à l’immigration, au progrès technique, etc.

La progression du Front national a au moins le mérite de mettre clairement en lumière ce clivage  « ouverture-fermeture ». Il faut toutefois espérer qu’à la simple opposition au Front national succédera rapidement la formation d’un « parti de l’ouverture et de la réforme », unissant une partie de la droite et une partie de la gauche dans la perspective de 2017, et capable d’assumer les réformes nécessaires pour réussir dans un monde ouvert. Cela n’a pas été le cas  jusqu’à présent, et c’est la faute collective des partis de gouvernement. Le paysage politique français est en train de se restructurer sous la pression du Front national.

Pourtant, la montée des populismes est une donnée générale en Europe. Quelle est la  particularité française ?

La spécificité française tient à l’ampleur du vote FN, un parti d’extrême-droite, raciste et xénophobe, et dépourvu de surcroît de la moindre crédibilité économique. Elle peut s’expliquer par la dépendance culturelle française à l’égard de l’Etat et du politique et par l’incapacité des partis de gouvernement à accompagner le changement et à réformer le pays. Se situer du côté de l’ouverture sans réformer n’est plus tenable.

L’Europe a-t-elle sa part de responsabilité dans ce processus ?

En tant que composante du processus historique d’adaptation des Etats-nations à la mondialisation, la construction européenne cristallise naturellement les oppositions et favorise la montée des populismes, surtout lorsqu’elle est mal gérée. Mais n’oublions pas que l’Europe reste dirigée par les Etats et qu’elle n’a pas non plus vocation à tout faire. L’impuissance ou la carence européenne est largement le résultat de l’incapacité collective des dirigeants nationaux depuis vingt ans. Cela aussi n’est plus tenable : il faut aller plus loin dans l’intégration.

Vous proposez de réinventer le modèle français à travers plusieurs chantiers politiques, institutionnels et économiques, et ce,  afin de l’ancrer dans la mondialisation. Mais est-il possible, dans ce processus, de conserver un réel particularisme français ?

Face à la construction européenne ou à la mondialisation, le discours souverainiste a toujours agité le spectre du « broyage des identités nationales. ». Mais cela ne s’est jamais produit et le problème est en réalité inverse : à savoir l’incapacité à surmonter les particularismes nationaux, ou tout simplement à les faire évoluer. Un exemple : notre système méritocratique, reposant sur les grandes écoles, a été conçu pour la France d’hier, homogène, étatisée et cloisonnée. Ce système est aujourd’hui devenu une machine à fonctionnariser une partie excessive des élites françaises, qui conservent une mentalité de fonctionnaire tout au long de leur carrière, alors que la France d’aujourd’hui et de demain a besoin d’entrepreneurs, de créateurs et d’innovateurs.

Nous avons énormément d’atouts, mais nous devons repenser nos modèles de référence.

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