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Comment le populisme est devenu une marque
©Reuters

Bonnes feuilles

Derrière la montée des mouvements et des partis "néo-populistes" en Europe, on assiste à une réinvention imprévue des nationalismes, alors qu’on les croyait définitivement affaiblis ou marginalisés par la mondialisation et l’intégration européenne. (1/2)

Pierre-André Taguieff

Pierre-André Taguieff

Pierre-André Taguieff est philosophe, politologue et historien des idées. Il est directeur de recherche au CNRS, rattaché au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).

Il est l'auteur de « Théories du complot. Populiams et complotisme » publié le 23 mars 2023 aux Éditions Entremises. Il a également publié Les Fins de l’antiracisme (Michalon, 1995) et La Couleur et le sang. Doctrines racistes à la française (Mille et une nuits, 2002) et Israël et la question juive (Les provinciales, juin 2011). Il a aussi publié sous sa direction, en 2013, le Dictionnaire historique et critique du racisme, aux Presses universitaires de France. 

 

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En 1984, frappé par le retour du nationalisme, jusqu'alors marginal, dans l'espace politique en France et ailleurs, j'ai proposé d'employer le terme « national-populisme » pour caractériser le Front national et d'autres formations politiques européennes présentant avec lui des « airs de famille », afin de marquer clairement la dimension nationaliste ou identitaire de ce type émergent de mouvements, tout en pointant à la fois la popularité de ces derniers et le fait que leurs leaders étaient d'habiles démagogues, jouant sur le rejet des élites dirigeantes autant que sur la hantise de l'ennemi intérieur incarné par l'« immigration de masse », perçue comme le principal facteur d'insécurité. C'était tenir compte à la fois de l'orientation idéologique et du style des leaders populistes.

Or, dès le début des années 1990, l'emploi du mot « populisme », pour désigner notamment le Front national, est devenu une mode langagière, dont l'effet a été de réduire « populisme » à un quasisynonyme de « démagogie », comme en témoignent les rapprochements alors faits entre Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie, « les jumeaux du populisme ». Mais les dénonciateurs du Front national n'ont pas visé son président, Jean-Marie Le Pen, simplement comme un « démagogue » dont il fallait se défier, ils l'ont stigmatisé en tant que « populiste », en jouant sur les nouvelles connotations du terme (« fascisme », « racisme », « xénophobie », etc.). Le démagogue nationaliste a pris la figure d'un « populiste », sans que le terme soit défini précisément.

Il suffisait qu'il fût perçu comme péjoratif. Le mot « populisme » a dès lors fonctionné comme une «marque»: ce terme à la signification floue s'est érigé en désignation polémique ordinaire, s'appliquant à des mouvements politiques censés menacer ou corrompre la démocratie pluraliste et, partant, les libertés du citoyen. C'était oublier la dimension démocratique qu'on rencontre, d'une façon plus ou moins claire, dans les mouvements populistes15. Simultanément, la référence au « national », alors qu'elle indiquait clairement l'orientation idéologique de ces mouvements, a été oubliée. Cette mise entre parenthèses du nationalisme n'a cessé d'engendrer des biais dans les analyses politiques du phénomène.  

La question de « l'extrême droite » est ainsi devenue celle du « populisme », au prix de certaines approximations, sources d'équivoques. Car, par exemple, à critiquer comme « populistes » aussi bien Jean-Marie Le Pen que ses ennemis déclarés (Bernard Tapie, Jacques Chirac ou Jean-Luc Mélenchon), on effaçait les raisons spécifiques de combattre le premier. Le critère classique de l'antidémocratisme avait perdu sa valeur opératoire : comment accuser de menacer la démocratie des leaders ou des mouvements prétendant vouloir « redonner la parole au peuple » ? Il faut donc s'interroger sur la signification nouvelle prise par le mot « populisme », désignant désormais, dans la confusion, ce qu'on pourrait tout autant appeler « extrême droite », « extrémisme identitaire » ou « nationalisme », voire « néonationalisme ».

Extraits de "La revanche du nationalisme", de Pierre-André Taguieff aux éditions PUF, 2015

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