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La longue quête de la science pour déterminer si le meurtre est dans les gènes.
La longue quête de la science pour déterminer si le meurtre est dans les gènes.
©Flickr/CC elbragon

Minority report

Si l'étude des gènes, à travers la cytogénétique, n'a été permise que dans les années 30, les scientifiques tentent de rapprocher comportement violents et prédisposition depuis la deuxième moitié du XIXème siècle. Une recherche qui a donné des résultats, mais qui observe une distinction entre tendance et passage à l'acte.

Pierre  Roubertoux

Pierre Roubertoux

Pierre Roubertoux est professeur de génétique et de neurosciences à Marseille. Il a créé et dirigé le laboratoire "Génétique, neurogénétique, comportement" du CNRS et a travaillé au laboratoire "Génomique fonctionnelle, comportements et pathologies" du CNRS, à Marseille. Il mène aujourd'hui ses recherches au sein du laboratoire de génétique médicale de l'Inserm.  Ses travaux sur la découverte de gènes liés à des comportements lui ont valu le prix Theodosius Dobzhansky, aux États-Unis.

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Le journaliste de la BBC Michael Mosley s'est penché dans un documentaire récemment diffusé sur les raisons scientifiques qui peuvent conduire des personnes à commettre des meurtres. Il rappelle que dès les années 1870 le Docteur Cesare Lombroso s'était penché sur le cas de criminels emprisonnés à Turin. Selon lui, les meurtriers se caractérisaient par une forme de visage particulière et des bras plus long que la normale. Il leur reconnaissait globalement des traits proches de celui du singe, ce qui le conduisait à les cataloguer dans une classe d'humains inférieurs.

Atlantico : On a le sentiment que ce Monsieur Lombroso, plutôt que de pratiquer une méthode déductive, mettait la science au service de ses convictions de départ. Comment interprétez-vous cette envie, voire ce besoin, d'expliquer scientifiquement et de manière déterministe l'acte de tuer ?

Pierre Roubertoux : Ce n'est pas seulement l'acte de tuer qui est ainsi interprété de façon déterministe, mais pratiquement tous les faits humains, et ce depuis plus d’une centaine d'années. La physiologie et la génétique sont mises au service cette volonté. Mais dans cette démarche, il y a une erreur de départ : comment peut-on penser qu'avec des caractéristiques physiques on va pouvoir prédire des faits ? C’est comme remplacer les signes du zodiaque ou la boule de cristal par la science. En réalité ce ne sont pas les actes qui sont prédictibles, mais les tendances. Par exemple, une personne peut avoir une tendance biologique à la prise de boisson, mais si elle vit dans un endroit où l’alcool est prohibé, voire totalement inexistant, elle n’en consommera pas. Il peut donc y avoir des tendances, mais si l’occasion ne se présente pas, il n’y aura pas d’acte.

Le neuroscientifique britannique Adrian Raine a scanné à partir des années 1980 le cerveau de nombreuses personnes condamnées au Etats-Unis pour des homicides. Il avait choisi la Californie comme lieu d'étude pour son "grand nombre d'individus très violents et coupables de meurtres". Dans presque tous les cas, il a observé une activité réduite dans le cortex préfrontal, c’est-à-dire la partie du cerveau qui contrôle les pulsions émotionnelles, et une suractivité dans le complexe amygdalien, qui génère les émotions. Statistiquement, en dehors des implications éthiques de ce genre d'étude, les meurtres et les actes de violence seraient donc en partie le fait de personnes qui, physiquement, sont plus sensibles à la colère, et moins capables de se contrôler ?

Qu’elles soient moins capables de se contrôler, c'est certain. Parmi les nombreuses personnes qui sont hélas victimes d'une condamnation à mort – une autre forme de meurtre – beaucoup sont des déficients intellectuels. Des études ont montré que chez les jeunes qui manifestent des violences gestuelles, ces tendances violentes sont d'autant plus fortes que leurs possibilités de verbalisation sont faibles. C’est-à-dire que sans le verbe, on compense la difficulté à s’exprimer avec des actes physiques brutaux. On peut corréler cela avec le grand nombre de meurtriers qui manifestent un déficit mental. C’est ce qui rend la peine de mort encore plus absurde.

Pour Adrian Raine, ces différences au niveau du cerveau s'expliqueraient en grande partie par les abus dont les personnes devenues criminelles ont fait l'objet dans leur enfance. Cependant, toutes les personnes qui ont été maltraitées n'en viennent pas à tuer des gens. Pourrait-il donc y avoir d'autres facteurs qui prédisposent au passage à l'acte ?

Je ne pense pas qu'il y ait d'autres facteurs, car les tendances observables ne permettent pas, de toute façon, de prédire les faits. On peut tout au plus envisager une potentialité, qui dépend en grande partie de l’environnement dans lequel les personnes évoluent. Mais ne donnons pas à la science le même statut qu’un horoscope du dimanche.

En 1993 une étude menée sur une famille hollandaise dans laquelle tous les hommes avaient des antécédents violents montrait qu'il leur manquait le gène MAO-A, ce qui les prédisposait davantage à des actes répréhensibles. 30 % des hommes possèderaient ce "gène de la violence". Dans quelle mesure peut-on dire que l'on naît meurtrier, ou qu'à tout le moins on a plus de risques que d'autres de le devenir ?

Cet article a fait beaucoup de bruit à l'époque. Il s'agissait d'une forme particulière de violence qui se traduisait par une connotation sexuelle très forte. Ce qui est important dans ce travail, et qui subsiste, c’est qu’il permet de savoir que ce gène interagit avec beaucoup de neuromédiateurs. Cette mutation, reproduite chez l'animal, déclenche des anomalies de fonctionnement du cerveau, dont des violences. On ne peut cependant pas dire qu’il s’agit d’un "gène de la violence" stricto sensu, car ce serait se limiter à un seul de ses effets : en réalité des anomalies sont déclenchées non seulement au niveau du cerveau, mais aussi dans l’ensemble du physique. La trisomie 21 peut elle aussi pousser à une certaine violence, et ce n’est pas pour autant qu’on la qualifie par cette caractéristique, qui n'en est qu'une parmi d'autres.

Le psychiatre Jim Fallon, de l'université de Californie, a procédé à des tests génétiques sur lui-même après avoir découvert un nombre étonnamment important de meurtriers parmi ses ancêtres. C'est ainsi qu'il s'est rendu compte qu'il avait tout d'un psychopathe. S'il n'est jamais passé à l'acte, c'est parce que selon lui il a eu une enfance heureuse. Quels enseignements en tirer ?

C’est très gentil pour ses parents, mais j’ai une autre piste d’explication : Fallon est remarquablement intelligent, il a acquis des degrés universitaires, il a fait avancer la recherche. C’est grâce à cette capacité de compréhension qu’il s'est rendu compte qu'à la moindre bêtise il risquait de perdre tout ce qu’il avait construit. En outre, ce niveau d’intelligence lui permet de verbaliser son ressenti, sans verser dans la violence.

Il existe un mal très français, qui consiste à mettre en doute tout ce qui peut être à l’origine d’une certaine orientation biologique de nos comportements. Ces derniers sont pourtant la manifestation de notre cerveau, et donc d’un organisme. Il faut bien admettre que la prédiction que l'on peut obtenir se fait davantage à partir de la biologie que de l'environnement. Regardez l'échec de la psychodynamique, dont la psychanalyse : on nous a présenté cela comme une science, on nous a dit qu’on pouvait prévoir le comportement humain au travers du vécu. La caricature de ce courant de pensée, c'est la mère mortifère, qui aurait été à l'origine de certaines formes d'autisme. On sait aujourd’hui que c'est une imposture totale. Mais en France la biologie envisagée comme facteur déterminant fait peur, les gens craignent souvent de tomber dans un totalitarisme. C’est l’un des torts du sens commun.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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