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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les effets de la baisse de l’euro et qu’on ne vous a pas dit
©Reuters

C’est grave, Dr Goetz ?

Alors que l’euro atteint son plus bas depuis plus de 12 ans, des interrogations se font à ce jour sur l’efficacité de la politique menée par la Banque centrale européenne. Et contrairement à ce qui est souvent dit, cette dernière n'est pas (et de loin) la seule responsable des évolutions de notre monnaie.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Pour la première fois depuis plus de 12 ans, l’euro est passé sous la barre des 1.06 dollar. Après avoir flirté avec le niveau record de 1.60 à l’été 2008, pour tenir la corde à 1.40 dollar en 2014, la monnaie européenne est aujourd’hui revenue à un seuil proche de la parité en comparaison à la devise américaine. Une baisse qui est habituellement présentée comme étant la conséquence de l’activisme forcené de la Banque centrale européenne. Ainsi, une politique monétaire se résumerait à "jouer" avec le cours de change afin de stimuler plus ou moins les échanges extérieurs du pays avec le reste du monde. Mais une telle vision, très largement réductrice, passe complètement à côté du problème réel. Il suffit de déconstruire le mécanisme pour s’en rendre compte, en commençant par se poser la question des bénéficiaires de la baisse de l’euro.

A qui bénéficie la baisse de l’euro ?

Les variations de cours de change ont principalement une influence sur les entreprises qui commercent avec l’extérieur de la zone euro. Ce qui représente plutôt l’exception que la règle. Car l’économie française est dépendante à plus de 70% de ce qui se passe à l’intérieur du pays, c’est-à-dire hors influence du cours de change.

En effet, les importations représentaient 29.7% du PIB du pays en 2013, contre 28.2% pour les exportations. Et sur ces 28.2%, seule la moitié est destinée à l’extérieur de la zone euro, puisque nos principaux partenaires commerciaux, comme l’Allemagne ou l’Italie, partagent notre monnaie. De plus, une baisse de l’euro par rapport aux autres devises provoque également une hausse des prix des biens importés.

L’avantage global à retirer d’une baisse de la monnaie est donc marginal, comme le précisait le CEPI, centre d’études prospectives et d’informations internationales, dans une note publiée en 2014 :

" Les résultats suggèrent qu’une dépréciation de l’euro de 10 % augmente les valeurs unitaires des biens manufacturés importés par les entreprises d’environ 2 % à 3 %, tandis que le volume de ces importations diminue, selon les estimations, de 0 à 2,5 %. Le gain de compétitivité résultant d’une dépréciation de l’euro est donc limité par le renchérissement des biens intermédiaires importés. Or, les entreprises qui importent le plus de biens intermédiaires sont aussi les plus performantes à l’exportation".

Ce constat permet de saisir que la seule baisse de l’euro ne suffira pas à sortir l’économie française de son ornière. L’impact peut être globalement positif, mais de façon bien trop résiduelle pour jouer un rôle moteur. La seconde question à se poser est "Pourquoi l’euro baisse-t-il ?"

Baisse de l’euro ou hausse du dollar ?

Il convient tout d’abord de remarquer que la "baisse de l’euro" signifie que la monnaie unique perd de la valeur par rapport au dollar. Ainsi, la baisse du cours de change actuel a deux faits générateurs potentiels : soit la politique économique menée aux Etats Unis, soit celle qui est menée en Europe. Il est alors utile de rechercher la cause du mouvement à la baisse qui se produit depuis ces derniers mois.

Mais comment le savoir ? La première méthode consiste à comparer le dollar à un panier de plusieurs devises différentes, ce qui est d’ailleurs le rôle du "Dollar Index". Et cet indice a progressé de 24% depuis ces derniers mois, passant d’un niveau de 80 à 100. 24% qui correspondent également à la baisse de l’euro par rapport au dollar. Mais puisque le "dollar index" tient également compte de l’euro, le résultat est biaisé.

La seconde méthode, plus simple encore, consiste à comparer l’évolution du dollar par rapport à d’autres devises que l’euro, comme le Yen japonais par exemple. La hausse du dollar atteint ici 21%, alors que l’euro est parfaitement étranger à ce "couple". Ou encore de comparer le dollar par rapport à la livre sterling ; et la progression atteint +15%. Bref, en pondérant ces différents éléments, il apparaît clairement que le mouvement constaté entre l’euro et le dollar depuis la mi 2014 est le résultat à 75% de ce qui se passe aux Etats Unis, et non de la politique européenne. En d’autres termes ; ce n’est pas tant l’euro qui baisse, c’est le dollar qui progresse.

Pour résumer ; la baisse de l’euro n’a qu’un impact marginal sur l’économie française, et de toute façon, ce n’est même pas l’euro qui baisse, c’est surtout le dollar qui s’apprécie. Mais alors, à quoi sert la politique monétaire de la BCE ?

Pour répondre à cette question, il doit être précisé qu’il est parfaitement hasardeux de se baser uniquement sur la "politique de change", c’est-à-dire sur la valeur d’une monnaie, pour évaluer une politique monétaire. La comparaison faite plus haut entre l’euro et le dollar en atteste. D’autres éléments doivent être examinés pour juger de l’action d’une banque centrale.

Quel indicateur pour mesurer l’évolution de la politique monétaire ?

Afin de mener à bien cette difficile évaluation d’une politique monétaire, deux mesures sont possibles. Comme le rappelait l’ancien Président de la Réserve Fédérale des Etats Unis, Ben Bernanke lors d’un discours prononcé en 2003 :

"En fin de compte, il apparaît que l’on peut vérifier qu’une économie bénéficie d’une politique monétaire stable uniquement en regardant les indicateurs macroéconomiques que sont la croissance du PIB nominal et l'inflation".

Le premier indicateur : l’inflation; et celle-ci est négative au sein de la zone euro, soit -0.3% pour le mois de février 2015. Ce qui serait la preuve d’une politique monétaire restrictive. Mais l’inflation n’est pas non plus l’indicateur le plus fiable car la prise en compte de facteurs exogènes, comme le prix du pétrole par exemple, a tendance à fortement modifier le résultat final. Reste alors "la croissance du PIB nominal" comme l’expliquait Ben Bernanke. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la stabilité de la croissance mais sans en avoir préalablement retiré l’inflation. Une sorte de croissance "brute".

Il suffit alors de mesurer la stabilité de cet indicateur, qui est représenté ci-dessous :

Evolution du PIB nominal. France. Données trimestrielles. INSEE. Et tendance pré-crise

Cliquez pour agrandir

Après une remarquable stabilité trimestrielle de la croissance du PIB nominal entre 1995 et 2007, traduisant une politique monétaire "équilibrée", un décrochage massif a lieu au milieu de l’année 2008. Afin de mesurer plus précisément ce "décrochage", il est alors possible d’évaluer la progression de cette même croissance nominale par rapport à sa tendance, et là, le constat devient lourd, très lourd:

Evolution de la croissance nominale par rapport à la tendance pré-crise. En % de PIB

Ainsi, selon cette mesure, la stabilité de la croissance nominale s’est fracassée dans le courant de l’année 2008, traduisant une politique monétaire très fortement restrictive, pour ne pas dire assassine. Une politique qui s’est poursuivie tout au long de la crise comme le démontre la descente aux enfers de cet indicateur. L’envolée du chômage au sein de la zone euro n’en est qu’une preuve complémentaire

Et le niveau de l’euro ne nous a jamais rien "dit" de cette réalité, qu’il soit fort ou faible. Voilà pourquoi il est vain de tenter d’évaluer une politique monétaire, c’est-à-dire de savoir si celle-ci est stricte ou souple, simplement en regardant le cours de change. Que l’euro soit fort, ou que l’euro soit faible, là n’est pas l’essentiel, un point qui avait déjà été évoqué sur ce site lorsque l’euro était fort. Et c’est le piège géant dans lequel sont tombés tous ceux qui ont combattu "l’euro fort" au lieu de combattre la politique monétaire de la BCE. Ils se sont attaqués à un symptôme plutôt qu’à la cause. Lorsque le symptôme disparaît, l’argumentaire s’écroule, et ce, même si la cause persiste.

Car la politique monétaire d’un espace économique tel que la zone euro ne se résume pas à faire baisser ou faire progresser la valeur d’une monnaie, elle a pour objectif de stabiliser la "demande" c’est à dire la croissance nominale, ou, plus simplement, le montant total des dépenses au sein de l’économie pendant une période donnée. Et les mouvements de l’euro ou du dollar n’en sont que des effets secondaires. Ce qui signifie que le pouvoir de la BCE est bien plus important que l’on ne l’imagine traditionnellement.

Ainsi, lorsque la BCE décidait de mettre en place son plan d’assouplissement quantitatif le 22 janvier dernier, son objectif prioritaire n’était pas de faire "baisser l’euro" pour pouvoir "exporter plus". Son objectif prioritaire est de stimuler l’activité intérieure de la zone euro. Soutenir la croissance par la voie intérieure et faire baisser le chômage.

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