La méthode Sarkozy : le match des idées et des hommes “2005-2007” contre “2015-2017”<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Avant/après

Nicolas Sarkozy intervient le 13 mars sur les ondes de France Bleu et France Info, et a annoncé également le changement prochain du nom de l'UMP. Des signes qu'il se met petit à petit en ordre de bataille pour aborder l'échéance de 2017. Mais entre le début de sa campagne qui l'amena à la victoire en 2007 et aujourd'hui, dix ans ont passé. Et si l'homme reste le même, son entourage, lui, a entièrement changé.

Carine Bécard

Carine Bécard

Carine Bécard est journaliste politique à France Inter.

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Carole  Barjon

Carole Barjon

Carole Barjon est rédactrice en chef adjointe à la rubrique politique, chargée de l’Elysée et de la droite au Nouvel Observateur.

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Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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"La firme", une machine à conquérir le pouvoir aujourd'hui disparue

Entre l'équipe sur laquelle Nicolas Sarkozy s'appuyait dans la perspective de 2007 et celle sur laquelle il mise pour 2017, quelles différences relève-t-on ?

Christelle Bertrand : En 2007, Nicolas Sarkozy s'appuyait sur une petite équipe très soudée composée de Brice Hortefeux, Franck Louvrier, Claude Guéant, Frédéric Lefebvre, Pierre Charon et Laurent Solly. Ils formaient une garde rapprochée prête à tous les sacrifices pour faire élire leur champion. Ils étaient à la fois craints et admirés. Ils se faisaient appeler la "Firme" du nom du film de Sydney Pollack. C'est à cette équipe que Nicolas Sarkozy doit son élection. Brice Hortefeux était l'homme des coups, Pierre Charon "réseautait", Franck Louvrier choyait les journalistes et Lefebvre jouait les snipers... Ils étaient complémentaires et solidaires car ils avaient vécus ensemble l’ascension parfois douloureuse de leur leader depuis Neuilly jusqu'à la place Beauvau. A coté de ce groupe, Rachida Dati, encore inconnue, apportait du sang neuf et Cécilia Sarkozy chapeautait le tout. Quant à la partie programmatique, l'énarque Emmanuelle Mignon planchait à plein temps. Aujourd'hui rien de tel. A part Brice Hortefeux, les historiques ne sont plus là. Guéant est empêtré dans ses affaires judiciaires, Louvrier travaille aujourd'hui chez Publicis, Solly chez Facebook, Emmanuelle Mignon, toujours fidèle est moins régulièrement consultée. L'équipe qui entoure aujourd’hui Nicolas Sarkozy est composée de Pierre Giacometti, Frédéric Péchenard, Michel Gaudin, Sébastien Proto, ex-directeur de cabinet d'Eric Woerth, l'attachée de presse Véronique Waché, l'ancien conseiller diplomatique élyséen Fabien Raynaud et Eric Schahl pour les relations avec les élus. Ce staff est beaucoup moins homogène et soudé. La plupart  d'entre eux se sont rencontrés à l’Élysée, ils ont connu les heures de gloire mais pas la conquête. L'envie d'en découdre semble bien moins grande.

Carine Becard : Il n'y a rien de comparable entre ce qu'on a connu en 2007 et ce qu'on a jusqu'ici pu observer en 2015. La "machine de guerre" Sarkozy s'est construite en 2004, et s'est définitivement mise en place en 2005, autour d'une personne capitale qui était Emmanuelle Mignon. C'était elle la tête chercheuse : elle a imaginé les thèmes sur lesquels il fallait plancher, elle a su inventer, et créer une équipe prête à travailler pour Sarkozy. C'est ainsi que celui-ci est apparu comme un homme politique capable d'avoir des idées sans cesse, et d'imposer le rythme de l'actualité.

Aujourd'hui la machine de guerre n'existe plus. Emmanuelle Mignon a disparu de l'entourage direct de Nicolas Sarkozy. Elle était au Conseil d'Etat, aujourd'hui elle vient de rejoindre un grand cabinet d'avocats. Pour ne rien arranger, elle parle peu aux médias, il est donc difficile de connaître ses intentions. Tout porte à croire, pour le moment, qu'elle ne fera pas partie de l'aventure, si troisième candidature il y a. Ce pilier disparu, on compte peu de personnes autour de l'ancien Président. Sébastien Proto donne l'impression de prendre la relève, mais ponctuellement seulement. En outre il ne travaille que sur les questions économiques, il a un poste au sein de la banque Rothschild, et il ne compte pas se mettre entièrement à sa disposition. Au sein de l'UMP Nicolas Sarkozy a recruté Franck-Philippe Georgin, qui assure le "tout venant" : c'est une tête d'énarque bien faite, qui a une bonne capacité de réaction à l'actualité, mais pas celle d'élaborer le futur programme présidentiel.

Carole Barjon : On compte moins de poids lourds politique autour de lui qu'en 2007. La vraie différence, plus importante, et qui se voit peut-être moins, se trouve dans le fait que l'équipe de Sarkozy est moins riche aujourd'hui en têtes chercheuses et têtes pensantes. C'est ce qui fait que ses prestations jusqu'à aujourd'hui ont été assez mauvaises, qu'il donne le sentiment d'avoir très peu d'idées, et d'être resté "calé" sur 2012. Il a un problème de renouvellement de ses idées et des gens qui travaillent pour lui. Dans sa période victorieuse, il avait l'appui d'Emmanuelle Mignon, qui non contente d'être un bourreau de travail, avait énormément de contacts dans le monde intellectuel et administratif. Aujourd'hui elle a beaucoup moins de temps à lui accorder. Il y avait aussi Henri Guaino, qui en plus d'être la plume était l'agitateur d'idées. Mais lui aussi a aujourd'hui sa propre carrière de député des Yvelines. Patrick Buisson agitait des idées aussi, mais il n'est plus là. C'est donc tout un vivier qui s'est appauvri, que Nicolas Sarkozy doit reconstituer.

Lire aussi : Georges-Marc Benamou : “La dream team de Sarkozy ayant mené à la victoire de 2007 n’existe plus aujourd’hui”

Le cadre intellectuel et la construction des idées

Sur quelles idées fortes Nicolas Sarkozy misait-il sur la période 2005-2007 ? Sur quoi semble-t-il s'orienter pour 2015-2017 ?

Christelle Bertrand : Travailler plus pour gagner plus a été une véritable formule magique inventée par Emmanuelle Mignon. Il s'agissait de séduire, par une même idée, les électeurs de droite et de gauche. De la discrimination positive à l'immigration choisie, Nicolas Sarkozy faisait alors bouger les lignes. L'art de la transgression qui le caractérisait a été l'un des éléments essentiels de la séduction qu'il a exercé sur l'électorat français. Aujourd'hui, son intuition semble en panne. On voit bien qu'après les attentats de janvier, l'ancien président a eu du mal à lancer une idée, une proposition forte, qui imprègne l'opinion. Nicolas Sarkozy n’est plus le prescripteur qu'il a été mais il affirme que ça n'est qu'une question de timing et qu'il est trop tôt pour sortir du bois, pour rendre publiques ses idées nouvelles. Patience semble-t-il dire, vous allez voir ce que vous allez voir.

Carole Barjon : En 2007 il avait identifié que le travail était dévalorisé. En remettant au goût du jour la valeur travail, il a su parler aux salariés et aux ouvriers français. Deuxièmement, il avait déjà compris que l'identité était un sujet important. En l'occurrence, il s'agissait d'une "coproduction" Guaino-Buisson. C'est sur ces deux pieds, à savoir l'identitaire et le social, qu'il s'est fait élire. En 2012 il n'était plus que sur le pied identitaire, et il a perdu.

Aujourd'hui Nicolas Sarkozy voit du monde, il donne les signes d'une personne qui a senti un manque du côté des idées. Il a fait de mauvaises prestations, il n'a pas forcément été très habile le 11 janvier, et il y a fort à parier qu'il en a pris conscience. Il ne faut jamais sous-estimer Nicolas Sarkozy, car quand il identifie et s'attaque à un problème, on peut s'attendre à des résultats. Ses amis politiques avaient ces derniers temps l'impression qu'il était déconnecté, et qu'il restait figé sur ses certitudes de 2012. Aujourd'hui je pense qu'il s'en est rendu compte, il faut donc s'attendre à voir du nouveau.

Ceux qui sont toujours là

Malgré la reconfiguration des effectifs, notamment à la suite de l'affaire Buisson, y a-t-il encore des pôles de stabilité parmi ses soutiens ?

Carine Becard : On ne peut pas mettre sur un même plan des gens comme Emmanuelle Mignon et Patrick Buisson. La première travaillait véritablement pour Nicolas Sarkozy, quand le second faisait partie des visiteurs du soir. Ces derniers sont là pour attirer l'attention du Président sur certains sujets, et non pour écrire un programme cohérent.

Aujourd'hui Nicolas Sarkozy se trouve face à un double défi : d'un côté il doit trouver des gens qui ont envie de travailler pour lui, et pour cela il doit donner l'impression qu'il est en capacité de gagner. Pour le moment il est observé par beaucoup de personnes, mais il n'est pas suffisamment séduisant politiquement parlant.

D'un autre côté, pour s'entourer il lui faut des moyens, que l'UMP n'a pas. Qu'un parti aussi important se dote d'un seul chargé des études en la personne de Franck-Philippe Georgin, cela prouve les difficultés financières considérables auquel il est confronté. Sébastien Proto pourrait être tenté d'offrir plus de temps à Nicolas Sarkozy, mais il ne faut pas qu'il perde trop au change en matière de rémunération.

Christelle Bertrand : Patrick Buisson a laissé un vide immense. De nombreux conseillers le regrettent car, disent ils, il avait les clés qui permettaient de séduire l'électorat le plus à droite. Emmanuelle Mignon est toujours là mais en pointillé. Il semblerait que Nicolas Sarkozy craignant, par dessous tout, le reproche qui lui a été fait en 2012 d'avoir été lobotomisé ait, du coup, écarté de son entourage toute personne qui pouvait avoir une trop grande influence. Sébastien Proto, Fabien Raynaud ou Eric Schahl, plus jeunes et moins aguerris, sont moins dangereux pour l'indépendance intellectuelle de l'ancien président mais sans doute moins pertinents. Nicolas Sarkozy est aujourd’hui un homme très seul qui semble avoir perdu son intuition légendaire et sa confiance en lui, cette confiance qu'il puisait en partie dans la fidélité et l’admiration que lui portait son entourage.

Carine Becard : Les politiques ne peuvent avoir des idées sur tout. Ils ont besoin d'avoir du monde qui réfléchit avec eux. C'est le cas pour tous. Une fois qu'il a récupéré des idées, Nicolas Sarkozy aime les tester sur des politiques, des proches, des adversaires internes au parti, afin de voir comment ils réagissent. Il adore convaincre, mais il ne déteste pas être convaincu. Il n'est pas du tout fermé.

Aujourd'hui, en revanche, on peut douter qu'il soit à la recherche d'idées nouvelles. Il est probable qu'il en ait besoin, car la campagne pour la primaire, puis celle pour la présidentielle, vont arriver plus vite qu'on ne le pense, mais il a pour le moment beaucoup d'autres problèmes à régler, qui l'empêchent de travailler à un programme. On a tendance à attendre des idées très fortes de la part de Nicolas Sarkozy, car on l'a connu capable d'avoir beaucoup d'idées, qui plus est clivantes et  transgressives. Mais si aujourd'hui il appliquait la même méthode, avec des proposition innovantes qui collent parfaitement au contexte français, il a tellement d'adversaires qui se préparent à l'affronter que ses propositions seraient immédiatement décortiquées et vertement critiquées. Car à l'exception de François Fillon, les ténors de l'UMP se gardent bien d'avancer trop d'idées, craignant de se les faire voler ou torpiller. Nicolas Sarkozy n'a pas l'assise suffisante pour forcer les autres à mettre en ordre de bataille derrière les siennes. Il est pour l'instant coincé. Sacrément bloqué. Et contraint d'attendre.

Carole Barjon : Henri Guaino, malgré ses fonctions de député, reste un fidèle de Sarkozy. Celui-ci l'a d'ailleurs chargé d'une mission sur l'islam, sujet particulièrement épineux. Nicolas Sarkozy pouvait difficilement trouver meilleur candidat pour manier avec délicatesse cette question.

Des forces passées devenues les faiblesses d'aujourd'hui

En 2005-2007, quelles étaient ses forces et faiblesses ?

Christelle Bertrand : Nicolas Sarkozy était alors un homme neuf dans le sens où il n'avait jamais exercé le pouvoir suprême. Il avait réussi au ministère de l’Intérieur et semblait paré de tous les atouts : une conviction incroyable, une volonté de fer, un sens de la transgression qui plaisaient aux français.

Carole Barjon : Sa force faisait aussi sa faiblesse : sa propension à cliver, antagoniser et transgresser était acceptée par les Français, lassés par l'immobilisme de l'ère Chirac, pendant la campagne, mais pas une fois qu'il est devenu président de la république. Aujourd'hui ses forces et faiblesses sont les mêmes, mais la seule chose qui a changé, c'est qu'il a été Président.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

Christelle Bertrand : Nicolas Sarkozy a évidemment acquis, durant ces 5 ans passés à l’Élysée, une expérience incomparable. Depuis 2012, il a aussi beaucoup travaillé sur lui même car, il en est persuadé : les Français ne l'ont pas réélu pour des questions de personnalité et de comportement. Son obsession depuis son départ de l’Élysée est donc de revenir en homme neuf, transformé par cette traversée du désert de 2 ans, assagi, apaisé. Un homme qui a appris de ses erreurs et qui se veut plus fédérateur. Mais là encore, l'opération ne semble qu'à moitié fonctionner, les français ont du mal à voir en lui un autre homme. Il est toujours, aux yeux de ses soutiens, ce personnage déterminé et énergique qui les a séduit en 2007, mais il reste aussi, pour d'autres, l'homme fougueux, qui, par ses excès de langage et ses prises de décision impulsives, a crispé et clivé la société française.

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