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Pourquoi la Chine pourrait ne jamais rattraper la super puissance américaine
©Reuters

Mise en perspective

Si plusieurs pronostics désignent la Chine à la tête des nations les plus puissantes de demain, ces derniers évoquent le plus souvent les données économiques. Dépendance aux marchés extérieurs, réseau diplomatique fragile, population pauvre... Les chantiers à réaliser, avant de prétendre dépasser les Etats-Unis, demeurent nombreux.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Les Américains se sont toujours inquiétés de leur déclin. Face à eux, l'Europe, dont l'économie stagne. D'ici 2060, un tiers de la population européenne devrait en outre avoir plus de 65 ans. Le principal rival des Etats-Unis semble donc être la Chine. Les atouts de la puissance chinoise peuvent-ils vraiment lui permettre de détrôner les Etats-Unis ?

Jean-Vincent Brisset : Il est assez hasardeux d’avancer que la Chine sera le principal rival pour les Etats-Unis à un horizon aussi éloigné que 2060, dans 45 ans. Qui aurait imaginé en 1970 le monde tel qu’il est aujourd’hui? Ceci n’empêche pas les Etats-Unis de prendre très au sérieux la montée en puissance actuelle de la Chine. Et, surtout, de le faire avec pragmatisme, en s’appuyant sur une analyse dépourvue de l’angélisme qui caractérise le plus souvent celle qui est faite en Europe, et particulièrement en France.

Il est indéniable que la Chine est devenue une puissance de niveau mondial et que sa progression se poursuit encore. Toutefois, elle n’a guère qu’un seul atout, celui de sa masse humaine, plus ou moins bien exploité. Depuis que le pragmatisme d’un Deng Xiaoping a remplacé l’idéologie d’un Mao Zedong, les choix qui ont été faits ont permis à l’Empire du Milieu de devenir l’usine du monde. Cela l’a conduit à devenir un pays incontournable économiquement, faute d’être encore, et pour longtemps, un pays riche. Cet avantage est largement exploité sur le plan diplomatique. Il permet aussi de développer un autre attribut de puissance, les forces armées, qui reste encore en retrait sur le plan qualitatif.

Mais cette puissance est fragile. Le succès économique est bâti sur des fondations fragiles et reste beaucoup trop dépendant des marchés extérieurs, qui ne sont pas indéfiniment extensibles. Il s’est aussi fait au détriment de l’environnement, de la cohésion sociale, du respect des individus. Autre inquiétude pour l’avenir, le vieillissement de la population et l’indispensable gestion autoritaire de la natalité préfigurent une situation très difficile à gérer.

La Chine a fait de l'Afrique un partenaire stratégique : en 2013, les investissements directs chinois ont représenté près de 25 milliards de dollars sur le continent africain. Le pays tente également de s'attirer les faveurs des Brics. La Chine ne reste-t-elle pas encore isolée sur la scène internationale ? Quels sont ses véritables alliés ?

Le terme de « partenariat stratégique » dont Pékin, adepte de la diplomatie du verbe, use et abuse, est à prendre avec précautions. Il est certain que la Chine investit en Afrique. Le chiffre de 25 milliards de dollars est cependant à comparer aux 110 milliards de dollars d’investissements étrangers reçus par la Chine au cours de la même année. Ces investissements sont, de plus, très souvent considérés comme « égoïstes », parce qu’ils profitent bien davantage à la Chine qu’aux pays récepteurs.

Le groupe « BRICS », dont la Chine est le membre le plus puissant, a du mal à se positionner sur la scène internationale, tant les disparités sont grandes en son sein. Toutefois, il contribue à donner une image qui peut plaire, en s’opposant aux hégémonismes et en donnant l’impression d’offrir une alternative plausible à des organismes internationaux dominés par les pays occidentaux. L’appartenance de la Chine a un tel groupe, même s’il demeure totalement informel, est quand même la marque d’une évolution très profonde. Hors une brève phase avec l’URSS, qui concrétisait en fait une tutelle, la Chine n’a jamais eu d’alliés dans son histoire. Si on considère qu’une alliance implique une intervention militaire automatique d’une nation en faveur de son allié agressé, la Chine n’a toujours pas d’alliés, même si l’Organisation de coopération de Shanghai est en devenir vers une « alliance policière » au profit de la sécurité intérieure des états membres. Sa participation -très récente- à certaines opérations de maintien de la paix avec des unités combattantes et aux opérations de lutte contre la piraterie au large de la Somalie marque aussi une évolution, qui demeure timide. Par contre, l’emploi du terme « alliance » pour qualifier la relation avec la Corée du Nord et le Pakistan ne s’appuie sur aucune réalité.

La Chine reste donc relativement isolée sur la scène internationale. Les positions très agressives qu’elle a prises aussi bien en Mer de Chine du Sud qu’en direction du Japon, font très peur aux pays concernés, qui réagissent en renforçant leurs dispositifs militaires, mais aussi en se rapprochant des Etats-Unis, perçus comme un éventuel bouclier. Cette réaction semble ne pas avoir été bien anticipée par Pékin, qui tend depuis peu à prendre des positions moins visibles.

Finalement, dans son ambition de montée en puissance, la Chine n'aurait-elle pas intérêt à tisser des liens avec l'Inde ?

La guerre entre la Chine et l’Inde, en 1962, est le seul exemple récent d’une victoire conforme aux théories de Sun Zi. L’Inde a été « battue d’avance ». Il en reste de forts ressentiments au sein d’une bonne partie de la classe dirigeante indienne, confortés par des revendications frontalières qui ne se règlent pas et des escarmouches vénielles mais fréquentes dans les zones contestées. Les activistes tibétains réfugiés en Inde demeurent aussi une épine dans les relations.

Les deux pays poursuivent depuis des années une politique d’encerclement et de contre-encerclement, chacun essayant de nouer de bonnes relations avec les pays situés à la périphérie de l’autre. La tournée actuellement effectuée par Modi en est une très belle démonstration, tout comme l’est la réaffirmation par Xi Jinping de l’existence d’une « route de la soie maritime », aussi appelée « Collier de Perles ». Le rapprochement de l’Inde et des Etats Unis est aussi une réalité indéniable et la Russie ne voudra sans doute pas choisir entre Pékin et Delhi.
Toutefois, dans un contexte de mondialisation, les échanges commerciaux sino-indiens ne peuvent que progresser, ne serait-ce qu’en raison des complémentarités et de la proximité. Aujourd’hui, Inde et Chine n’ont pas plus de raisons de s’ignorer que de raisons de se faire la guerre. Mais les deux pays n’ont toujours pas de raison de s’allier.

La situation actuelle de la Chine lui permet-elle de prétendre à l'hégémonie mondiale ?

Il y a peu de temps, l’hypothèse -assez étonnante- d’un G2 réunissant Etats-Unis et Chine contre le reste du monde était avancée, par certains politologues. De même, d’autres pronostiquent aujourd’hui que, dans 10, 20 ou 50 ans, la Chine sera la première puissance mondiale et, surtout, qu’elle aura la même prééminence que celle actuellement exercée par les Etats Unis. Cela sera sans doute vrai un jour pour le PIB national. Mais on sera encore très loin en matière de PIB par habitant.

Il est certain que l’Empire du Milieu (comme ses sujets) rêve de reconquérir l’hégémonie régionale qui a été la sienne pendant quelques moments de son histoire. En oubliant que, le plus souvent, c’était sous la férule de dynasties étrangères. Il n’est pas du tout certain qu’il existe une volonté de conquérir une hégémonie mondiale. En fait, la Chine se contenterait probablement de gagner une place suffisamment importante pour que rien ne puisse lui être imposé par l’étranger. 

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