Bygmalion, l’enquête avance : les 1ères conclusions se dessinent sur qui savait quoi <!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Lavrilleux aux prises avec l'affaire Bygmalion.
Jérôme Lavrilleux aux prises avec l'affaire Bygmalion.
©Reuters

Chacun sa peau

L’instruction de l’affaire Bygmalion n’est pas loin d’arriver à son terme. La difficulté consiste à savoir qui a été le véritable donneur d’ordres des fausses facturations lors de la campagne présidentielle de 2012 de Nicolas Sarkozy. Encore que la guerre -par procès-verbaux interposés- entre Jérôme Lavrilleux et Eric Césari, l’ex-directeur général de l’UMP, peut apporter une réponse. Avec les confrontations et les auditions à venir, l’instruction risque de devenir explosive.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Au bout de neuf mois d’enquête, les trois juges d’instruction ont bien démonté le système de double facturation mis au point par Bygmalion lors de la campagne présidentielle de 2012 de Nicolas Sarkozy.

  • La consultation des procès-verbaux d’audition des principaux protagonistes montre clairement que chacun se défausse sur l’autre, jouant au jeu du "c’est pas moi, c’est l’autre !"

  • La guerre est surtout déclarée entre l’ancien directeur de campagne Jérôme Lavrilleux et Eric Césari, l’ex-directeur général de l’UMP, ces derniers se chargeant mutuellement.

  • Jérôme Lavrilleux est catégorique : ni son ami Jean-François Copé, ni le candidat Nicolas Sarkozy n’ont été informés des fausses factures ayant eu cours pendant la campagne présidentielle. A ce stade de l’instruction, l’ancien chef de l’Etat ne devrait être entendu que comme témoin.

  • Les juges d’instruction devraient prochainement recueillir les explications du député d’Indre-et-Loire, Philippe Briand, trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Après plusieurs mois d’enquête, les trois juges – Renaud Van Ruymbeke, Roger Le Loire et Serge Tournaire– qui instruisent l’affaire des fausses factures de la société Bygmalion réalisées lors de la campagne présidentielle de 2012 du candidat Nicolas Sarkozy, ont désormais une certitude, parfaitement résumée par le rapport de la commissaire divisionnaire Christine Dufau, cheffe de l’OLCIFF (Office central de lutte contre la corruption et les infractions fiscales et financières): "les participants à ces faits [les factures fictives], les responsables d’Event et Cie, filiale de Bygmalion, de l’UMP et de la campagne présidentielle semblent inextricablement liés les uns aux autres dans la décision d’établir les fausses factures."  Neuf mois après l’ouverture de l’information judiciaire pour faux et usage, abus de confiance, et tentative d’escroquerie, s’impose une autre évidence, fondée sur la lecture des procès-verbaux qu’a pu consulter Altantico : les protagonistes épinglés n’ont pas la même lecture des dessous financiers de cette campagne, chacun ayant tendance à jouer  une pièce de boulevard du genre "c’est pas moi, c’est l’autre", qui pourrait tout aussi bien s’intituler " Le bal des menteurs." Pourtant, il y a eu, en bout de course, un dépassement de plafond des dépenses de campagne de Sarkozy en 2012 de l’ordre de 17 millions d’euros…

Les mises en garde des experts-comptables

Et pourtant, l’expert-comptable de la campagne, Pierre Godet, dans une note datée du 7 mars 2012 adressée à Guillaume Lambert, le directeur de campagne avertissait : "Le rythme de l’évolution prévisionnelle des dépenses doit être corrigée." Et de conseiller : "Il conviendrait donc à notre avis d’envisager la diminution du prix de certaines actions de campagne au chapitre desquelles certains meetings du premier tour pourraient être engagées à un coût inférieur à celui prévu." Le 26 avril, Pierre Godet apparaît de plus en plus préoccupé, puisque dans une seconde note adressée non seulement à Guillaume Lambert mais à Philippe Briand député UMP d’Indre-et-Loire et trésorier de l’Association de financement du candidat Sarkzoy, il écrit : "Le montant des dépenses atteint 18,3 millions d’euros, soit 1,5 million de plus que le plafond. Ce dépassement est dû aux coûts des réunions publiques tenus à Villepinte et Place de la Concorde". La première a eu lieu le 11 mars 2012 et a coûté 1 556 797 euros, la seconde s’est déroulée le 15 avril, et a été facturée 2 112 016 euros. Moins de quinze jours plus tard, le 28 avril, à 12 heures 19 précises, Jérôme Lavrilleux, directeur du cabinet du président de l’UMP, Jean-François Copé, et adjoint de Lambert, adresse à ce dernier le sms suivant : "JFC [ Jean-François Copé] ne vient pas à Clermont ; il y est allé la semaine dernière. Louer et équiper un deuxième hall est une question de coût. Nous n’avons plus d’argent. JFC en a parlé au PR [Président de la République, Nicolas Sarkozy]". Or, rien ne se passe. Ce sms a existé. Mais Lavrilleux n’a-t-il pas voulu se couvrir et protéger Copé pour, le cas échéant, se défausser plus tard. En substance : "J’ai alerté Lambert sur l’évolution du financement de la campagne."

En tout cas, du côté du siège de l’UMP, rue de Vaugirard – le QG de campagne de Nicolas Sarkozy se trouve rue de la Convention- on n’est au courant de rien. Les témoignages de Jean-François Magat et Georges Couronne, les deux commissaires aux comptes de l’UMP, recueillis par la PJ sont édifiants : "Aucun élément interne, affirment-ils, n’avait attiré notre attention et personne ne nous avait alertés sur une quelconque irrégularité." Jean-François Copé, contraint de démissionner de son poste de président, le 27 mai 2014 après les révélations du Point du 27 février, entendu comme témoin, partage ce point de vue : "Je n’avais pas les moyens de déceler ces opérations litigieuses. Les pratiques mises en place avant mon arrivée dans le circuit de décision n’impliquent pas le secrétaire général, ni sur les devis ni sur les engagements de dépenses."  Bref, circulez, il n’y a rien à voir du côté de la rue de Vaugirard. Là bas, on n’est pas concerné par la campagne de Nicolas Sarkozy…

Quand l'ex-directeur général de l'UMP charge ses anciens compagnons

Aussi, quand on peut "mouiller" d’autres camarades ou cadres supérieurs du Parti, voire même botter en touche sur ses propres responsabilités, pourquoi s’en priver ? A cet égard, le PV d’audition du 2 octobre 2014,  du directeur général de l’UMP Eric Césari – que nous avons tenté en vain de joindre à plusieurs reprises-  en est l’illustration. [Peu connu du grand public, d’un naturel discret, Eric Césari, ancien membre du cabinet de Charles Pasqua place Beauvau, a quitté son poste à l’UMP en juin 2014]. Question : Qui composait l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy ? Réponse : Je n’ai pas de connaissance particulière puisque je ne participai pas aux réunions du staff de campagne. J’ai noté comme tout le monde la position de Guillaume Lambert et de Jérôme Lavrilleux. Question : Qui était l’interlocuteur de l’UMP pour l’équipe de campagne du candidat Sarkozy, pour tout ce qui pouvait avoir un lien avec ses engagements financiers ? Réponse : Elle se tournait vers la direction des affaires financières et le trésorier de l’UMP. Question : pourriez-vous être plus précis ? Réponse : Je n’ai aucune idée. Je n’ai jamais été dans les circuits financiers. Question : Oui. Mais vous ciblez la Direction des affaires financières et le trésorier? Pourriez-vous nous dire les noms des personnes qui la composaient ?  Réponse : Fabienne Liadzé et quatre personnes travaillant sous son autorité. Question : Qui était le trésorier de l’UMP en 2012 ? Réponse : Dominique Dord [député de Savoie] nommé par Xavier Bertrand. Il démissionné en 2012. Question : qui avait autorité sur Mme Liadzé et le personnel de la Direction des affaires financières ? Réponse : Techniquement, sur le plan administratif, le directeur général des services. Question : Qui était-il en 2012 ? Réponse : moi.

Eric Césari passe de mauvais moments. Contraint d’admettre, sous la pression de l’enquêteur, qu’il ne peut totalement ignorer les rouages financiers de la campagne du candidat Sarkozy… Quand le voici interrogé sur Jérôme Lavrilleux. Ce dernier a affirmé à la PJ, le 17 juin 2014, qu’Eric Césari, était le seul à détenir le pouvoir administratif et hiérarchique auprès des salariés de l’UMP. Faux, réplique l’intéressé: "Lavrilleux a toujours agi en ordonnateur de la logistique pour l’organisation des meetings." Ce même Lavrilleux, qui, le 17 juin 2014, déclare : "M. Césari se déplaçait systématiquement en ma compagnie à chacun des meetings." Ce 17 juin encore, Lavrilleux donne un joli coup de pied de l’âne en direction de Franck Louvrier, le directeur de la communication de Sarkozy, en affirmant que les trois meetings les plus chers – Villepinte, Trocadéro, Place de la Concorde- ont été organisés par la société Agence Publics et non par Event et Cie. Cela, à la demande de Louvrier. "Sans que j’en connaisse les raisons", ajoute, un brin perfide, Lavrilleux. [En réalité, l’organisation de ces trois meetings semble avoir été partagée entre ces deux sociétés] Décidément, l’ancien directeur adjoint de la campagne de Sarkozy- que nous avons tenté de joindre en vain à plusieurs reprises- cogne tous azimuts. Contre Césari, qui lui, se défausse sur Fabienne Liadzé, la directrice des ressources du mouvement. Contre Louvrier, manière indirecte de toucher Sarkozy. Contre Lambert, façon plus ouverte de viser aussi l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine.

Guillaume Lambert contredit Jérôme Lavrilleux

Jérôme Lavrilleux n’affirme t-il pas que le préfet a la charge de l’organisation pratique et du contrôle des coûts de la campagne ? Certes, cela est vrai. Sauf que l’avocat du préfet Lambert, Me Christophe Ingrain ne cesse de marteler que son client est totalement étranger au système de fausses factures ayant été échafaudé lors de la campagne de Sarkozy. D’ailleurs, dans une lettre de 9 pages adressée le 14 juin 2014 au procureur de Paris, François Molins, le préfet Lambert a répondu par avance aux allégations de son ancien adjoint. Affirmant ne pas occuper réellement les fonctions de directeur de campagne, Guillaume Lambert écrit : "Bien qu’il soit mon adjoint, je ne dispose, dans les faits, d’aucun pouvoir hiérarchique sur Jérôme Lavrilleux ou ses équipes. Peu présent au QG de campagne où il ne dispose pas d’un bureau, il suit la campagne depuis le siège de l’UMP et prend diverses initiatives sans toujours solliciter mon avis, ni m’en rendre compte."

Preuve que Lambert ne se situe pas au cœur du dispositif : c’est la direction de l’ UMP- en l’espèce Lavrillleux et Césari- qui lui apprendra, ainsi qu’à Franck Louvrier, début janvier 2012, que la société Event et Cie a été choisie pour l’organisation de l’ensemble des meetings de Nicolas Sarkozy. Toujours dans sa missive du 14 juin adressée au procureur de Paris, Guillaume Lambert poursuit : "Jérôme Lavrilleux lie très clairement l’implication de l’UMP dans la campagne au fait de retenir Event et Cie comme prestataire exclusif. Je constate en effet la très grande proximité de  Lavrilleux avec les équipes d’Event…"  De fait, cette société se trouvera au cœur du système de factures fictives, rédigées en double exemplaire, portant le même numéro, un intitulé identique, mais pas la même somme ! En voici quelques spécimen retrouvés lors des perquisitions tant à l’UMP qu’au siège de Bygmalion et d’Event et Cie. Comme cette facture "relative à  l’aménagement scénique du siège de l’UMP" datée du 31 janvier 2012, portant le numéro 120 101, d’un montant de 24 793 euros… Or, une facture, datée du même jour, comportant un numéro identique, mais d’un montant de 5 800 euros a également été retrouvée au siège de l’UMP. Que dire de cette facture, numéro 120 203, datée du 31 janvier 2012, relative à l’organisation de la convention "sur la vocation maritime de la France" d’un montant de 41 828 euros, découverte à l’UMP !  Bizarre… Puisque une facture aux références identiques a été saisie chez Event et Cie pour un montant de … 1700 euros ! Quoi d’autre ? Cette facture, numéro 120 104, ayant trait à l’organisation de la convention " La France silencieuse", datée du 31 janvier 2012 d’un montant de 32 916 euros retrouvée à l’UMP. Or, une facture identique, mais d’un montant de 1 700 euros a été découverte chez Event et Cie… Citons encore cette facture sur "l’organisation du Conseil national de l’UMP", datée  du 31 janvier 2012 – un manie, cette date !-, numéro 120 105, d’un montant de 821 657 euros découverte chez Event et Cie… alors que les enquêteurs mettront la main sur un document identique en tous points, mais d’un montant de 569 356 euros.

Quand d'anciens cadres de l'UMP "tombent de l'armoire"

Interrogée sur ces factures, Fabienne Liadzé, la directrice des ressources de l’UMP, tombera littéralement des nues. Le directeur de la communication de l’UMP, Pierre Chassat ira lui aussi, faire un tour du côté de la rue des Trois Fontanot, siège de la PJ à Nanterre. C’est lui qui a signé, au nom de l’UMP, les engagements de dépenses relatifs aux meetings du candidat Sarkozy. Alors que ces dépenses devaient être imputées sur l’Association de financement de l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine. "Je l’ignorai" dira-t-il au policier qui l’auditionne  le 3 octobre 2014, avant d’ajouter : "[ …] Je n’avais aucune raison de mettre en doute ce que l’on me proposait de signer." Et Chassat d’affirmer avoir "tout découvert dans la presse."  Question : " Quelle a été votre réaction ?" Réponse : " Je suis tombé de l’armoire."   Dans cette affaire qui risque, dans les prochains jours, de déboucher sur quelques surprises, il y en a au moins deux qui reconnaissent l’existence de factures fictives. D’abord, Jérôme Lavrilleux. Au cours de sa garde à vue du 17 juin 2014, alors qu’il est interrogé sur les 35 conventions, colloques et conférences ayant servi à ventiler les dépenses de campagne facturées à l’UMP, il reconnait : "Les prestations amenant à ces factures étaient fictives." Franck Attal, le directeur général adjoint d’Event et Cie, la filiale de Bygmalion, fournira une réponse identique lors de son audition quelques semaines plus tard… Laissant entendre que Guy Alvès, directeur général de Bygmalion et Bastien Millot, le fondateur, deux proches de Copé, désormais brouillés, ne pouvaient ignorer ces dérives. Aujourd’hui, les enquêteurs ont bien cerné les responsabilités, les contradictions, les semi-vérités – ou semi mensonges, les non-dits des acteurs de cette histoire dont on aurait rien su, peut-être, si Nicolas Sarkozy avait été réélu président de la République.

Selon Lavrilleux, Nicolas Sarkozy n'était pas informé des factures fictives

Demeure néanmoins une question : l’ancien chef de l’Etat et Jean-François Copé ont-ils été informés de ce système de double facturation ? Sur le premier, Lavrilleux, lors de son audition du 17 juin, s’est montré catégorique : "Je n’ai jamais évoqué ce sujet avec Nicolas Sarkozy. A mon avis, il est impossible qu’il ait été informé." Sur Copé, il le sera tout autant : "Je ne l’ai pas avisé, car cela l’aurait mis dans une alternative impossible. Laquelle, aurait été, si je l’avais informé, de l’obliger à être, soit complice, soit responsable d’un évènement politique majeur. J’ai estimé que le travail d’un directeur de cabinet était de protéger son patron." Sur la connaissance ou pas par Sarkozy de cette histoire, un autre témoin apporte un éclairage identique. Il s’appelle Gérard Askinazi et a fondé, en 2010, l’Agence Publics, -4 à 5 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel- qui a participé à la mise sur pied des trois fameux meetings de Villepinte, place de la Concorde et Trocadéro. Le 10 juillet 2014, ce militant gaulliste, ancien conseiller municipal de Boulogne-Billancourt en charge de la sécurité, qui entretient des "relations professionnelles, respectueuses depuis 25 ans avec Sarkozy", est interrogé sur ce dernier : "Etait-il informé des coûts liés aux meetings ?"  Réponse : Non, je ne le pense pas. Je ne l’ai jamais vu lors des réunions préparatoires. Je pense qu’il validait le choix des lieux de meetings sans pour autant entrer dans le détail de l’organisation de ces derniers."

Ce 10 juillet, le patron de l’Agence Publics en profite pour égratigner à son tour Jérôme Lavrilleux et restituer, à ses yeux, le rôle que ce dernier a joué lors de l’organisation du fameux meeting de Villepinte : " […] Il dirigeait la réunion. Pour moi, il me donnait l’impression d’être le décideur. M. Lambert semblait effacé face à Jérôme Lavrilleux." Quand viendra le temps des confrontations, la marmite Pygmalion risque d’exploser, car chacun voulant sauver sa tête, ce sera à celui qui fera le maximum de révélations… Des vraies, si possible ! Songeons par exemple, qu’à ce jour, aucune suspicion d’enrichissement personnel ne semble avoir été établie par les enquêteurs. Tout au plus ont-ils appris, par inadvertance, que l’un des protagonistes détenait un compte non déclaré à l’étranger… Et qu’un autre avait effectué un virement de 600 000 euros d’une de ses sociétés à une autre… 

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