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Fin de vie : comment ça se passait avant que les politiques ne s'en mêlent
©Reuters

Défi du législateur

Mardi 10 mars, l'Assemblée nationale doit étudier une proposition de loi sur la "sédation profonde et continue". Un pas de plus dans la réponse législative à un problème qui, il y a vingt ans encore, n'était encadré par aucune loi. Les changements de mentalités sont passés par là, entraînant une hausse des revendications.

Anne Richard

Anne Richard

Anne Richard est médecin anesthésiste aujourd'hui retraitée. Ancienne présidente de la SFAP – Société française d'accompagnement et de soins palliatifs – elle a créé et fût chef se service des soins palliatifs du CHU de Saint-Etienne.

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Atlantico : Les premières lois proposant et encadrant des soins palliatifs datent de la fin des années 90. Concrètement, à quoi ressemblait avant le contexte où un médecin était confronté à un patient mourant, pour qui on pouvait envisager l'équivalent d'une sédation profonde ? 

Anne Richard : Tout d'abord, le terme employé à l'époque n'était pas "sédation profonde" mais "cocktail lytique". Il s'agissait de proposer au patient un mélange d'anxiolytiques et d'antidouleurs, afin de réduire les souffrances et soulager l'anxiété. Le résultat de cette administration était d'endormir le patient, même si ce n'était pas en soit le but recherché. C'était quelque chose que l'on ne faisait que dans les derniers jours, voire dans les dernières jeures de la vie du malade, pas quand il restait encore plusieurs semaines à vivre. Et surtout, cela se faisait quasiment toujours sur proposition du médecin qui suggérait cette possibilité à la famille. Nous attentions alors que les membres de l'entourage de la personne mourante soit prêt à accepter l'idée de la mort de leur proche. 

Quel a été le point de rupture ayant entraîné le besoin de légiférer ? Pourquoi est-il survenu à ce moment-là, entraînant les politiques dans le débat ?  

Dans les années 70 et 80, la médecine a fait d'énormes progrès, notamment dans les domaine de la réanimation ou de la cancérologie. On arrivait à sauver de plus en plus de vies grâce à des traitements performants. Mais cette volonté de proposer de nouveaux traitements avec l'idée que l'on parviendrait à sauver des personnes à des stades très avancés à eu une conséquence : l'acharnement thérapeutique. Deux mouvements se sont alors développés dans le monde médical face à cette dérive. Le premier a été le mouvement des soins palliatifs qui considérait que, plutôt que de faire de l'acharnement thérapeutique, mieux valait concentrer son énergie sur des traitements soulageant les problèmes que l'on rencontre en fin de vie, que ce soit les troubles digestifs, les diarrhées, les problèmes de peau ou de respiration. Cette approche était tout à fait nouvelle, et des médecins français se sont rendus en Angleterre ou au Canada pour étudier les pratiques qui s'y faisaient et ramener ensuite ce qui constituera la base du concept des soins palliatifs que nous connaissons. Mais un deuxième mouvement a émergé dans le même temps : celui prônant le droit de refuser de vivre cette période d'agonie en permettant de légalement provoquer la mort, ce qui est contraire à la déontologie médicale. C'est l'euthanasie, et c'est la position notamment de l'ADMD – Association pour le droit de mourir dans la dignité – qui n'a de cesse de réclamer cette possibilité depuis. 

Qu'est-ce qu'à apporté concrètement les principales loi qui ont été prises pour encadrer la fin de vie ? Qu'ont-elles apporté au corps médical ? Et au patient ?

Pour le médecin, elle a apporté une sécurité juridique. Mais il faut bien comprendre que l'importance que prend une telle législation dépend du médecin. Par exemple, un généraliste en moyenne va voir une personne de sa clientèle mourir par an. On est très loin de la réalité à laquelle sont confrontées les pneumologues, les gériatres, sans parler bien sûr des cancérologues qui sont de plus confrontés parfois à des demandes d'acharnements thérapeutiques de la part de leur patient qui veulent absolument vivre. Si la loi de 1999 a rendu l'accès aux soins palliatifs de droit pour tous les malades (bien que nous n'en ayons pas toujours les moyens), la loi de 2005 a permis justement d'éviter l'acharnement thérapeutique. Il permet également une meilleure prise en compte du choix du patient. Cependant, la loi actuellement en cours d'élaboration pourrait rendre le choix du patient opposable à la position du médecin. C'est une inquiétude de plus à avoir quant aux risques de dérives vers l'euthanasie. En tout cas, je ne suis pas très optimiste...

A l'inverse, même si la loi a apporté une certaine sécurité juridique, a-t-elle entraîné des inconvénients par rapport à une époque aux pratiques certes plus floues, mais où le médecin jouissait d'une plus grande confiance ?

Je ne dirai pas que les choses "étaient mieux avant". Mais nous sommes aujourd'hui dans un contexte plus revendicateur. La mentalité des patients et de leur famille a vraiment changé, et on supporte de moins en moins l'idée de l'agonie. Il y a une demande forte de la société "d'accélérer" cette période. Pourtant, en tant que médecin, nous voyons l'importance de ce qui se joue dans une famille à ce moment-là – même si la famille n'en a pas conscience sur le coup – et j'ai peur que la fin de vie devienne finalement plus brutale qu'avant malgré la hausse constante des moyens mis à disposition.

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