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L'euro divise l'Europe
L'euro divise l'Europe
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La victoire de Syriza aux dernières élections législatives grecques et les attentes du peuple grec sont en contradiction avec les attentes d'autres peuples européens. Tout laisse à penser que les pays de la zone euro ont abandonné leur souveraineté pour tendre vers une prospérité qui n'est pas advenue.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Philippe Legrain

Philippe Legrain

Philippe Legrain est chargé de cours à l'institut Européen de la London School of Economics. Entre 2001 et 2014, il a conseillé le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Son dernier livre : European Spring: Why Our Economies and Politics are in a Mess – and How to Put Them Right.

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Atlantico : La victoire de Syriza aux dernières élections législatives grecques donnait toute légitimité à ce parti ouvertement anti-austérité. Mais les attentes du peuple grec sont en confrontation directe avec les attentes d'autres peuples européens, ce qui a notamment été souligné par Wolfgang Schäuble. Comment concilier ces deux réalités au sein des démocraties européennes?

Philippe Legrain : Il est vrai que la demande du peuple grec d'un allègement de la dette (et ainsi de la fin de l’austérité) est en conflit avec les intérêts financiers des contribuables d’autres pays de la zone euro, qui devraient alors subir des pertes si la Grèce obtient cet allègement dont elle a besoin pour s’en sortir. Mais pourquoi cela ? Parce qu’Angela Merkel ; en accord avec le trio français composé du Président Sarkozy, de Jean Claude Trichet à la BCE et de Dominique Strauss Kahn au FMI, ont décidé en 2011 de violer la règle de « non bailout » sur laquelle la zone euro a été bâtie- la règle de non renflouement du Traité de Maastricht- et ont prêté l’argent des contribuables européens à un gouvernement grec insolvable, non pas au titre de la solidarité, mais pour qu’il puisse rembourser les banques françaises et allemandes. En plaçant les intérêts des banques françaises et allemandes en amont de ceux des citoyens européens, ces dirigeants ont monté les européens les uns contre les autres. Si les électeurs allemands réalisaient que Merkel Et Schäuble leur ont menti, ils ne tomberaient pas dans ce piège nationaliste consistant à blâmer les grecs pour les erreurs de leur propre gouvernement et de leurs propres banques.   

Pour sortir de cette impasse, nous devrons en passer par un sommet de la dette, comme celui de Londres qui a permis l’allègement de la dette de l’Allemagne post-nazi de 1953, pour parvenir à un accord politique sur l’allègement de la dette, les réformes, et le lancement d’un nouveau plan Marshall (ou Merkel), pour investir en Europe du Sud. Et pour éviter de tomber à nouveau dans ce piège, nous devons créer un mécanisme de restructuration de la dette des gouvernements insolvables, tout en mandatant la BCE d’être un prêteur en dernier ressort pour ceux qui se trouvent confrontés à de problèmes de liquidités.

Nicolas Goetzmann : Il n’est évidemment pas raisonnable de considérer que le dernier vote exprimé puisse prévaloir sur l’ensemble. La Grèce représente environ 3% de la population totale de la zone euro. Mais la victoire de Syriza marque tout de même une étape importante. Elle a agi comme un révélateur d’une situation. Dès la prise de fonction d’Alexis Tsipras, l’opposition la plus radicale s’est manifestée depuis Berlin. Les autres pays membres de la zone euro n’ont servi que d‘intermédiaire entre ce nouveau parti et l’Allemagne, en l’occurrence Wolfgang Schäuble et Angela Merkel. Et plus le nouveau gouvernement grec se manifestait, provoquait, plus l’Allemagne réagissait de façon maladroite. Elle sortait du bois, et montrait à tous « qui est le chef ». Ce qui indique que le pouvoir européen s’est progressivement hiérarchisé au fil des années, pour en arriver aujourd’hui à une domination factuelle de l’Allemagne sur les autres pays. Il s’agit du point essentiel ; le changement de nature de la zone euro. La menace démocratique européenne vient de cette nouvelle nature, elle n’est pas l’ « essence » de la zone euro. Le premier à se révolter contre cette nouvelle tendance aura été Mario Draghi. Et pour le moment; son action est bien plus efficace dans le fond que Syriza.

La Grèce serait-elle devenue une "colonie de la dette", privée de toute possibilité de choix démocratique, comme le prétend son nouveau ministre de l'économie, Yanis Varoufakis ?

Philippe Legrain : La Grèce est enfermée dans une prison de dettes des temps modernes, comme je l’explique dans mon dernier livre European Springs (2014). Etant donné que le gouvernement est insolvable, il ne peut plus emprunter sur les marchés. Et parce que les prêteurs de la zone euro ne veulent pas accorder d’allègement de dette, la Grèce va rester dépendante de ses prêteurs et ce, malgré le caractère inéquitable des conditions imposées. Si Berlin ne veut pas accepter une conférence de la dette, je pense que le seul moyen pour la Grèce de sortir de cette prison de dettes est de faire face à l’Allemagne. Et d’être prête à émettre une monnaie parallèle si l’Allemagne et la BCE menaçaient (illégalement) de priver la Grèce de l’usage de leur propre monnaie, l’euro.

Nicolas Goetzmann : Le problème de cette formule, c’est qu’elle est difficilement contestable. Ce qui est le plus frappant, c’est que si les taux d’intérêts octroyés à la Grèce sont très bas, et en ce sens, avantageux, le calendrier mis en place empêche toute prise de liberté. Le gouvernement grec doit rembourser des échéances à des périodes très rapprochées, échéances qui sont-elles mêmes payées grâce à l’octroi de nouveaux prêts. Ce qui signifie que l’élève grec doit montrer sa copie tous les 3 mois pour avoir le droit de poursuivre le programme. Le pays est tenu en laisse, et la laisse est très courte. Dans un tel cadre, le respect du vote des électeurs a peu de poids face aux demandes des prêteurs. Il n’existe pas beaucoup de solutions. Et la solution la plus souhaitable serait une soudaine prise de conscience des européens à propos du caractère inacceptable de ce qui est imposé à la Grèce. Ce qui nécessite la mise en place d’un rapport de force, virtuel pour le moment puisque François Hollande ne dit rien.

En 1999, le Prix Pullitzer Thomas Friedman évoquait la nécessité pour les peuples d’abandonner une part de leur souveraineté (marchés financiers, FMI etc..) pour tendre vers la prospérité. Ce qu’il appelait la camisole dorée (« Golden Straitjacket »). Aujourd’hui, l’Europe semble être arrivée à l’envers de cette logique en affichant une absence de prospérité et de démocratie. Comment sortir de cette impasse ?

Philippe Legrain : Comme je l’expliquais dans mon livre Open World (2002), l’argument de la camisole dorée développé par Tom Friedman est incorrect : la globalisation n’empêche pas les gouvernements de taxer, dépenser et réguler. Ca devrait sembler évident : la Suède n’a pas été forcée de se transformer en les Etats-Unis. Mais il est vrai que la forme qu’a pris la zone Euro depuis le début de la crise réduit la démocratie et ne réussit pas à générer de la croissance économique.

Pour résoudre la crise dans la zone Euro, il nous faut restructurer les banques zombies, restructurer les dettes excessives (publiques et privées) et combiner une augmentation des investissements avec des réformes, afin de permettre à la croissance de repartir. L’Allemagne et d’autres pays créditeurs doivent payer leur part dans cet ajustement. Et pour que la zone Euro fonctionne mieux à l’avenir, il faut rétablir la règle du « no bailout » et, avec elle, la liberté des gouvernements de répondre aux changements économies et de mettre en œuvre leurs priorités politiques – le tout sous la contrainte de la volonté des marchés à prêter de l’argent et du risque de défaut.

Nicolas Goetzmann : Si l’objectif pour chaque pays européen est de promettre la prospérité à son peuple en se défaussant de sa souveraineté et la transmettre au niveau européen, il est quand même préférable d’arriver à la prospérité. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais de la même façon, le retour à la souveraineté nationale n’est pas non plus une garantie de prospérité. La priorité aujourd’hui est de proposer une stratégie économique crédible permettant de sortir la zone euro de son marasme. Il faut avouer que des progrès ont été faits, notamment du côté de la BCE et de Mario Draghi. Désormais, il appartient aux gouvernements de redessiner les règles de la copropriété européenne. Et en premier lieu, de faire de l’euro une monnaie de plein emploi. Parce que la camisole de la zone euro n’est pas dorée, c’est une camisole de « stricte stabilité des prix », à l’opposé de ce qui peut être fait aujourd’hui aux Etats Unis. Il est à noter que ce pays vient de parvenir à un taux de chômage de 5.5%, contre 11.2% en Europe. Dès lors que la camisole ressemble au plein emploi, la question de perte de souveraineté devient moins centrale.

En 2012, François Hollande avait promis une refonte idéologique européenne qui ne s'est jamais réalisée. Ce qui était également le cas de Matteo Renzi en 2014. Mais ce résultat n’est-il pas plutôt le résultat d’un choix politique interne que d’une contrainte externe ? Pourquoi ont-ils renoncé ?

Philippe Legrain : C’est à François Hollande qu’il faut demander pourquoi il a renoncé. Peut-être manquait-il de confiance en lui. Sans doute que Berlin a fait du chantage en agitant la menace du « changement de traité », c’est-à-dire en lui expliquant que ce qu’il demandait aurait nécessité de revoir les traités européens, et aurait donc conduit inévitablement à un référendum qui aurait divisé la France et le Parti socialiste, comme en 2005.

Si l’Allemagne est un géant économique dans la zone Euro, ce n’est pas parce qu’elle est particulièrement brillante : son économie a progressé aussi lentement que celle de la France depuis le lancement de l’euro et les Allemands ne gagnent pas plus qu’en 1999. Sa domination reflète la faiblesse politique de la France, l’absence du Royaume-Uni de la zone euro et le fait que beaucoup d’autres pays sont soit des satellites économiques de l’Allemagne, soit des récipiendaires de ses crédits, ou que leurs gouvernements ont été cooptés de par leur choix de suivre une stratégie décidée par l’Allemagne. Un temps,  on a cru que Matteo Renzi s’affirmerait face à Merkel, mais il semble plus focalisé maintenant sur des réformes intérieures. Ce vide politique est comblé par des gens comme Marine Le Pen, qui osent aller à l’encontre du Merkelisme. La France – et l’Europe – ont désespérément besoin d’alternatives crédibles au Merkelisme.

Nicolas Goetzmann : François Hollande n’a jamais réellement entrepris quelque chose pour « changer l’Europe ». La signature du traité budgétaire quelques semaines après son élection en atteste. La suite de la politique menée va également dans le même sens. La seule chose que fait François Hollande, c’est de suivre les prescriptions de la Commission, mais à son rythme, c’est-à-dire lentement. Mais fondamentalement, la doctrine est la même. La justification la plus probable de ce « renoncement » est que cette doctrine correspond à la conviction profonde du Président. Depuis 1983, l’histoire du parti socialiste français démontre une parfaite symbiose avec cette politique actuelle. Il n’y a donc pas vraiment de surprise.

Mais la faute du président français aura été d’être totalement absent de la scène européenne. Et comme la nature a horreur du vide, cela a entraîné une position de plus en plus forte du voisin allemand. L’inactivisme de François Hollande a bien produit des conséquences dont l’explosion du couple franco-allemand. Désormais, le couple est déséquilibré.

Assistons-nous à la naissance d'une nouvelle Europe, ou s'agit-il, selon vous, de l'évolution naturelle de l'Europe des pères fondateurs ?

Philippe Legrain : Le projet européen était autrefois associé à la paix et la prospérité. Maintenant, il est associé à l’austérité, la récession et la domination allemande, le tout avec des contraintes antidémocratiques sur ce que nous pouvons faire, alors que nous pourrions réussir collectivement. Pas étonnant qu’il soit devenu si impopulaire. L’Europe ne peut réussir si elle ne sert qu’à imposer la discipline allemande, surtout quand les règles imposées vont dans le mauvais sens et qu’elles sont imposées au faible mais pas au fort. Ce n’est pas une union des démocraties, c’est un empire économique.

Nicolas Goetzmann : Il s’agit d’une Europe nouvelle qui ne correspond pas aux promesses initiales. Ce qui était un intérêt général européen produit par la confrontation des uns et des autres, c’est-à-dire un système horizontal, s’est verticalisé. Et tout en haut l’Allemagne. Il faut faire comme l’Allemagne. Si la vision de l’Empire est assez tentante, il me semble qu’il s’agit plutôt de condescendance et d’arrogance. De la part de l’Allemagne, il s’agit surtout d’exporter une vision économique faite de vertu, c’est-à-dire de morale, dont les pays du sud ne pourront que « se satisfaire ». « C’est pour leur bien » Le problème, c’est que ce n’est ni acceptable, démocratiquement parlant, ni efficace, économiquement parlant. Et qu’il est nécessaire de remplir au moins une de ces deux conditions.

Changer l’Europe, c’est parvenir à faire comprendre à l’Allemagne et aux pays du nord que leur modèle de développement est faible, non efficace, et  très en retard par rapport à ce qui est produit par les Etats Unis notamment. C’est à ce prix que l’euro, l’Europe, auront un avenir fait de plein emploi et de croissance. Il ne s’agit donc pas de tout détruire, mais de prendre le problème actuel à bras le corps pour rendre l’ensemble viable.

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