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Eurostar : les Britanniques vendent leur participation pour 804 millions d’euros, un exemple pour la France ?
©Reuters

Bijoux de famille

Le gouvernement britannique s'est retiré de l'entreprise ferroviaire Eurostar au profit d'un consortium privé. Le produit de la vente est destiné au désendettement du pays. En France, un désengagement de la SNCF permettrait d'investir dans des projets très attendus... A condition de ne pas répéter l'erreur commise par l'Etat lors de la vente des autoroutes.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : La Grande-Bretagne a vendu sa participation de 40 % dans l'entreprise ferroviaire Eurostar pour 804 millions d'euros à un consortium comprenant la Caisse de dépôt de pla-cement du Québec (CDQP) et le gérant d'actifs britannique Hermes. C’est « excellente opération pour les contribuables britanniques qui dépasse nos attentes", a réagi le ministre britannique des Finances, George Osborne. La France devrait-elle également y penser ?

Gérard-François Dumont : La France devrait effectivement réfléchir à sa participation dans l'entreprise ferroviaire Eurostar, effectuée à travers la SNCF, une société publique. Il s’agit de savoir si c’est un placement idéal ou, au contraire, si le produit de la vente de cette participation pourrait être plus utile à d’autres fins. Il ne faut pas fermer la porte à toute réflexion sur l’évolution de cette participation : soit la maintenir totalement, soit la diminuer, soit la supprimer totalement. D’où la question : la participation de la SNCF dans Eurostar doit-elle considérée comme un actif stratégique ?

Quels bénéfices la France retire-t-elle de sa participation dans Eurostar ?

Le premier avantage est que, comme cette société Eurostar a de bons résultats, elle procure chaque année des dividendes à la SNCF. Dans une certaine mesure, on pourrait la considérer comme un « bijou de famille ». Eurostar fait partie des sociétés ferroviaires qui gagnent de l’argent, ce qui n’est pas le cas de l’ensemble des réseaux de la SNCF. En plus, le nombre de ses clients augmente, avec le passage symbolique de la barre des 10 millions de voyageurs depuis 2013, son chiffre d’affaires s’accroît et la rentabilité future ne semble pas devoir être mise ne cause, comme le pensent les nouveaux investisseurs que sont la Caisse de dépôt de placement du Québec (CDQP) et le gérant d'actifs britannique Hermes. On peut aussi imaginer qu’un jour, le Royaume-Uni entrera dans l’espace Schengen, ce qui pourrait stimuler davantage la hausse des voyageurs car la durée totale du transport, contrôles inclus, serait moindre. Toutefois, cela ne semble pas dans les intentions du Royaume-Uni.

Le deuxième avantage, plus difficile à mesurer, est la possibilité de synergie au sein du groupe SNCF entre le réseau ferré SNCF et la filiale Eurostar. Certes, Eurostar est membre du réseau européen Railteam, une coopération entre sept compagnies ferroviaires européennes dont l’ambition est de faciliter les voyages sur le réseau à grande vitesse européen. Mais, au sein de ce réseau, la SNCF, principale actionnaire d’Eurostar, pourrait profiter davantage des voyageurs Eurostar, avec une meilleure promotion des offres SNCF auprès de cette clientèle.

Quels avantages pourrait-elle cependant tirer à s'en désengager ? L'argent potentiellement récupéré par la vente de ses parts d'Eurostar pourrait-il permettre à la France de réaliser de grands travaux nécessaires sur son réseau ferré ?

Dans le contexte de la globalisation, de l’internationalisation et de la mondialisation (2), la France se doit d’accroître son attractivité pour dynamiser sa santé économique et faire diminuer le chômage. La question est donc de savoir si la France améliore mieux cette attractivité par la participation élevée de la SNCF dans la société Eurostar ou par d’autres projets qui pourraient être plus pertinents pour développer l’économie française.

On pourrait imaginer que la vente d’une partie ou de la totalité des parts d’Eurostar par la SNCF puisse être utile à une partie du financement d’autres projets, à condition bien sûr que cet argent soit utilisé pour des investissements utiles.

Pensons par exemple à deux investissements, aujourd’hui non financés, qui pourraient améliorer l’attractivité de la France : le premier consisterait à rattraper le retard considérable pris par la France du fait de l’absence d’une liaison ferroviaire rapide entre l’aéroport de Roissy et Paris. Les projets concernant une telle liaison font jusqu’à présent songer à l’Arlésienne. Leur non-concrétisation nuit à l’attractivité de la métropole parisienne mais aussi, selon une logique réticulaire, à celle des autres territoires français.

Autre investissement qui pourrait dynamiser les territoires français : le développement d’une liaison ferroviaire rapide (fret et passagers) du port du Havre jusqu’à la métropole parisienne et Roissy, par exemple en passant par Rouen, La Défense ou Cergy. Là aussi, le potentiel que représente cet axe de développement qui correspond à la Seine est aujourd’hui sous-utilisé, notamment compte tenu d’un équipement ferroviaire ancien.

La France aurait donc intérêt à se désengager seulement si elle réinvesti ? En Grande-Bretagne, l’argent récupéré sera affecté au remboursement de la dette. Est-ce une vision court-termiste alors que l’entreprise est rentable ?

Effectivement, l’objectif annoncé par le gouvernement britannique est, par le produit de la vente de sa participation de 40 % dans Eurostar pour 585 millions de livres (804 millions d’euros), de diminuer l’endettement. C’est un choix alternatif à celui de nouveaux investissements.

En toute hypothèse, il faut tirer les enseignements de la vente de précédents « bijoux de famille » par le gouvernement français : les autoroutes. Cette vente a été un échec total. L’État a perdu des recettes récurrentes fort précieuses et n’a utilisé les produits de la vente ni pour désendetter l’État, ni pour faire des investissements utiles à l’attractivité économique de la France, mais en les gaspillant dans les frais de fonctionnement. La vente de la participation de la SNCF dans Eurostar ne serait concevable que pour des investissements jugés plus utiles.

Comment l'arrivée du nouveau consortium pourrait-il changer la donne pour la France et pour l'entreprise ?

L’arrivée d’un nouveau consortium au capital d’Eurostar ne change pas la donne car la SNCF possède 55 % du capital et reste donc majoritaire. Cela ne modifie pas la capacité des actuels dirigeants à prendre des décisions au sein de l’entreprise. Les nouveaux partenaires semblent être plutôt des sleeping partners, c’est-à-dire des organismes qui ont investi dans cette entreprise en raison de son niveau de rentabilité ou d’espoir de plus-values futures, mais qui n’ont guère l’intention d’intervenir dans sa gestion. Toutefois, leur objectif est, bien entendu, de pousser l’actionnaire majoritaire à maintenir la rentabilité et, si possible, à l’améliorer. Ce pourrait être alors un stimulant différent de celui du précédent actionnaire, la LCR. En même temps, l’acquisition d’une part élevée d’Eurostar par le fonds de pension qu’est la Caisse de dépôt de placement du Québec (CDQP) reflète la puissance des fonds de pension, notamment canadiens (3), qui investissent actuellement des dizaines de milliards en Europe sur des actifs d’infrastructure (parkings, autoroutes, aéroports, rail). Cela illustre a contrario une caractéristique de l’économie française qui ne possède pas de tels fonds de pension en raison, d’une part, d’un système de retraite qui repose majoritairement sur la répartition et non sur la capitalisation et, d’autre part, d’une épargne abondante mais que l’État oriente vers le financement de son surendettement ou de ses besoins.

On sait que la SNCF avait pris les devants en négociant avec le gouvernement britannique un nouveau pacte d'actionnaires qui lui donnerait le contrôle exclusif de la gouvernance d'Euros-tar une fois les 40% du capital cédés. C’est une bonne nouvelle ?

La SNCF devrait avoir les mains encore plus libres pour diriger l’entreprise avec les nouveaux partenaires qu’avec le précédent qui était la London continental Railways (LCR), possédée par le gouvernement britannique. Et les mains libres dans un contexte réglementaire intéressant. En effet, Eurostar est, depuis l’origine, une société britannique qui fonctionne selon les lois britanniques. Toute une partie de la réussite d’Eurostar résulte de cette décision initiale. Si l’entreprise avait été prisonnière des contraintes réglementaires qui existent en France, ses résultats n’auraient sans doute pas été et ne seraient pas les mêmes. Eurostar ne rencontrait donc pas de difficultés particulières liées à l’existence d’un actionnaire britannique. Au contraire, les Britanniques ont joué le jeu en faveur d’Eurostar : ils ont amélioré les capacités techniques du réseau utilisé par Eurostar sur la partie britannique, permettant une nette diminution du temps de trajet entre Paris et Londres ; et ils ont redonné vie à la gare de Saint-Pancras, capable de répondre à  la hausse du trafic et dont le nom sonne d’ailleurs mieux aux oreilles des Français que la gare précédemment utilisée à Londres, celle de Waterloo.

Eurostar gagnerait-il également à être totalement privatisée ?

On peut s’interroger sur les effets d’une éventuelle privatisation. Aujourd’hui, dans la mesure où la SNCF est majoritairement propriétaire d’Eurostar, elle définit très largement la stratégie de cette société dont les décisions ne seraient pas forcément les mêmes que celles que prendrait une société Eurostar privatisée.

Un Eurostar privatisé investirait peut-être davantage pour vendre son savoir-faire à l’international, plutôt que de privilégier des liens avec la SNCF. En effet, le savoir-faire acquis par Eurostar est très spécifique : la capacité à gérer des lignes circulant sur des réseaux ferrés qui n’ont pas nécessairement les mêmes contraintes techniques (3), les mêmes procédures et les mêmes habitudes de travail : réseaux français, britannique, belge et néerlandais (en 2016). Un Eurostar privatisé souhaiterait peut-être s’adonner davantage à la vente de ce savoir-faire dans d’autres régions européennes ou sur d’autres continents.

Enfin, il faut noter qu’Eurostar devrait voir arriver, probablement en 2016, au moins un concurrent, la DB (4) allemande, notamment pour une liaison Londres-Frankfort-sur-le-Main. Ainsi la Grande-Bretagne, qui n’est déjà plus une île depuis 1994 (5), le sera encore moins.

Propos recueillis par Morgan Bourven

(1) Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Armand Colin - Sedes, 2014.

(2) Dumont, Gérard-François, « Globalisation, internationalisation, mondialisation : des concepts à clarifier », Géostratégiques, n° 2, février 2001.

(3) Citons également le Canada Pension Plan Investment Board (CPPIB) ou Office d’investissement du régime de pensions du Canada.

(4) En dépit des nombreux travaux d’harmonisation conduis notamment dans le cadre de l’Union internationale du chemin de fer (UIC), dont le siège est à Paris.

(5) Dumont, Gérard-François, « Paris et Londres jumelés par l'Eurostar », Cahiers du CREPIF (Centre de recherches et d’études sur Paris et l’Île-de-France), n° 51, juin 1995.


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