Rama Yade : “Certaines femmes sont à la merci d’une idéologie différentialiste qui n’est pas seulement portée par un mari rétrograde ou une communauté, mais par la République elle-même”<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancienne ministre Rama Yade
L'ancienne ministre Rama Yade
©Reuters

Grand entretien

A l'occasion de la journée de la femme, Rama Yade dénonce les atteintes à la laïcité qui place certaines femmes sous la contrainte de leur communauté, alors que la République devrait les émanciper. La conseillère régionale Ile-de-France (Parti radical-UDI), ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, dénonce aussi l'immobilisme de la classe politique dans son ensemble.

Rama Yade

Rama Yade

Elle a été secrétaire d'État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme de 2007 à 2009, puis secrétaire d'État chargée des Sports jusqu'en 2010. Rama Yade est actuellement conseillère régionale d'Ile-de-France et vice-présidente du Parti radical.

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Atlantico : Cette semaine a été l’occasion de nombreux débats autour de la place de la femme dans l’islam. Au Canada, la cour fédérale canadienne vient de donner raison à une immigrante pakistanaise qui a refusé d'enlever son voile intégral au moment de prêter son serment de citoyenneté. En Algérie, les députés ont adopté jeudi une loi criminalisant les violences faites aux femmes, après des débats virulents durant lesquels les islamistes ont dénoncé une loi contraire aux valeurs de l'islam. Finalement, la laïcité serait-elle aujourd’hui le meilleur rempart face aux violences faites aux femmes ?

Rama Yade : Oui, bien sûr. Le problème, c’est que ces dernières décennies, la République a renoncé à ses propres valeurs au nom d’une idéologie différentialiste. C’est par lâcheté que les atteintes à la laïcité se sont multipliées, qu’il s’agisse de l’école, de l’université, des administrations publiques, ou même des entreprises privées. Là est le scandale. On a délibérément mis en charpie le mur-porteur de la maison France. Et on s’étonne que les fondations de notre nation soient ébranlées ! Il faut revenir à l’esprit et à la lettre de la loi de 1905. Sans ajouter à la laïcité le moindre qualificatif. Je vois que le PS parle d’une « laïcité inclusive ». Je vois que l’Observatoire de la laïcité, qui porte mal son nom, a fait des propositions choquantes qui remettent en cause la laïcité.

En janvier, vous avez préconisé de  revenir sur la nouvelle réglementation qui autorise les accompagnatrices voilées lors des sorties scolaires. Cette autorisation fait-elle partie de ces renoncements et participe-t-elle de la contrainte qui pèse sur certaines femmes quant au port du voile ?

Elles sont à la merci d’une idéologie différentialiste qui n’est pas seulement portée par un mari rétrograde ou une communauté, mais par la République elle-même. La République a le devoir de protéger ces femmes : c’est en cela que la laïcité est émancipatrice, et protectrice des droits individuels. La preuve, c’est que le tribunal de Montreuil avait considéré dans sa décision que les sorties scolaires sont le prolongement de l’école. Mais  le ministère de l’Education nationale a pris le contre-pied de cette décision judiciaire pour autoriser le port du voile lors des sorties scolaires.

Manuel Valls a défendu mardi à Strasbourg sa vision de l'islam de France, affranchi des financements étrangers avec des imams formés en France. Est-ce un pas dans la bonne direction ?

Qu’ils soient formés en France, indiscutablement oui, mais je refuse qu’ils soient formés par l’Etat. L’Etat n’a pas vocation à former des hommes d’Eglise, qu’ils soient musulmans, juifs ou catholiques. Ce n’est pas son rôle et c’est contraire au principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il est urgent de revenir aux fondamentaux de la laïcité, qui a une définition très précise : c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est la neutralité des administrations publiques, c’est l’interdiction des signes religieux dans l’espace public et ce n’est pas l’interdiction des religions, mais leur coexistence pacifique. Elles doivent s’exercer dans la sphère privée. Or, si l’on commence à accorder des droits aux communautés en fonction de leur religion, on entre dans la négation de l’individu et de son libre-arbitre. En France, l’Etat reconnait des citoyens, pas des communautés, des religions ou des cultures. La loi de ces groupes ne doit pas l’emporter sur la loi commune, celle de la République.

La France et l’Europe sont-elles aujourd’hui une opportunité pour les femmes musulmanes de vivre un islam plus respectueux de leurs droits ?

Les femmes, et les hommes aussi. La république reconnait les citoyens en tant qu’individus, avec des droits, qu’ils soient hommes ou femmes. Nous appartenons à une République qui doit libérer, accorder des droits. A l’individu, pas à sa prétendue communauté. La seule loi qui doit prévaloir, c’est celle de la République.

Le think-tank « Allons enfants », que vous avez créé, a lancé cette semaine l’idée d’un « service civique senior ». Il s'agirait de »consacrer, contre indemnité, quelques heures par semaine à des missions éducatives, culturelles, sportives ou solidaires ».  Cette idée ne participe-t-elle pas de la même logique que les « contrats de génération » de François Hollande, à savoir que la société à tout à gagner en mettant en avant et en capitalisant sur l’expérience des seniors ?

Le contrat de génération est conclu en entreprise. Notre proposition concerne les associations, les ONG, les administrations pour éviter préciser de concurrencer les emplois marchands. Notre proposition se rapprocherait plutôt des réserves citoyennes lancées par le Gouvernement permettant à des enseignants à la retraite d’intervenir dans les classes pour partager leur expérience avec les élèves.

Le service civique senior n’est pas un emploi : il ne s’agit pas de mettre les retraités au travail ou de les empêcher de profiter de leur retraite ! Notre idée est la suivante : dès le départ à la retraite, le versement d’une partie de la pension annuelle de retraite (5%, soit 60 euros pour une pension moyenne) est conditionné à l’accomplissement d’un service civique, pour les retraités qui en ont la capacité physique, d’une durée d’une heure à 24h par semaine pendant 3 à 6 mois. Et dans la mesure où la durée de la mission est deux fois inférieure à celle des jeunes, l’indemnité mensuelle est adaptée en conséquence à hauteur de 233 euros. Par exemple, dans la configuration minimale, il est tout à fait possible pour un retraité, afin de toucher l’intégralité de sa pension, d’effectuer 1 h par semaine de service civique pendant 1 mois. Les plus motivés pourront faire davantage, dans la limite précédemment indiquée. Au-delà, ils basculent dans le système classique de bénévolat.

Cette mesure présenterait plusieurs avantages. Pour les retraités, l’augmentation du pouvoir d’achat notamment des petites retraites, la préservation de leur autonomie le plus longtemps possible face à la fulgurance des maladies dégénératives, pour ceux qui sont déjà bénévoles, ils peuvent transformer une partie de leur activité bénévole en service civique et en tirer un revenu. Pour la société, la transmission des savoirs notamment vis-à-vis des jeunes, dans une société en perte de repères.

Au fond, il s’agit de cesser de marginaliser les seniors et enfin de les traiter en citoyens engagés dans la vie sociale, dans un monde où, lorsqu’on est en retraite, on a l’impression d’être exclu de la société et où, plus le temps passe, plus l’on est isolé – en 2003, c’est autant la solitude que la canicule qui avait causé 15.000 morts.

La situation intenable pour notre protection sociale. La révolution de l’âge en cours, du fait de l’allongement de l’espérance de vie (en 2045, le tiers de la population aura plus de 60 ans) d’un côté et de la précarité des actifs confrontés au chômage de l’autre côté, exige de nous du courage et surtout de l’imagination !

Cette proposition a été accueillie par une pluie de critiques, dont beaucoup - notamment sur Twitter - n’étaient aucunement argumentées. Le monde politique a-t-il aujourd’hui des difficultés à oser, à porter des propositions iconoclastes ?

Cette histoire a été pour moi une confirmation : il est possible de provoquer l’hallali autour d’une proposition sans rien proposer en face. En plus, le sujet du vieillissement est tabou. Les pouvoirs publics n’ont pas de solutions. Cette inertie est à l’origine des blocages de notre pays. On retrouve ce même immobilisme sur des questions aussi cruciales que le financement opaque de la formation professionnelle, l’absurdité de notre système fiscal, en particulier du RSI qui fait des ravages chez les entrepreneurs, sur l’école qui s’entête à vouloir éduquer alors qu’il faut privilégier l’instruction… C’est très symptomatique d’une crise intellectuelle. On empêche l’idée même de proposition.

Cette idée n’a d’ailleurs pas été proposée dans le cadre d’un parti politique, les partis étant trop occupés à la gestion des mandats électifs, mais dans le cadre d’Allons enfants, un laboratoire d’idées spécialisé dans la résorption des fractures républicaines. Allons Enfants veut s’attaquer aux tabous qui minent la société française et apporter des réponses à long terme sur les 5 ou 6 sujets majeurs pour qu’enfin les Français sachent de quoi demain sera fait... Les réformettes ne nous intéressent pas.

Le mois dernier encore, nous avons travaillé sur la question des territoires ruraux que nous ne devons pas laisser au FN, pour demander un moratoire sur la fermeture des services publics et le lancement d’une nouvelle génération de pôles d’excellence rurale : les gens qui vivent dans les territoires ruraux ne sont pas des ploucs, ils sont dans la République et la République doit s’occuper deux. A l’heure où des millions vont être déversés sur les cités pour répondre aux attentats de Paris, les territoires ruraux ne doivent pas être les grands oubliés de la République.  Là aussi, il y a une forme d’apartheid !

Justement, vous avez trouvé vendredi sur Sud Radio « dommage le manque d’idées neuves » de Nicolas Sarkozy depuis son retour. Comment l’expliquer, alors que Nicolas Sarkozy était connu pour être une force de propositions ?

On m’a demandé ce que je pensais de son retour qui, selon moi, présente des atouts et des facteurs de progrès, comme on dit. D’un côté, il a réussi à redonner un leadership au sein de l’UMP et à pacifier les relations au sein du parti, ce qui était nécessaire après Bygmalion et la bagarre Fillon-Copé, etc. Mais occupé à ce travail de pacification, il est moins présent sur le projet.

Le Nicolas Sarkozy que je connais est transgressif. Il émet des propositions sans craindre le politiquement correct. C’est là-dessus qu’il apparaitra comme l’homme qu’il faut pour le prochain quinquennat. Il ne faut pas avoir peur de cet unanimisme de façade qui plombe notre pays car il empêche d’avancer. Il faut aller sur les vrais sujets : ne pas transiger sur la laïcité, cesser avec cette école qui s’entête à éduquer alors qu’elle a vocation à instruire et transforme nos enseignants en animateurs sociaux, s’occuper des fractures territoriales, libérer les énergies créatrices qu’un système fiscal absurde étouffe…

Prenez la réforme territoriale. Au moment où la campagne départementale bat son plein, les parlementaires débattent à l’assemblée pour savoir quelles seront les compétences des conseillers généraux. On nous dit que cette réforme permettra de faire des économies, mais les Français doivent élire deux conseillers généraux par canton, là où il n’y en avait qu’un. Où est l’économie ? Le pire, c’est que personne ne s’en étonne.

On va les élire sans même savoir s’ils finiront leur mandat…

En effet. Cela rejoint ce que nous disions : nous sommes au cœur des absurdités d’un système qui marche sur la tête.

N’y-a-t-il pas un risque que cela profite au Front national, avec des électeurs qui, face à ces absurdités, estimeraient qu’ils peuvent se lâcher ?

Exactement. On déroule un tapis rouge au Front national. Les idées de ce parti ne sont pas particulièrement brillantes. Seulement, les nôtres ne sont pas à la hauteur de la situation. On entend souvent dire que les responsables politiques ne doivent pas « chasser sur les terres du FN ». Mais c’est le FN qui a chassé sur nos terres pour nous piller de nos valeurs, la laïcité, l’instruction à l’école, la défense des territoires ruraux. C’est la République qui aurait dû continuer à les incarner plutôt que d’y renoncer ! Comment en appeler au Front républicain quand vous n’incarnez plus la République ? Quelle crédibilité les Français peuvent-ils nous accorder ? Ils ont fini par penser que le Front républicain ne sert à rien d’autre qu’à permettre au système en place de garder ses privilèges, ses postes, ses mandats.

Le FNPS est une réalité ?

Disons que c’est un calcul électoraliste. Mieux vaut, quand on est au PS, se retrouver face au FN au second tour, que face à l’UMP. Parce que face au FN, le front républicain garantit la victoire. Ce n’est franchement pas normal de réduire l’engagement politique à ce piètre calcul. Et qu’on va tous payer, car le front républicain est une digue de plus en plus fragile qui n’arrivera pas longtemps à contenir la poussée du Front national.  A un moment donné, les Français vont finir par démasquer la supercherie. Beaucoup l’ont déjà fait.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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