Les trois erreurs qui pourraient couler BlackBerry

Atlantico : Alors que Steve Jobs vient de mourir, Rim et son téléphone BlackBerry pourraient-ils disparaître à leur tour à force de maladresses et de cette panne de trois jours ?

Eric Domage : BlackBerry est souffrant mais il n’est certainement pas mort ! Par dessus une suite de déconvenues industrielles fâcheuses, de gestes de communication maladroits, il est arrivé à Rim un accident parfaitement imprévisible dont les conséquences l’étaient tout autant.

On part d’un incident dans le réseau à haute densité, tout à fait courant chez les opérateurs de communication. Le plan de secours -tout juste testé avec succès - qui devait se déclencher dans la milliseconde, n’a pas fonctionné. On ne sait pas pourquoi, même pas Rim. On assiste à un affaiblissement global du réseau de Rim dû à un incident imprévisible et imparable si le plan de secours ne fonctionne pas. Si les pompiers ne peuvent pas sortir de la caserne le jour où il y a le feu : vous ne pouvez plus rien faire... C’est exactement ce qui arrive à Rim en ce moment.

On observe une suite d’incidents en cascade dont la partie la plus visible est l’engorgement du réseau et les retards dans la livraison des messages - avec probablement d’autres incidents derrière. La panne a commencé par l’Europe puis elle s’est propagée aux plaques asiatique et américaine.

Ce genre de panne géante est-il lié au fait que Rim possède ses propres serveurs ?

Non, cela arrive à tout le monde ! Le serveur Bouygues a eu une panne comparable il y a deux ans - mais simplement les gens oublient. Le commutateur qui gérait les abonnés a perdu tous les noms de ses abonnés, ce qui a provoqué trois jours dans le noir... Ce sont des incidents courants dans ces technologies de coeur de réseau extrêmement sensibles et qui sont prévus dans les plan de secours.

Cette panne arrive alors que le BlackBerry semble vaincu par l’Iphone. Serait-ce la faute de mauvais positionnements stratégiques  : business pour Rim et loisir pour Apple ?

Rim et son BlackBerry ont d’abord été des outils business et gouvernementaux - sauf en France. La première idée de BlackBerry a donc été de bâtir un réseau extrêmement solide, sécurisé et fiable pour le vendre aux entreprises. C’est ce que Rim a fait pendant dix ans... Et puis un beau jour, il s'est intéressé aux particuliers, en vantant, non pas la fiabilité mais la robustesse et l’efficacité du BlackBerry. Rappelons que Rim vient des métiers de la fiabilité à l’origine...

Ils ont poussé le modèle un peu loin car il ont créé ce qu’on appelle une “boîte noire” dans laquelle chaque utilisateur met ses données. C'est dans cette "boîte noire" que les données sont cryptées et manipulées par Rim lui-même, et délivrées là où l’utilisateur le désire. C’est un peu comme si la Poste prenait votre lettre, l’enrubannait dans tout un tas de couches de sécurité et l’apportait à son destinataire, sans trop vous dire comment elle procédait - mais en vous garantissant qu’elle arrive de l’autre côté. C’est ce dispositif qui est tombé. Rappelons pour comparaison, chez les autres opérateurs, cela se fait différemment. Avec Bouygues Télécom, vous pouvez envoyer votre message avec le système de votre choix, c’est un peu différent. Rim a un système si fermé que même les gouvernements ne peuvent rentrer dedans.

Cette panne n'est qu'un épisode de la série noire pour Rim, le créateur de BlacKBerry...

En effet. Son problème numéro 1, c’est sa tablette “Playbook” qu’il n’arrive pas à vendre et qu’il est en train de brader aux Etats-Unis - comme le HP tablet il y a quelques jours. Ce Playbook est l’équivalent moderne de l’enclume. C’est un désastre sorti il y a un an qui ne se vend pas.

Outre cet accident industriel, Rim a eu des ennuis politiques en Inde puisqu’il ne s’est pas entendu avec le gouvernement. Après les attentants de Mumbai, en effet, le gouvernement a demandé à Rim de les autoriser à accéder aux réseaux téléphoniques utilisés par les terroristes via des BlackBerry. Ce que Rim a refusé. Les autorités indiennes estiment que leur police auraient pu voir venir et empêcher les attentats si Rim avait collaboré en les laissant accéder à cette fameuse “boîte noire” utilisée pour sécuriser les messages. Furieux, les Indiens ont craqué le réseau BlackBerry et y sont rentrés en force. Les maladresses de Rim ont provoqué un certain embarras avec les autorités en inde, en Arabie saoudite et à Dubaï...

Troisièmement, Rim a révélé publiquement que lors des émeutes en Grande-Bretagne de cet été, la société avait donné à la police tous les détails des utilisateurs de BlackBerry Messenger qu’ils utilisaient pour coordonner des attaques de magasins... Rim a expliqué que dans ce type d’affaires, il était plutôt du côté de la police. Certes, en Grande-Bretagne, la population était massivement du côté de la police pendant les émeutes. La réponse anglaise du tout-punitif en Grande-Bretagne a été très bien acceptée par l’opinion publique donc BlackBerry a essayé de profiter de ce “mouvement de sympathie” pour la police en disant qu’ils participaient eux aussi. Encore une autre grosse maladresse...