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La robe blanche et dorée signe-t-elle la victoire de Buzzfeed sur le reste de la presse ?
©Capture d'écran Tumblr Swiked

Buzzzzz

La petite robe bleue-noire a fait le tour du monde et aucun média n’a pu y échapper : le buzz et l’information virale semblent occuper de plus en plus d’espace dans les médias de la toile. Si les lecteurs sont friands de ces informations qui créent du lien social, ils ne sont pourtant pas prêts à payer pour les lire.

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Le buzz largement diffusé de la petite robe bleue-noire  révèle l’ampleur pris par les informations dites virales y compris dans les médias "traditionnels". Les lignes de partage entre les médias traditionnels et les médias dits "viraux" sont-elles en train de s'estomper ? 

François-Bernard Huyghe : D’une certaine façon, oui, les deux mondes interagissent. D’un côté les médias traditionnels veulent garder le contact avec un public jeune proche des réseaux sociaux et ils se nourrissent des réseaux, soit pour une question de rapidité de l’information, soit parce que les buzz sont des révélateurs d’opinion. De l’autre côté, les médias sociaux reprennent ce qui est dit sur les médias traditionnels.

Dominique Wolton : Si ces frontières disparaissent, c’est grave, car on ne peut pas comparer la liberté d’expression de tout individu qui prend la parole sans conséquence au devoir des journalistes de vérification et d’analyse de l’information. La porosité est bien présente et existait déjà, elle était conscrite aux faits divers dans les médias traditionnels. Mais jusqu’où doit-elle aller ?

Si à court termes, les bénéfices en termes d'audiences se sont fait ressentir par les médias classiques, (et qui dit audience, dit annonceurs) quels sont les risques que cette stratégie de suivre les médias comme Buzzfeed représente-t-elle ? 

Dominique Wolton : Tout le monde adore la rumeur et bien sûr, en terme de trafic, l’impact est important. Mais la rumeur ne ramène pas les lecteurs aux grands médias, elle les cantonne à la presse people. Le risque est de perdre aussi une déontologie attachée au métier de journaliste. La responsabilité des journalistes dans le traitement des faits est importante pour assurer la diffusion d’une information de qualité.

François-Bernard Huyghe :Le premier risque est celui de l’intoxication, de commettre une erreur en ne vérifiant pas les sources de l’information. Le deuxième risque est celui de la perte de plus-value : si un média reprend Twitter, pourquoi l’utilisateur de Twitter irait relire la même information ? Donc à trop reprendre les buzz, la qualité de l’information en souffre, et le lecteur ne voit plus l’intérêt d’aller lire les informations sur les grands médias. Mais bien sûr, si les journalistes ne reprennent pas les sujets qui concernent le public, qui créent un phénomène d’opinion, ils risquent de perdre leur audience. Ils doivent donc parvenir à apporter quelque chose de vraiment particulier pour donner de la valeur à leurs contenus, une analyse, des chiffres qui permettent de comprendre les faits.

A reproduire des contenus sans plus-value éditoriale, les grands médias ne risquent-ils pas d'y perdre toute valeur ajoutée ?

Dominique Wolton : Si les médias classiques reprennent ce qu’il y a sur les réseaux sociaux, c’est en effet un contre-sens qui vide le journalisme de son essence. Et les lecteurs, à force de cliquer sur tout, vont se fatiguer. Pour proposer une plus-value, et donc pouvoir se vendre, il va falloir montrer aux lecteurs qu’il y a un intérêt particulier dans leur journal qu’on ne trouve pas dans la pléthore d’offres gratuites disponibles.

Francis Balle : Le lecteur ne va pas payer pour lire une information qu’il peut trouver gratuitement ailleurs. Il va donc falloir faire un travail considérable de recherche d’information et leur mise à disposition intelligente. Les réseaux sociaux offrent une chance énorme aux journalistes de remonter facilement aux grandes ressources documentaires, notamment en ce qui concerne les informations scientifique, et c’est à eux de pouvoir la retranscrire et la rendre accessible au plus grand nombre par un réel travail de mise en valeur.  

Qu'est-ce que l'épisode de la "robe" nous enseigne sur le potentiel futur modèle économique des grands médias ? Quel avenir pour les grands médias parmi les sites qui ne se nourrissent que du buzz ? 

François-Bernard Huyghe : Dans le cas des médias qui sont payés par les annonceurs, il y a un réel cercle vicieux qui s’est mis en place : pour avoir des pages vues, il faut faire du buzz, pour faire du buzz, on ne peut pas se permettre de perdre du temps en analyse. La proposition d’une offre payante est un modèle alternatif qui permet de s’affranchir du "clic", du nombre des lecteurs, en fidélisant son lectorat. La survie de média de qualité est indispensable dans une démocratie, ils doivent pouvoir assurer la diffusion de la pluralité d’opinion et garantir des informations vérifiées qui délivrent du savoir, de la connaissance. On est dans l’apprentissage, dans le domptage des réseaux, de l’internet et du buzz, et un modèle viable surgira au milieu des sites de buzz.

Dominique Wolton : A force d’être noyés sous l’information de mauvaise qualité, les internautes vont se détourner des sources peu fiables et se créer des portails qui vont sélectionner au préalables les informations qu’ils veulent lire. Le cerveau humain ne peut pas absorber éternellement tout ce qu’il voit, et à terme les lecteurs seront prêt à payer pour obtenir un tri. L’influence des sites comme Buzzfeed va certainement décroître, tandis que celle des médias de qualité ne pourra que se raffermir.

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