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Madonna et les nazis, Abd el Malik et les abonnés de Telerama racistes : quand les perceptions biaisées de la réalité de la France finissent par alimenter ce qu’elles dénoncent
©Reuters

Raccourcis intellectuels

Madonna faisant un parallèle à l'Allemagne nazie, négrophobie présumée des lecteurs de Télérama par Abd al Malik... La suspicion de racisme par des personnalités bat son plein depuis quelques jours, et reprend trop souvent un logiciel de pensée manichéen qui alimente la confusion sur la réalité jusqu'à parfois la déformer.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Dans une interview pour Europe 1 Madonna s'est dit effrayée par "le niveau d'intolérance" en France et en Europe ajoutant que l'époque que nous traversons lui faisait "penser à l'Allemagne nazie". Le chanteur Abd al Malik a également estimé la semaine dernière que le choix "mettre un noir en couverture" de Télérama avait entraîné des désabonnements. Le magazine a pour sa part estimé que seules quelques personnes s'étaient désabonnées en raison des propos du chanteur. Dans quelle mesure cette perception de la France et des Français est-elle biaisée ?

Paul-François Paoli : Les propos sidérants de Madonna sont révélateurs. Il est complètement oiseux d'établir une comparaison avec l'avant-guerre, période où les juifs étaient pourchassés par un état raciste; celui de l'Allemagne alors qu'ils sont aujourd'hui victimes d'un antijudaïsme répandu dans les milieux de l'immigration musulmane. Ses propos montrent à quel point la passion de l'antiracisme peut dériver vers un état d'esprit policier. Toute idéologie policière est fondée sur le soupçon de la culpabilité de l'autre, lequel ne sait jamais exactement quel forfait il a commis, comme chez Kafka. Il en allait ainsi chez les soviétiques ou vous pouviez être accusé d'être antisoviétique pour le moindre propos.

Car c'est ainsi que fonctionne tous les dualismes manichéens : vous être soit dans le camp du mal, le racisme, soit dans le camp du bien, celui de l'antiracisme. Il est exclu qu'un même individu puisse être ambivalent, par exemple éprouver des affinités avec tels africains et une méfiance à l'égard d'autres. Il est impossible de donner la moindre place à l'ambiguïté. Les antiracistes sont aussi stéréotypés que les racistes. En outre, ils sont généralement incapables de donner une définition claire du racisme. Ainsi mettent-ils dans cette catégorie toute manifestation d'exaspération. Si vous êtes exaspéré par le comportement de Roms qui dans le métro parisien commettent des larcins sans jamais être inquiétés par la police, c'est que vous êtes raciste etc. Je définis quant à moi le racisme de la manière suivante : le racisme est la réduction d'un individu à son origine, c'est la croyance qu'un individu est complètement prévisible en fonction de son origine culturelle ou ethnique. Le racisme essentialise l'autre et le transforme en stéréotype. Par exemple pour l'antisémite, un juif sera par définition avide et sans scrupule. Pour un négrophobe un noir sera paresseux et violent etc etc.

Ce qui est stupéfiant dans ce débat c'est que la France soit aussi suspecte dans les yeux des antiracistes. Alors qu'elle est le pays le moins raciste qu'il soit puisque ses principes prétendent même ignorer l'origine de ses individus. Sauf que ses principes ont été rendus inapplicables par une immigration massive qui depuis plus de trente ans favorise les regroupements communautaires. La France a promu des idéaux universalistes abstraits qui apparaissent utopiques dans un monde où l'idéologie culturelle est prédominante notamment sur l'influence du monde anglo-saxon.

Comment expliquer que ce genre de vision pour le moins exagérée se multiplie ?

Cette vision se diffuse parce qu'un pays qui a promu des idéaux est toujours plus accusé qu'un autre. Si vous prônez l'amour évangélique à l'instar des chrétiens, vous êtes forcément plus coupable de ne pas tenir vos promesses. Nous avons prétendu absolutiser des valeurs, notamment celle de la fraternité des peuples qui sont en réalité inapplicables car elles supposent la ressemblance et l'identification. Nous payons aujourd'hui la rançon de notre idéalisme et de notre universalisme.

Quels sont les effets produits par ce genre de discours sur la perception que les autres ont de nous Mais aussi sur nos propres attitudes ? Dans quelle mesure ces discours peuvent-ils avoir un effet performatif sur le réel ?

La virulence de ce discours accusateur doit nous aider à réfléchir sur un modèle républicain devenu impraticable dans un monde sans frontière. Soit nous limitons au maximum l'immigration et restitution le principe de l'intégration, soit nous acceptons le principe d'une France communautarisée dans une France ouverte. Entre les deux le discours intégrationniste de Juppé apparaît difficile à tenir même s'il a l'avantage de rassurer. Dans tous les cas, l'aspect positif de ces polémiques est que nous sommes condamnés à réfléchir à des questions aussi graves que délicates.

Ces discours en essayant de combattre une forme de racisme ou de xénophobie en tombant dans l'exagération ne risquent-ils pas d'exacerber les tensions ?

Bien entendu. En réalité les Français ont l'impression qu'on veut les forcer à devenir ce qu'ils n'ont pas envie de devenir : un peuple dépourvu d'identité et d'unité. Voici ce qu'écrivait le général de Gaulle dans une directive du 12 juin 1945 sur les naturalisations, un document exceptionnel qu'a retrouvé l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie. Dans ce décret signé par De Gaulle : "Sur le plant ethnique, il convient de limiter l'afflux des Méditerranéens et des orientaux, qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié la composition de la population Française. Sans aller jusqu'à utiliser, comme aux États-Unis le système de quota, il est souhaitable que la priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, luxembourgeois, hollandais, danois, anglais, allemands)".

Imaginez-vous un homme politique qui pourrait dire cela aujourd'hui ?

Quelle pourrait-être alors une attitude plus efficace pour quiconque souhaite dénoncer les tensions sans pour autant les aggraver ?

Les Français dans leur grande majorité souhaitent juguler l'immigration. Les politiques n'ont qu'à en tenir compte puisque nous sommes en démocratie. En outre nous devons être capables de rendre à la nationalité sa valeur symbolique, notamment en mettant en cause le principe de la double nationalité qui crée des dissociations entre identité administrative et affective, ainsi qu'on le voit chez les franco-algériens qui manifestent après les matchs. On ne peut être le citoyen d'un pays que l'on aime pas. Nous devons par ailleurs réformer l'attribution automatique de la binoationalité. Ce que l'on vous donne sans l'avoir demandé n'a pas de valeur.  Autant faire en sorte que nationalité et sentiment d'appartenance se correspondent car c'est cette correspondance qui fait le civisme.

Comment voulez-vous vous sentir citoyen d'un pays auquel vous vous sentez étranger ?

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