François Fillon, l’homme qui voulait se réinventer par un programme maintenant quand ses concurrents misent sur un projet… plus tard <!-- --> | Atlantico.fr
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A défaut de popularité, François Fillon travaille.
A défaut de popularité, François Fillon travaille.
©Reuters

Sans plus attendre

A défaut de popularité, François Fillon travaille. sa stratégie consiste à montrer aux électeurs de droite, et plus largement aux Français, qu'il est un homme de programme plus que de communication. Et même s'il ne l'emporte pas lors des primaires UMP, il aura une "boîte à outil" à faire valoir au vainqueur.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Les propositions de François Fillon dévoilées mercredi 25 février ont plutôt été bien reçues par les experts en immobilier. Plus globalement et à travers la structure Force républicaine - qu'il a créée -, François Fillon montre bien son ambition d'être particulièrement productif sur le plan des idées. Quels gains pourrait-il tirer de cette stratégie, alors que ses concurrents à l'UMP apportent souvent une vision avant un programme sur lequel s'appuyer ?

Roland Hureaux : Se montrer comme une force de proposition sérieuse me paraît une excellente stratégie où, au demeurant, François Fillon valorise son image d'ancien Premier ministre, c'est-à-dire de  quelqu'un qui est, par sa fonction, près des réalités.

Plus généralement, cela reste la grande force de l'UMP d'être capable, plus que les autres forces de l'opposition, de faire des propositions sérieuses, appuyées sur des réseaux étendus et expérimentés dans l'appareil d'Etat. Entre un Parti socialiste qui fait surtout de l'idéologie et un FN qui n'a pas ces réseaux, ou du moins pas encore, il y a là une carte à jouer.

Vous dites que ses concurrents ont fait le choix de présenter une vison d'abord et un programme ensuite. Je ne vois pas encore quelle est cette vision. D'autant qu'on ne voit pas, dans ce monde de grandes simplifications médiatiques, ce que ce mouvement pourrait proposer qui lui soit propre : la lutte contre l'islamisme ? elle est préemptée par le FN ; les valeurs républicaines ?  elles sont préemptées par la gauche. Il resterait le gaullisme mais c'est encore un sujet tabou.

S'agissant des propositions de François Fillon sur le logement, elles me paraissent dans l'ensemble bonnes. Je dirais pour ma part que ce n'est pas seulement la loi Alur qu'il  faut supprimer mais aussi la loi SRU, car ce sont des usines à gaz. La prestation unique  est une excellente  idée à resituer dans une refonte totale  de notre système de  prestations sociales qui est ressenti  aujourd'hui  comme profondément injuste.

D'autres propositions ne sont pas nouvelles en soi : baisser les plafonds de ressources et systématiser les surloyers, c'était déjà le but de la loi Boutin de 2009 : n'aurait-il pas été atteint ? J'y vois cependant un danger : renforcer l'effet ghetto, aujourd'hui au cœur du débat public, alors qu'il faudrait au contraire promouvoir la mixité sociale à tous les niveaux.

Faciliter la vente des HLM aux locataires pourrait être une mesure révolutionnaire, une vraie rupture. Malheureusement, cette proposition a figuré dans tous les programmes de l'UMP depuis vingt ans et n'a jamais eu de suite. Pourquoi ? Parce que les sociétés HLM bloquent. Il faut dès lors passer outre, en ouvrant un véritable droit au rachat unilatéral en faveur de locataires. C'est ce qu'a  fait Margaret Thatcher en son temps, et je rappelle que ce fut le seul aspect populaire de son programme ultralibéral.

En matière de logement, François Fillon aurait pu faire deux autres propositions, plus politiques : freiner  l'immigration et relancer l'aménagement du territoire, abandonné par la gauche, pour relâcher la pression sur la région parisienne. Il y a aussi un problème spécifique du logement des jeunes qui n'est pas traité.

Jean Petaux : Il n’y a jamais de hasard. C’est sans doute parce qu’il a fait le constat que sa popularité est assez faible non seulement chez les militants de l’UMP mais au-delà chez les sympathisants de la droite et du centre, à l’inverse d’un Juppé, d’un Sarkozy voire d’un Lemaire, que François Fillon a choisi délibérément de se placer sur le terrain programmatique et sur celui du projet. Ce n’est pas nouveau d’ailleurs. Rappelons déjà que pendant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2006-2007 il était en charge de la rédaction du projet de mandature. Cela lui avait d’ailleurs été profitable dans la compétition interne à la droite pour la fonction de Premier ministre, dès l’élection de Nicolas Sarkozy en mai 2007. François Fillon par ailleurs est quelqu’un de sérieux, d’appliqué et qui fonde son engagement sur un contenu programmatique établi et stabilisé. D’autres s’y prennent différemment en lançant des plateformes collaboratives comme des « coopératives d’idées » en quelque sorte. Fillon qui garde de sa « socialisation politique » la marque d’un Joël Le Theule disparu tragiquement alors qu’il était ministre, le 14 décembre 1980 (et dont le jeune François était l'assistant parlementaire) et celle d’un Philippe Seguin dont il fut le premier lieutenant, pratique la politique de la manière la plus classique qui soit. L’homme politique propose un programme et l’électeur dispose… A l’ancienne quoi. Pas certain que cela ne soit pas un peu juste par les temps qui courent… En tout état de cause, s’il est l’un des seuls à avoir vraiment une boite à idées bien garnie avant d’aborder la ligne droite de 2017, même s’il n’est pas désigné par les « primaires », il pourra toujours la mettre à disposition du vainqueur, et, avant cela, monnayer son soutien à tel ou tel avec une contrepartie crédible à offrir : celle d’un projet ficelé qui n’attendra plus qu’un repreneur éventuel…

A quelles faiblesses inhérentes à la position de François Fillon cette stratégie peut-elle répondre ? 

Roland Hureaux : Je ne parlerais pas de faiblesse. Mais par cette ligne, François Fillon  se positionne là où les autres ne se positionnent pas : le concret,  le sérieux. Les autres candidats, en tous les cas Sarkozy et Juppé, ont une image plus forte, plus nette  dans l'opinion, vraie ou fausse, qu'importe ;  la sienne  a moins de relief;  il ne pourra  rien y changer ; il faut donc  qu'il  trouve un autre créneau. Il le fait de cette manière et c'est très bien.

Jean Petaux : Je l’ai indiqué précédemment. François Fillon est comme tout un chacun. Il tend à contrecarrer son absence apparente de percée dans l’opinion publique mais aussi parmi les adhérents et/ou sympathisants. En occupant le terrain du projet, il se donne en quelque sorte le rôle de « think tank » et remplit ainsi la « fonction de Latence » chère à l’analyse structuro-fonctionnaliste défendue par Talcott Parsons et son fameux schéma « AGIL » dont la « Latence » représente le « L ». C’est, en quelque sorte, le lieu où se trouve le « carburant des idées » et c’est là que puisent toutes celles et tous ceux qui prétendent gouverner un parti, une communauté, un Etat et qui sont à court de propositions…

Si cette stratégie est particulièrement mise en valeur dans une séquence où la droite semble effacée, est-elle pour autant viable dans le temps ?

Roland Hureaux : Cette stratégie me parait tout à fait viable tant que les autres ne le suivent pas. Et s'ils le suivent, il leur sera difficile de proposer des choses très différentes; il aura le bénéfice de la primeur. En étalant la présentation de  son programme sur plusieurs mois, il pourra en outre retenir l'attention plus longtemps. Il profite aussi, ce faisant, d'une époque où les propositions sont encore audibles; dans les derniers mois avant l'élection, on n'écoute plus que les petites phrases, les effets de manche, on scrute  les sondages.  

Jean Petaux : J’aurais tendance à penser que non. Il arrive parfois que telle ou telle personnalité politique, essayant de comprendre les raisons d’un échec, attribue celui-ci à un manque de projet, à un déficit de technicité ou à une méconnaissance de tel ou tel dossier. Erreur funeste, mauvais diagnostic : en réalité celui ou celle qui pense cela n’a pas compris que pour gagner il faut et il suffit de « faire de la politique ». « Faire de la politique » ce n’est pas faire de « la technique ». Autrement dit cela se saurait si la politique était juste et morale… Le risque qu’encourt François Fillon c’est de croire que son projet va lui ouvrir les « portes de la désignation ». Je ne suis pas certain que Nicolas Sarkozy ait, quant à lui, envie de peaufiner un programme politique très détaillé et très élaboré… C’est l’injustice foncière de cette situation. Elle risque de se terminer en complète catastrophe  pour celui qui aura le plus travaillé ses dossiers… Quand le Léopoldo « Sarko » Fregoli se transformant sans cesse va, au terme d’un numéro de passe-passe bien senti, empocher la donne…

Quelles en sont les limites ? Comment François Fillon devra-t-il s'adapter lorsque les autres candidats UMP proposeront également un projet ?

Roland Hureaux : Attendons ces projets. Sarkozy est l'homme des  phrases chocs. Il se  peut que, avec des idées guère  différentes de celles de Fillon, il se rattrape par quelques propositions, pas forcément approfondies, mais polémiques et qui, par là  frapperont l'opinion. Des propositions polémiques, il n'est pas sûr que Fillon puisse à ce jour se les permettre. Mais les uns et les autres sont aujourd'hui contraints par le logiciel de l'UMP qui s'inscrit dans le cadre limitatif de l'euro et qui est  tributaire d'une doxa néolibérale que le gouvernement Valls est en train de préempter,  par exemple au travers de la loi Macron. L'UMP ne pourra pas se permettre de dire pendant deux ans, comme  elle l'a dit sur  cette loi : le gouvernement va dans le bon sens,  mais il faut aller plus loin,  d'autant que je ne suis pas sûr que l'opinion considère que ce soit le bons sens. La pauvreté en idées des think tanks de droite, devenus pour  la plupart des officines idéologiques ultralibérales, risque d'être également un facteur limitatif. Les uns et les autres devront trouver autre chose. Et ce n'est pas encore fait, ni près.

Jean Petaux : Il pourra toujours dire qu’il aura eu l’antériorité des idées et des propositions mais le corps électoral n’est ni la SACEM (la Société des auteurs qui gère les droits d’auteur) ni l’INPI (la protection de la propriété des marques) des programmes politiques et des marques déposées en formations, ni, tout autant, l’INAO (Appellations d’origines). En politique, cela ne sert à rien d’avoir raison avant tout le monde. Quand François Fillon alors Premier ministre ose dire tout haut ce que tout le monde sait et dit sous le manteau : « La France est un Etat en faillite », non seulement le président de la République, Nicolas Sarkozy manque de l’étrangler (après avoir failli s’étrangler lui-même en entendant son PM faire ce genre de sortie) mais personne n’en sait gré à Fillon lui-même. Le propre des « oiseaux de mauvaise augure » (qui ne sont très souvent que ceux qui disent la vérité) est d’être promis aux destins les plus funestes, tout simplement parce qu’ils ont eu le tort d’avoir eu raison quand les autres, dans la communauté, voulaient seulement continuer à « jouir sans entraves »….). Dur retour dans les « couches denses de l’atmosphère politique ».

Alors, plus sûrement, François Fillon devra user d’une stratégie assez simple ou simpliste : il va chercher à convaincre les ruraux, les orphelins de la crise. Sur ce terrain-là il va vite se retrouver en face-à-face avec le FN. Difficile équation…  

D'après ses dernières propositions, semble-t-il davantage pencher vers la droite ou le centre ? Comment François Fillon peut-il résoudre à sa manière le dilemme de l'UMP qui tangue entre le centre et la droite de la droite ?

Roland Hureaux : Ces propositions me paraissent  bien positionnées entre la droite de la droite et le centre. C'est peut-être même leur  défaut car  elles ne contiennent aucune provocation : on en  parlera donc moins. Mais je vous redis que la carte forte de  l'UMP est celle-là : le refus des simplifications  idéologiques de la gauche et des effets de manche  de l'extrême droite, le sérieux  des propositions qui, de manière subliminale, expriment un message important : l'UMP est plus  à même que quiconque de tenir les rênes de l'appareil d'Etat.

Jean Petaux : François Fillon va faire en sorte de défendre une ligne politique assez droitière s’il veut prétendre rallier à lui une partie des voix Sarkozy lors des prochaines primaires (« ouvertes » ou pas à l’UMP ?). Faisant cela il va décevoir forcément la fraction la plus progressiste de l’UMP dont il fut (au temps béni du RPR) une des figures marquantes. Je ne sais pas si François Fillon pourra réduire le dilemme de l’UMP souvent frappée de « déboussolement » coincée entre un FN conquérant et ravageur et un PS hollando-vallsiste qui propose une politique économique et sociale que tout cadre de l’UMP un peu honnête et censé devrait défendre. Alors ce que risque de faire François Fillon ce sera une forme de « suivisme »… prenant grand soin de ne plus aller à l’encontre du « main stream ». Accentuant sa « normalité », François Fillon  va vouloir se fondre dans la masse des élus UMP, UDI et MODEM qu’on entend pas… Pas forcément la fraction la plus éclairée !

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