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2008, 7 ans après : ce que le chômage de masse a vraiment coûté à la France (et ce n’est pas fini)
©Reuters

CDI (Crise à Durée Indéterminée)

Les derniers chiffres du chômage annoncent une légère embellie, néanmoins le bilan de ce qu'il a coûté à la France depuis 2008, de l'assurance chômage à l'assurance maladie, est bien moins reluisant. Et les perspectives ne sont pas beaucoup plus positives, tant il a marqué en profondeur l'économie française.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : L'Insee anticipe un taux de chômage de 10,6% (10,2 % en métropole) à la mi-2015, alors qu'il n'était que de 7,1% en 2008. Depuis la crise, le chômage n'a cessé de croître. Dans quelle mesure le coût de l'assurance chômage a-t-il augmenté ces dernières années ? A combien peut-on estimer cette hausse et que représente-t-elle dans la totalité du coût du chômage ?

Jean-Yves Archer : Depuis le déclenchement de la crise en 2008, la France est progressivement confrontée à un chômage de masse qui affecte désormais la vie de 3,6 millions de personnes voire 5 selon les modes de dénombrement malgré le léger reflux de janvier.

Ce phénomène engendre un coût financier stricto sensu (à l'exception de ses coûts sociaux et humains) qu'il faut approcher selon deux axes distincts et cumulatifs sous un horizon temporel limité.

Premier axe : le coût annuel comptable direct du chômage.

Trois principaux coûts doivent être enregistrés au passif de la collectivité en matière de chômage :

  • Tout d'abord, le coût de l'indemnisation versée aux chômeurs;
  • Puis, la prise en compte de la réduction de la masse salariale qui induit de moindres cotisations sociales;
  • Enfin, les recettes fiscales érodées par le tassement des revenus des personnes privées d'activité professionnelle.

Ces trois coûts recouvrent la quasi-intégralité du coût annuel du chômage mais il est toutefois nécessaire et conforme de signaler trois types de coûts qualifiés d'adjacents.

Deuxième axe : les coûts annuels adjacents :

  • Le chômage est un flux de personnes et non un stock inerte. Il est donc délicat de déterminer par période calendaire de référence (année x ou y) un cumul de coûts qui puisse prétendre à l'exhaustivité numérique. Autrement dit, la dynamique des variables observées autorise une typologie analytique mais pas des recoupements statistiques fiabilisés.
  • Aux trois coûts principaux, il faut ajouter le coût adjacent du financement de l'assurance-chômage. Ainsi, l'UNEDIC doit dépenser des sommes conséquentes pour se refinancer, pour honorer sa dette cumulée de plus de 21 milliards d'euros (prévision de 25,9 mds à fin 2015), de surcroît avec la garantie de l'Etat, que celui-ci glisse subrepticement en engagements "hors-bilan".
  • A côté de ce coût des canaux de financement de l'assurance-chômage, il faut bien évidemment intégrer le coût de la gestion administrative. Depuis 2008, les effectifs et les moyens de Pôle emploi ont dû être renforcés, ce qui est opportun au plan opérationnel mais dispendieux en termes de finances publiques.

Une tentative de chiffrage par-delà les obstacles :

Il est pleinement légitime de tenter d'énoncer un chiffrage sur le coût du chômage selon les grands items précités.

Selon plusieurs sources, l'indemnisation de 2,3 millions de chômeurs par l'UNEDIC coûterait, en coûts complets, un peu plus de 31,5 milliards d'euros. Les 1,3 million de chômeurs additionnels coûteraient près de 10,8 mds avec des situations statistiques complexes à déchiffrer lorsqu'il y a cumul de l'allocation chômage et de l'allocation "revenus d'activité réduite" dont 1,3 million de personnes sont bénéficiaires.

Ce premier chiffrage parcellaire situe donc autour de 42 mds le coût de l'indemnisation mais souffre d'un aléa de confection. Il est ici retenu un profil médian du chômeur qui occulte la disparité des cas de figure sur le terrain. Le récent rapport de la Cour des comptes (qui avait notamment stigmatisé vertement le régime des intermittents du spectacle) avait, lui aussi, eu recours à des précautions de méthode tout en soulignant clairement que le financement de l'indemnisation du chômage est "difficilement soutenable".

Or, et c'est là le point intéressant, des chiffrages internes à l'Administration (repris dans Travail et Emploi de ...1989) ont permis de démontrer une approximation du chiffrage du coût du chômage et une répartition selon les contributeurs.

En actualisant ces chiffres et en les adaptant au nouveau régime social (impact du RSA post chômage), on parvient à un coût du chômage de 76 milliards annuels répartis entre 42% pour l'UNEDIC (31,6 mds), 31% pour la Sécurité Sociale (23,3 milliards) et 27% pour l'Etat et les collectivités locales (20,1 milliards).

Raymond Barre disait qu'il fallait "défricher avant de chiffrer" : ici la matière est brute et incomplète mais ce chiffrage donne plus qu'un ordre d'idées sans prétendre ne pas rencontrer des "degrés dans l'inconfort" pour reprendre le terme de M. Lagrave dans son étude de mars 1983 : Les difficultés d'évaluation du coût du chômage (Revue française des affaires sociales).

Pour ma part, je ne valide pas les études qui posent que le coût du chômage serait de 6% du PIB, soit plus de 130 milliards. Elles me semblent extensives sur le fond pour avancer, à pas comptés, des approches partisanes.

Le travail réalisé ici a été accompli à partir de RHD (raisonnement hypothético-déductif) et de compilations de données fiabilisées mais sous séries incomplètes.

De manière finalement assez logique, la France préfère occulter le vrai coût complet du chômage et se limiter à des bribes d'analyse qui, telles des plaques tectoniques, s'entrechoquent plus qu'elles ne fournissent une vision fiable.

En fait, les pouvoirs publics – de toutes tendances – s'inscrivent dans la droite ligne du rapport du Sénateur Fosset de 1981 (rapport n°290) qui indiquait qu'il s'agissait "de discerner quelques pistes menant à un infléchissement d'une politique fondée plutôt sur l'indemnisation du chômage en vue d'axer progressivement l'affectation d'une partie des crédits considérables en cause à des actions plus spécifiquement orientées vers des mesures propres à susciter la création d'emplois nouveaux". Avec un nombre de chômeurs doublé depuis cette date et ce début de premier septennat, on comprend l'importance persistante de ces propos par-delà la légère baisse (en seule catégorie A) de 19 100 personnes en janvier 2015.

Gilles Saint-Paul : D’après les données de l’OCDE, on peut estimer cette hausse à environ 0,35 points de PIB. Cela n’est pas négligeable mais c’est un problème du second ordre si on le compare à celui de la hausse de la dette publique et de l’impact du vieillissement sur les comptes sociaux. De plus, ce coût ne représente pas un vrai coût économique, mais un transfert. Le vrai coût économique est celui de la perte de production impliquée par la hausse du chômage. On peut l’évaluer à environ 1,5 points de PIB chaque année, voire deux points si cette hausse s’avère persistante – car à plus long terme la baisse de l’emploi se traduit également par une baisse de l’investissement, donc des capacités productives.

Le chômage de longue durée, de plus en plus important, peut aussi provoquer une perte de savoir-faire chez les demandeurs d'emploi, qui auront besoin d'une formation pour retrouver une activité professionnelle. Cela représente-t-il  un surcoût pour le gouvernement ?

Jean-Yves Archer : Dans une note de l'AFEP alors présidée par Maurice Lévy, il est fait mention de la "perte de compétences" que génère le chômage et particulièrement le chômage de longue durée. C'est effectivement une question délicate. Cette érosion de l'employabilité est un défi majeur que ne règle pas la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle. Celle-ci continue à faire la part belle aux "insiders" qui ont un emploi au détriment de crédits fléchés vers les publics plus fragiles que sont les demandeurs d'emploi. Il est urgent de réorienter cette disparité inique et anti-économique et de donner une vraie chance aux chômeurs en matière de formation. Ceci peut, de surcroît, être atteint à coûts constants.

Gilles Saint-Paul : Les actions de formation représentent une part relativement faible des dépenses. En étant cynique, on pourrait même penser que le chômage de longue durée représente des économies pour le gouvernement, car les chômeurs de longue durée se retrouvent en fin de droits et n’ont plus droit qu’au RSA. Là encore, il faut aller au-delà des considérations budgétaires et considérer le vrai coût économique du chômage de longue durée. Les chômeurs de longue durée, de par leur perte de capital humain, d’attachement au monde du travail, et les stigmates dont ils pâtissent, ont beaucoup de mal à retrouver du travail ; de ce fait, ils pèsent peu sur les salaires, ce qui rend l’économie moins résiliente lorsqu’elle est soumise à des chocs négatifs. C’est-à-dire que la modération salariale ne joue plus son rôle régulateur qui tend à ramener rapidement le chômage vers son niveau d’équilibre. Ainsi, pendant la crise, les pays où le chômage de longue durée est un moindre problème, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, sont sortis de la crise plus vite que les pays où le chômage de longue durée est important, comme la France ou l’Espagne.

A combien s'élève le coût sanitaire du chômage, notamment pour l'assurance maladie, sachant qu'il peut causer de graves troubles physiques et psychiques chez les demandeurs d'emploi de longue durée, notamment ?

Jean-Yves Archer : Le chômage est un propagateur d'addictions (tabac, alcool, stupéfiants, etc.) qui confirme le vieil adage : "l'oisiveté engendre le vice". Des milliers d'hommes et de femmes sont sous le coup de la souffrance car, dans une société consumériste et matérialiste, le non-travail est vécu comme un échec. La mésestime de soi conduit hélas à des actes irréparables et à la "mort voulue" pour reprendre un terme célèbre (Nevers, mai 1993, obsèques de Pierre Bérégovoy).

En termes de coût, la Sécurité sociale ne peut isoler un chiffrage qui intégrerait les maladies immédiatement contractées des pathologies qui se développent au long cours. Les analyses convergent pour fixer une échelle de surcoûts de plusieurs dizaines de milliards. D'ailleurs, Michel Lagrave a fréquemment cité une étude britannique qui affirme qu’une hausse de 1 million de chômeurs sur 5 ans provoque 50 000 morts et 60 000 cas de maladies mentales supplémentaires (Les difficultés d’évaluation du coût du chômage, Paris, Economica, 1982). Ceci ressemble, hélas, à la configuration que la France traverse depuis 2008 et que bien des médias rapportent. Ecouter à titre d'exemple l'émission Chômage et santé du 15 janvier dernier sur France Inter.

Gilles Saint-Paul : Cette question est délicate, car il n’y a pas d’évidence empirique concluante permettant de valider l’idée pourtant simple que le chômage a des conséquences négatives sur la santé. Si le chômage semble augmenter le taux de suicide (mais les suicides ne coûtent pas cher à la sécurité sociale), on observe parfois une réduction de la consommation de tabac et de nourriture, pour des raisons économiques, ce qui peut avoir un impact positif sur la santé. En l’absence d’étude réellement concluante, nous ne pouvons pas affirmer grand-chose sur l’effet du chômage pour l’assurance maladie ; par contre le chômage affecte clairement le bien-être subjectif.

Les cotisations retraites risquent-elles d'être impactées ?

Jean-Yves Archer : Oui, ceci nous ramène à la notion de coût prospectif des impacts du chômage.

Derrière ce terme, il convient de placer les coûts différés dans le temps du chômage. Pour prendre un exemple aussi concret que parlant pour les personnes concernées, il s'agit essentiellement des futures moindres retraites qui seront versées, in futurum, à celles et ceux qui ont subi une ou plusieurs périodes de chômage.

Là encore, on retrouve une trilogie cumulative : moindres retraites pour l'individu, moindres capacités de pouvoir d'achat et autre élément : moindre viabilité des régimes par répartition.

Le chiffrage de ce coût prospectif est d'évidence en milliards mais, respectueux du lectorat, il parait clairement irréaliste de proposer un décompte qui puisse être qualifiable de méthodique, donc de réaliste.

Au demeurant, les recherches externes effectuées ne m'ont pas permis d'aboutir à une synthèse chiffrée cohérente. Rappelons au passage que certains organismes publics continuent de se fier à des projections de croissance très optimistes en matière de gestion des déséquilibres des régimes de retraite...

Gilles Saint-Paul : L’effet sur les cotisations retraites est important, puisque celles-ci baissent proportionnellement à la perte de production, donc entre 1,5 et 2 %. Cela augmente donc le besoin de financement des systèmes de retraites. Si par exemple ce manque à gagner est financé par une augmentation des charges sociales, le coût du travail augmente, ce qui détruit des emplois supplémentaires,  et ainsi de suite. L’économie risque donc de s’enfoncer dans un cercle vicieux.

On peut aussi craindre une baisse du pouvoir d'achat et des conséquences graves sur l'économie française ?

Jean-Yves Archer : Les moindres capacités de pouvoir d'achat visées ci-dessus entraîneront donc des défauts sporadiques d'alimentation de la demande au plan macro-économique ce qui sera préjudiciable à notre économie. En revanche, les gains de productivité qui vont progressivement découler de l'économie numérique et de la connectivité des objets seront un rempart contre une baisse générale du pouvoir d'achat. Contrairement à Patrick Artus (voir son dernier livre : Croissance zéro : comment éviter le chaos ? co-écrit avec Marie-Paule Virard), je crois résolument à l'impact favorable des grappes d'innovation qui se font jour, mois après mois. D'ailleurs, après avoir lu ce récent ouvrage, il m'a été agréable de feuilleter – à titre d'exemple - le rapport annuel de sociétés innovantes telles que Dassault Systèmes dont le chiffre d'affaires 2014 (2,3 milliards d'euros) a progressé de 15,8% notamment grâce à des outils de simulation appliqués à la gestion des villes ou à l'art chirurgical. Prévenir l'aléa médical est incontestablement un foyer de croissance au sein de l'économie de la santé. Autrement dit, il y aura de la croissance mais elle sera fortement inégalitaire entre les firmes et entre les personnes comme la prédit, il y a près de vingt and le regretté Antoine Riboud (Danone). Nous marchons vers une société où l'indicateur d'inégalités qu'est le coefficient de Gini risque d'être scruté par les vrais politiques tout autant que ce funeste taux de chômage qui recouvre une réalité vertigineuse : la durée moyenne de présence au chômage a désormais dépassé les 500 jours.

Gilles Saint-Paul : L’économie française vit avec un chômage élevé depuis presque quarante ans. Malgré les coûts réels du chômage, on peut très bien s’installer indéfiniment dans cette situation. Et c’est effectivement le cas parce que les réformes du marché du travail qui permettraient de réduire le chômage n’ont jamais été faites. Le chômage est donc un des éléments du problème mais pas le plus important. D’autres aspects du non-emploi : faible activité des seniors, faibles heures travaillées, sont tout aussi importants. Le plus préoccupant est la dérive des dépenses publiques, qui ne peut que s’aggraver avec le vieillissement, et le fardeau de la dette, ce qui nous conduit inexorablement à des taux d’imposition intolérables et à une crise fiscale, à moins d’envisager des réductions drastiques comme le Canada l’a fait à la fin des années 1990.

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