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L’élection présidentielle de 2017 est-elle bien partie pour se jouer autour de la question de l’Etat islamique et des angoisses identitaires françaises ?
©Reuters

Peur nationale

Par sa propagande cruelle et grandiloquente, l'Etat islamique cherche à gagner la guerre des esprits sur les sociétés occidentales. Il pourrait même devenir la question centrale de la prochaine présidentielle. Jérôme Fourquet et Alain Vergier, qui préparent actuellement une publication aux éditions de la fondation Jean Jaurès sur ce sujet, se sont intéressés aux effets des attentats sur l'opinion.

Alain Vergier

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Aujourd'hui l'Etat islamique, et plus généralement le salafisme djihadiste, est une menace qui semble perçue comme globale, dépassant les frontières et les nationalités. En France, le phénomène s'invite partout, y compris dans les petits villages qui sont confrontés au départ de Français vers la Syrie. Au sein de l'opinion publique comment cette menace est-elle perçue ?

Jérôme Fourquet : Ce que l'on constate c'est qu'un véritable basculement s'est produit en termes de représentation de la notion même de terrorisme. Jusqu'à une époque relativement récente, qui disait terrorisme, disait "terrorisme d'Etat", "filières organisées", "réseaux", "attentats à la bombe ou attaques sur les réseaux de transport". Des choses qui apparaissaient comme relativement spectaculaires. C'est pour cela qu'un sondage que nous avions réalisé pour Atlantico, au lendemain des tueries perpétrées par Mohammed Merah à Toulouse, montrait que seul un Français sur deux estimait la menace terroriste élevée. C'était un score relativement bas dans ce baromètre, mis en place au lendemain du 11 septembre 2001. Comment expliquer cet étrange paradoxe ? A l'époque, une majorité de Français décodait les attaques de Merah comme le fait d'un déséquilibré, d'un loup solitaire fou-furieux, et n'associait pas ça au registre du terrorisme. Les choses ont basculé quelques mois plus tard, en septembre 2012, quand la cellule de Torcy a été démantelée : on a eu la jonction entre deux visions, des réseaux un peu plus structurés que le cas d'un individu isolé mais sur des modes d'action de "basse intensité" (une grenade jetée sur une épicerie cacher). Petit à petit le sentiment s'est installé que cela constituait le nouveau visage du terrorisme, un terrorisme diffus, assez présent sur le territoire et composé de petits groupes. Cette image-là s'est installée dans le pays, provoquant un changement du regard porté sur la menace terroriste. On passe d'un réseau organisé à des individus beaucoup plus disséminés.

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Le deuxième changement de nature, en termes de perception, concerne l'ampleur du phénomène. Avant on parlait de réseaux organisés mais très peu nombreux, isolés et structurés, aujourd'hui il s'agit plutôt d'une foule d'individus non-organisés mais répartis sur l'ensemble du territoire. En lien avec tout cela, le fait que ces individus sont plus ou moins connectés avec ce qui se passe à l'étranger, avec l'idée que pour quelques centaines, voire dizaines, d'euros, ils peuvent prendre un avion pour Istanbul afin de rejoindre la frontière et de s'enrôler dans les rangs de djihadistes, et puis revenir ensuite. Il y a l'idée d'un système mondialisé, avec, d'un côté internet pour "s'auto-radicaliser", de l'autre des trajets en avion à prix abordables, rendus possibles grâce à la disparition des contrôles aux frontières, qui permettent une circulation très aisée et rapide. Ce basculement commence à l'automne 2012 et est accentué par toute une série de révélations qui montrent l'ampleur du phénomène des filières djihadistes en France et qui sont relayées par la presse. Après, on bascule au cours de l'année 2013 puis 2014 sur les chiffres officiels qui indiquent que cela concerne 300 personnes, puis 500, puis 1000 Français partis combattre ou qui sont en transit. On voit bien que cela ne ressemble plus à quelque chose comme Action Directe ou comme les attentats du métro Saint-Michel dans lequels seule une dizaine d'individus, une trentaine grand maximum, étaient concernés. Maintenant on passe à un terrorisme de masse.

Le profil des personnes concernées évolue aussi fortement. Ce ne sont plus seulement des personnes issues de l'immigration de la 2eme ou de la 3eme génération mais des jeunes qui peuvent venir de familles non-musulmanes et converties, et qui viennent de partout en France : par exemple l'histoire de la fameuse filière de Lunel ou de ce jeune normand reconnu comme l'un des égorgeurs de l'Etat islamique. On se dit alors que le phénomène ne concerne pas seulement les Minguettes à Vénissieux ou les cités chaudes du 93. A cela s'ajoute un traitement médiatique très important autour de ces questions-là, qui tout à coup change totalement le regard porté sur la menace terroriste. De nombreux cas sont repris dans la presse locale, montrant que des villes petites et moyennes peuvent être également touchées et cela choque. Ce ne sont plus seulement les grandes villes et les banlieues, ni seulement les gens issus de l'immigration. Les profils peuvent d'ailleurs être très jeunes, garçons comme filles, avec des cas de lycéennes de 14 ans qui sont parfois arrêtées de justesse à l'aéroport avant de s'embarquer pour ce genre de destination. Tout cela a fait évoluer le regard sur la menace terroriste, accompagné de ce qu'on pourrait qualifier "d'effet stéréo", c'est-à-dire qu'on parle de ce qui se passe ici chez nous et là-bas sur le terrain, parfois par des gens qui viennent de chez nous. On a l'impression d'un va-et-vient, depuis plusieurs mois déjà, car ces deux aspects de la menace terroriste saturent les écrans.

Alain Vergier : Lors de notre étude, nous nous sommes particulièrement intéressés aux milieux populaires. Dans cette partie de la population, il y a aujourd'hui un impact très fort de la question islamiste car cela résonne avec leur expérience quotidienne, en tout cas pour ceux qui sont dans des situations de confrontation avec d'autres communautés. Des confrontations qui sont de plus en plus affirmées. Le phénomène de confrontation culturelle était auparavant vécu de façon assez locale, en banlieue ou dans des zones périurbaines. Aujourd'hui, cela prend une autre ampleur, c'est-à-dire que le phénomène est généralisé à l'ensemble du territoire français. Pour cette partie de la population, l'apparition fracassante du djihad, à travers les vidéos mais aussi le fait qu'on en parle énormément, met aujourd'hui un nom, "l'islam", sur tout un ensemble de choses ressenties qui désignent des problèmes quotidiens mais aussi des problèmes d'une tout autre échelle, nationale et transnationale (violences, guerres, atrocités commises à l'étranger). Pour ces personnes aujourd'hui, le terme "islam" lie toutes ces choses et crée une sorte d'unité entre ce qui se passe en Syrie et ce qui se passe en France, d'abord dans les banlieues mais aussi dans n'importe quel village. L'impression est qu'il ne s'agit pas d'un déferlement qui vient de l'étranger, mais d'un phénomène immanent qu'on pourrait retrouver chez tout le monde, dans n'importe quelle ville en France, chez des musulmans, des non-musulmans ou des convertis. Pour eux, il y a quelque chose qui vient des Français, de personnes qui sont françaises d'origines non-musulmanes, et cela provoque une sorte d'envahissement de la problématique par tous les pores de la peau de la nation et du territoire. Cela donne une impression de submersion dangereuse qui apparaît de toute part, et qui est délocalisée des banlieues et qui, dans l'imaginaire de ce public, s'est répandue en France à la manière d'une contagion généralisée.

On est passé d'une identification du terrorisme "traditionnel", passant par des réseaux organisés, à une réalité plus complexe qui peut apparaître n'importe où et n'importe quand, à l'arme blanche, sans organisation ni préparation complexes. Il y a là une transformation très forte et qui revêt deux aspects. Premièrement, le terme "islam" permet de nommer l'ensemble des griefs qu'une partie de la population française peut avoir vis-à-vis des musulmans, ce qui rappelle ce qui était reproché auparavant "aux Noirs et aux Arabes". Deuxièmement, l'idée est que cela se répand et n'est plus localisé ici où là dans certaines zones. Cela renvoie à un sentiment de très grande perte de contrôle de la part de l'Etat. A la lumière de cela, des questions subsidiaires réapparaissent : celle de la porosité des frontières par exemple. L'idée est donc que la France est sous le coup d'une menace, potentiellement extrêmement violente et très difficilement identifiable et maîtrisable.

Le phénomène islamiste, avec l'EI comme porte-drapeau, monopolise une bonne partie de l'attention. A l'approche des présidentielles de 2017, pourrait-il constituer un des grands thèmes de la campagne ? Quels en sont les signes précurseurs ?

Jérôme Fourquet : Il faut décortiquer les choses mais l'on constate que cela se joue à plusieurs niveaux. Le premier est celui de la menace terroriste en tant que telle, François Hollande a annoncé hier au dîner du Crif que les 10.000 militaires déployés en France le resteront. Cette déclaration faite devant une partie des représentants de la communauté juive de France illustre le climat sécuritaire qui plane et se fait pesant. Tant sur le front intérieur qu'international, on est d'ailleurs en train de préparer les esprits à la possibilité d'actions ciblées en Libye, on voit que le porte-avions Charles de Gaulle a été mobilisé dans le Golfe persique, que les budgets de l'armée ont été sanctuarisés pour faire face à un renforcement des dispositifs dans le Sahel, etc. On voit que la question militaire et sécuritaire, habituellement peu traitée dans les campagnes, sera présente. On peut penser que ce climat de bruits de bottes et de menaces terroristes perdurera, entretenu par l'huile que jette sur le feu les experts en communication que sont les gens de Daech.

Le deuxième niveau d'analyse est de se poser la question si tout cela ne participe pas à une installation encore plus importante dans le débat public de la thématique de l'identité. Si l'on va jusqu'au bout de la logique, on aboutit aussi à un questionnement sur la place de l'islam dans notre société et donc sur la façon qu'a la société française de se représenter elle-même, sur les problèmes que posent, à de multiples niveaux, le fait que nous soyons entrés dans un modèle multiconfessionnel et multicuturel. Pendant des années il y avait une chape de plomb sur ce sujet. Au lendemain des attentats de janvier certaines personnes ont affirmé qu'il fallait nommer les choses. Cela dépasse de très loin la simple question du terrorisme et forme un continuum débouchant sur un climat très particulier qui s'installe. Quand Manuel Valls parle "d'apartheid" dans certaines banlieues, cela a un très lointain rapport avec Daech, sauf qu'en disant qu'il faut re-fabriquer du vivre-ensemble, qu'il y a des territoires perdus de la République où la laïcité ne s'applique plus et où les fondamentalistes s'implantent, il a des paroles très fortes. A voir si les actes suivent derrière. Tous ces sujets-là s'invitent au cœur du débat. Cela rejaillit avec des débats sur la politique de la ville ou sur l'enseignement de la laïcité dans les écoles. Rappelez-vous, avant les attentats le débat scolaire portait sur la disparition des notes, on a totalement changé de sujet désormais. Cela remonte à la surface et ces évènements accélèrent les choses mais tout cela était déjà en gestation depuis longtemps. Je ne dis pas que les questions de réduction des déficits, de pouvoir d'achat ou de chômage ne seront plus au cœur des préoccupation des Français, mais à côté de ces thématiques classiques, il y a tout un contexte sécuritaire et identitaire qui s'affirme de plus en plus. C'était déjà latent et émergent depuis plusieurs années, avec des moments d'accentuation et des phases de relâchement, là on a franchi un nouveau cap.

Alain Vergier : Je pense qu'effectivement cela peut constituer un thème important parce que cela traduit une inquiétude française : à la fois sur la question de notre identité, et sur celle de la République. Or, aujourd'hui nous ne savons pas comment résoudre ces problèmes que nous avons laissé se développer parce que la situation n'était pas suffisamment inquiétante. Maintenant elle le devient. La question du voile, par exemple, pose un problème de plein fouet à la laïcité. Aujourd'hui, la laïcité est un thème central dans l'esprit des gens et cette question jouera un rôle primordial. La question de l'islam jouera également un rôle très important dans deux ans. Finalement la question fondamentale que tout le monde se pose, et cela se vérifie dans les milieux populaires, est celle de la République. La République est-elle en danger ? Certains Français pensent qu'elle les a déjà beaucoup abandonnés et ils se demandent si on ne va pas de nouveau vers sa fragilisation. C'est par le thème de la laïcité que ces questions vont prendre une importance assez centrale lors des prochaines élections présidentielles.

Comment expliquer que les politiques et élites intellectuelles passent globalement à côté du phénomène ? En quoi cela contribue-t-il à alimenter les fractures entre eux et les Français, dont ils minimisent les angoisses ?

Jérôme Fourquet : Il faut tout de même dire qu'il y a encore une partie des Français en phase avec ce qui est affirmé dans le discours consensuel des élites, et d'ailleurs tous les responsables politiques ne disent pas non plus la même chose. Une autre part, elle aussi importante, de la population ne se retrouve pas dans ce discours-là ; pour elle nous sommes déjà entrés dans un schéma de choc des civilisations. Ceux-là ne se retrouvent pas dans un discours qu'ils perçoivent soit comme angélique et moralisateur, soit comme irréaliste et déconnecté du réel. Cela peut expliquer qu'on ait une géographie très particulière de la participation au défilé du 11 janvier, toute une série de population et de territoires se sont sentis beaucoup moins Charlie que les autres. Des populations qui affirmaient qu'il fallait arrêter de se raconter des histoires, que nous sommes en guerre et que cela fait des années qu'elles l'affirment sans pour autant être écoutées. Une analyse a été faite par l'Ifop sur la géographie de la mobilisation qui montre que toutes les régions fortement absentionnistes, qui ont voté non au référendum de 2005, et où le FN fait de gros scores, se sont beaucoup moins mobilisées par rapport à d'autres régions beaucoup plus en pointe lors de ces manifestations. Cela veut dire que si cette distribution géographique est apparue, le mot d'ordre et les moteurs de la mobilisation étaient bien moins puissants dans ces territoires et parmi leurs populations que dans d'autres.

Alain Vergier : Il faut bien avoir en tête quelque chose : quand on pose aux gens la question de savoir s'il existe un lien entre les djihadistes et le reste de la population musulmane, ils disent souvent la chose suivante : "je m'entends bien avec mon épicier, je suis sûr qu'il n'est pas islamiste, par contre son fils porte la barbe donc je suis moins sûr, et pour les copains de son fils, je ne sais plus du tout…". Cette phrase qui revient assez souvent est très intéressante car on dirait qu'il y a une sorte de pyramide qui s'établit dans l'esprit des gens entre les musulmans intégrés et les djihadistes qui en constitueraient la pointe. Les gens affirment ne pas les confondre, l'épicier n'est pas dangereux, ils ne font donc pas d'amalgame mais le fils de l'épicier pourrait être dangereux, il est donc quand même dit qu'il y a un lien entre tout cela, et que ce lien, malgré tout, reste l'islam puisque c'est en son nom que tout cela se fait. Cela se présente donc sous la forme d'une pyramide dont la base serait l'immigration au sens général, donc dans leur opinion plus il y a d'immigration, plus on crée un terreau favorable à ce qu'il y ait des djihadistes. C'est un schéma qui est extrêmement présent dans l'esprit des milieux populaires, et sans doute au-delà.

Cette façon de penser est d'autant plus forte que les personnes en question sont confrontées quotidiennement dans leurs lieux de résidence à des problèmes de quartier. Ils ont donc le sentiment de bien connaître ces problèmes-là et pensent qu'au bout du compte tout cela aboutit au djihad. Ils estiment donc être les mieux placés pour se rendre compte de ces problèmes-là. Du côté des élites politiques, il semble qu'il n'y ait pas de prise en considération assez forte de ces problèmes vécus par les gens et que, du coup, on a "laissé faire", on n'a pas pris avec assez de considération la façon dont les choses commençaient à déraper. Il y a ce ressenti exprimé beaucoup plus fortement par les milieux populaires, et les attenants leur ont, en quelque sorte, donné raison. Ces personnes n'étaient donc pas très étonnées, et le grand défilé du 11 janvier ne les a pas vraiment touchées ; dans cette partie de la population on avait tendance à penser que les gens qui manifestaient venaient seulement de découvrir le phénomène. Il y a cette fracture profonde qui existe, notamment sur la question de l'islam, au sein de la société française.

Par leur propagande et leurs actions violentes, les terroristes islamistes souhaitent assurer leur emprise sur les opinions occidentales. L'angoisse que ceux-ci génèrent en France est-elle déjà une victoire dans la guerre de l'esprit ? En phagocytant le débat démocratique, les djihadistes auront-ils gagné une bataille ?

Jérôme Fourquet : Ce qui est sûr c'est qu'il y a une dimension psychologique là-dedans, c'est même une des bases de leurs actions. Ils cherchent à effrayer et à tétaniser l'adversaire et sont très forts à cela grâce à leur inventivité dans l'horreur, sans aucune limite, associée à une très bonne maîtrise des réseaux sociaux et des codes de la communication moderne. Deuxièmement, ces thématiques-là sont omniprésentes dans les médias, notamment par le biais de cet "effet stéréo" dont je parlais précédemment. Cela corrélé au fait qu'il y a eu une gradation dans les atrocités mais aussi un élargissement de la zone de troubles, d'abord cantonnée à l'Irak, puis s'étendant à la Syrie et maintenant à La Lybie etc. On voit que les foyers de tensions se multiplient et cela peut former une inquiétude. Quant à savoir s'ils ont gagné la bataille de l'esprit, à chacun de se faire son propre jugement et d'en tirer les conséquences.

Alain Vergier : Absolument. Les djihadistes cherchent à conquérir l'opinion, ils veulent organiser l'agenda politique, et ils sont en train de réussir. Ils prennent possession de l'espace public en l'envahissant, ils investissent l'espace démocratique au sens militaire du terme. C'est une réussite. Il ne leur faut pas grand-chose pour cela : des armes, quelques vidéos, quelques crimes et le tour est joué. C'est d'une grande économie. Il est vrai qu'il s'agit d'abord d'une guerre d'opinion, de confiscation du débat politique. Et c'est pour cette raison que cette thématique prendra une importance centrale dans la campagne présidentielle. N'oublions pas que d'ici deux ans les choses n'iront pas en se calmant. La pression risque donc d'aller en s'accentuant lorsque l'on s'approchera de la date des élections.

A qui cela pourrait-il le plus profiter politiquement, et pourquoi ? Si Les Français jugent que les partis traditionnels ont mal géré la menace, pourraient-ils se replier vers ceux qui brandissent une ligne plus sécuritaire, comme le Front national ?

Jérôme Fourquet : Il y a toujours 46% des Français qui font confiance à François Hollande, on ne peut donc pas vraiment généraliser. Reste à savoir s'il y a des basculements à prévoir, cela n'est pas forcément évident. L'autre hypothèse, par ailleurs, est que ce climat vienne consolider les gains qu'a réalisé le Front National depuis la présidentielle de 2012. Les arbres ne grimpent jamais au ciel, les scores du parti sont déjà élevés, ce n'est donc pas évident qu'il y ait une grosse progression. Rappelons juste un chiffre, les intentions de vote pour Marine Le Pen en 2017 sont déjà à 30%. En deux ans seulement on est parvenu pas loin du doublement et c'est colossal. La meilleure stratégie pour le FN est donc de consolider la venue de nouveaux électeurs et d'agréger tous ces différents courants qui se rejoignent pour former l'électoral du Front. Un électorat qui serait en capacité d'être systématiquement au deuxième tour et redistribuerait totalement les cartes politiques en brouillant le paysage. Pour autant, les enquêtes ont montré qu'il restait un plafond de verre et que beaucoup de gens n'adhéraient pas à ce parti et n'étaient pas dans une logique d'amalgame. Malgré tout, il semble qu'il y ait une bonne partie des gens qui n'avaient pas encore franchi le pas de voter Front National mais qui maintenant sont prêts à le faire. Ces évènements participent à la construction de cet électorat large, cohérent et puissant.

Alain Vergier : Pour moi c'est incontestable. Je pense qu'il est en train de s'établir une sorte de plancher, comme une action qui monte en bourse et rencontre un plafond de résistance : le jour où l'on perce ce plafond il devient un plancher de résistance. On peut considérer aujourd'hui qu'il y avait un plafond situé entre 25 et 30% des voix pour le Front National, et que celui est désormais percé, ces 25-30% sont en train de devenir le plancher à partir duquel les points seront gagnés. On a vraiment franchi une étape. Le seul acteur politique qui brandit les problèmes évoqués précédemment est le FN. Au moment des printemps arabes, Marine Le Pen s'exprimait déjà en disant qu'elle craignait un "hiver islamiste". Elle a énoncé ce genre de choses assez rapidement et maintenant les gens affirment que "les faits lui donnent raison". Elle gagne donc de la crédibilité compte tenu de son regard sur l'évolution des choses, et est perçue comme celle "qui regarde les choses en face". Voilà une expression que j'ai souvent entendu et qui en dit beaucoup. Pour ces personnes, les autres membres des élites regardent ailleurs, ont peur. Pour eux, le défilé du 11 janvier était celui de tous ceux qui n'ont rien pu faire, voilà pourquoi ils n'y sont pas allés. Effectivement, je crois que cela consolide la base électorale de Marine Le Pen, qui est très élevée, et maintenant l'enjeu est de savoir si elle continuera à s'élever au-dessus de ces 30% qui sont déjà considérables. Cela perturbera complètement la vie politique et le jeu des alliances, on le verra bientôt.

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