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Tribune : “Pour protéger les auteurs et la diversité culturelle, la loi doit les laisser… créer”
©REUTERS/Rick Wilking

Laissez-faire

Les autorités françaises pensent que la création peut ne s'entrevoir sereinement que dans la régulation. C'est pour cela que Netflix continue d'agiter les tendances au "tout législatif" du ministère de la Culture. En vain. La diversité culturelle est en effet toujours plus vivace dans un environnement juridique peu contraignant.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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La course-poursuite entre le législateur et l’innovateur semble décidément sans fin. L’année 2014 a été marquée, rappelons-le, par un combat digne de celui des fabricants de chandelles imaginé sous la plume amusée de Frédéric Bastiat contre la concurrence déloyale du soleil : l’adoption mouvementée de la loi dite "anti-Amazon", supposée protéger la filière du livre. D’un point de vue strictement juridique, nous avions rappelé à cette occasion nos doutes quant à la conformité du texte aux principes fondamentaux du droit français, qu’il s’agisse du respect de l’égalité de traitement, du refus d’une loi ad hominem ou de la liberté d’entreprendre, ce qui n’a pas malheureusement empêché le vote de la loi le 8 juillet dernier.

Quelques mois plus tard et à l’heure des bilans, le marché a tranché. L’arsenal règlementaire mobilisé contre Amazon a accouché… d’un centime, tarif symbolique auquel l’innovateur américain propose désormais à ses clients de se faire livrer leurs ouvrages, contournant ainsi sans peine l’obstacle normatif. La FNAC a suivi.

Las, les pouvoirs publics ne renoncent pas à la "régulation" – on devrait plutôt dire la règlementation puisque la régulation se fait de manière spontanée sur un marché ! – , ni à vouloir mettre en cage des courants d’air au prétendu motif de secourir les opérateurs culturels taxés de "traditionnels".

A l’automne, c’est Netflix qui a volé le chiffon rouge à Amazon : son arrivée sur le marché français contrariait une chronologie des médias soigneusement établie dans les années 1980 par arrêtés ministériels afin de limiter la menace que représentait la télévision pour les salles de cinéma. Le leader mondial de la vidéo à la demande sur abonnement s’est ainsi retrouvé au centre d’un débat national sur l’avenir du financement de la création audiovisuelle, qui a eu au final l’avantage… d’offrir une belle notoriété à la marque, méconnue des Français avant ce charivari juridico-médiatique. Et tandis que les sirènes de l’ancienne garde normative sifflent, la caravane de l’innovation passe : fin 2014, Netflix comptait 57,3 millions d'utilisateurs dans 50 pays – 13 millions de plus en une année !

Nouvel échange de balles : en ce début d’année, l’inquiétude du législateur français revient du côté d’Amazon, au motif du lancement de sa "bibliothèque privée", baptisée Kindle Unlimited, qui permet sur abonnement mensuel d'accéder à 700.000 titres numériques dont 20.000 en français. A peine l’offre commercialisée, la ministre de la Culture saisissait la nouvelle médiatrice du livre pour avis juridique, parce que ce service d’abonnement "ne semble pas conforme à la loi" – en référence à la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique disposant entre autres qu’il revient à l'éditeur de fixer le prix du livre, imprimé ou numérique. La Rue de Valois entend donc rendre un avis urgent sur l'articulation des offres par abonnement dans le cadre fixé par la loi.

En attendant les conclusions du "régulateur", qui ne manqueront pas d’être créatives ni de survenir quand Amazon en sera déjà probablement au coup d’après - la production de contenus audiovisuels, il n’est pas question bien sûr de contester la juste rémunération des acteurs de la filière, et notamment celle des auteurs, pour leur travail. Mais de réfléchir à la méthode : le "régulateur" est-il condamné à aborder l’innovation comme un problème, plutôt que comme une chance ?

En effet, la meilleure façon de créer de la valeur, des emplois et des contenus dans la filière culturelle n’est pas de « protéger » coût que coût les auteurs au moyen de barrières qui seront inéluctablement emportées par le progrès technologique, mais… de les laisser travailler, créer, et investir de nouveaux champs de production. Or le numérique, contrairement aux idées jetées à la hâte dans la controverse, est précisément un vecteur de création et d’enrichissement culturel. Le livre numérique a fait de l’auto-édition une réalité, et il permet de voir émerger des auteurs auxquels les circuits classiques ne laissent pas leur place : près de 3 livres sur 4 vendus sur Internet ont un tirage inférieur à 1.000 exemplaires, en accord avec la fameuse "longue traîne" décrite par Chris Anderson. Même logique pour la production de séries Tv et de films : les Netflix et autres Amazon Studios, en plein essor, offrent des alternatives et de nouveaux débouchés aux réalisateurs. 

La vocation du Droit et sa grande vertu pour l’épanouissement économique et culturel des sociétés humaines, est de protéger les libertés, dont la liberté d’entreprendre et la liberté d’expression ne sont pas les moindres. Pas de les museler. 

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