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Niveau d’activité économique au plus haut depuis 42 mois : la reprise économique s’annonce en France, merci qui ?
©Reuters

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Le gouvernement veut y croire, et certains signes semblent en attester, la croissance des entreprises françaises et européennes s'accélère ces derniers mois. Il serait néanmoins hâtif et présomptueux d'accorder la paternité de cette embellie à l'exécutif seul.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Le vendredi 20 février, l’institut Markit signalait la "Plus forte expansion de l’activité du secteur privé français depuis 3 ans et demi". Ces premiers signes de reprise sont-ils crédibles ?

Nicolas Goetzmann : Les indicateurs PMI, publiés par Markit, sont très fiables. Leur corrélation avec l’évolution du PIB est avérée, et la forte hausse des PMI pour la France au mois de février est donc évidemment une bonne nouvelle. Le fait que cet indice soit passé au-delà du niveau de 50 traduit une expansion de l’activité économique qui n’avait pas été mesurée à ce niveau depuis le mois d’août 2011. En détaillant l’ensemble, il est possible de se rendre compte que le secteur manufacturier est toujours en territoire négatif, et encore en baisse. Par contre, le secteur des services marque une forte hausse de 4 points, à 53.4, ce qui est proche de la moyenne de la zone euro. Ainsi, et pour le moment, le retournement vient des services.

Lire également : Les Allemands ont l’industrie, les Anglais la finance : et si la marque France, c’était l’esprit de service

L’INSEE publiera le 24 février prochain son indicateur de conjoncture qui devra confirmer cette situation. Mais il faut rester prudent, car s’il ne s’agit pas de contester une réelle embellie, mais il est important de prendre conscience du point de départ, qui est lui, très faible. Tout l’enjeu est donc de conserver cette tendance de progression pour en arriver à une croissance suffisante pour créer de l’emploi, ou même, rêvons un peu, aller au plein potentiel de l’économie française.

Philippe Waechter : L'économie de la zone euro est probablement entrée dans une phase de rupture conjoncturelle car l'environnement de la zone est en train de changer.

J'adhère à l'analyse de la BCE qui considère que spontanément la zone est incapable de retrouver d'elle-même une croissance robuste. D’où la nécessité de créer un choc durable pour altérer les comportements. C'est ce qu'a fait la BCE en abaissant ses taux d'intérêt et en convaincant les investisseurs que ces taux resteraient très bas très longtemps. L'opération de quantitative easing annoncée le 22 janvier n'a pour objet que d'accentuer ce phénomène et de l'inscrire dans la durée. Dès lors le changement des conditions est certainement là pour rester. L'euro faible et les taux d'intérêt très bas sur toutes les maturités s'observeront en 2015 et au-delà. C'est un élément positif pour la conjoncture économique car la BCE s'engage dans la durée à changer les conditions économiques.

La baisse du prix du pétrole est l'autre élément clé pour imaginer que 2015 marquera effectivement une rupture sur la croissance.

Lors de son intervention devant l’Assemblée nationale, Manuel Valls mettait en avant les différentes actions du gouvernement pour justifier "la reprise". Les réformes entreprises depuis 2012 ont-elles effectivement favorisé cette "possible" reprise ? Dans quelles proportions ?

Nicolas Goetzmann : Manuel Valls cherche bien naturellement à revendiquer la paternité de cette reprise, c’est de bonne guerre. Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, la politique économique s’est divisée en deux phases. La première a été très simple dans l’idée : monter les impôts. Ce qui a provoqué un ralentissement économique et une sous-performance du pays dans la zone euro. Puis, dans une seconde phase, la fameuse politique de l’offre avec la mise en place du CICE et du pacte de responsabilité. Là aussi, et pour faire simple, il s’agit d’alléger le poids qui pèse sur les entreprises de 41 milliards d’euros, et de le faire financer par les ménages. L’objectif est de faire baisser le coût du travail. Fondamentalement, ce choix politique ne sert pas à "produire" de la croissance, il sert à mieux profiter de la croissance. C’est-à-dire que si une entreprise voit sa situation s’améliorer et qu’elle décide d’embaucher, elle sera peut-être amenée à embaucher plus qu’elle ne l’aurait fait auparavant. Avec une telle mesure, on enrichit l’offre, on donne une plus grande chance aux chômeurs de retrouver un emploi lorsque la croissance est de retour.

Concernant la reprise actuelle, il est à noter qu’elle prend place dans l’ensemble de la zone euro. L’idée que les réformes françaises en soient à l’origine est donc un peu exagérée. Mais ces réformes peuvent aider à transformer l’essai.

Philippe Waechter : Le plus important pour favoriser la croissance a été la stabilisation du cadre dans lequel les entreprises vont pouvoir évoluer. Parce qu'il faut que les entreprises et les ménages puissent se projeter vers l'avant et imaginer leur futur. Si le cadre change tout le temps comme cela a pu être le cas ces dernières années il est impossible d'imaginer une reprise.

Dans un environnement global incertain, il faut que chacun ait la capacité de développer et de déployer ses activités et ses talents et pour cela il faut que cela s'inscrive dans le temps. Si, comme le président de la république s'y est engagé, le cadre fiscal et social est stabilisé alors cela sera possible et il y aura toutes les chances de disposer d'un cycle économique plus générateur de revenus et d'emplois.

En outre, je pense que le CICE et le Pacte de responsabilités devraient faciliter l'investissement des entreprises. Tout seuls ils sont peu efficaces mais si les entreprises s'imaginent un futur et qu'elles souhaitent investir alors ces mesures de politique économique auront tout leur sens pour donner de l'ampleur à la reprise.

D’autres facteurs ont-ils également pu contribuer à ce changement de perspectives, comme la baisse du pétrole, ou la baisse des taux d’intérêts ?

Nicolas Goetzmann : Il y a une multitude de facteurs exogènes positifs qui se sont mis en place ces dernières semaines ou ces derniers mois. La très forte baisse du baril de pétrole, dont le prix a été divisé par deux, est un important soutien pour le consommateur. Ce qu’il ne dépense pas en essence sert à autre chose. Il existe par contre des effets négatifs, notamment sur les exportations en destination des pays producteurs, qui sont en baisse.

Par contre, des taux d’intérêt bas n’apportent rien, il s’agit d’ailleurs plutôt d’une mauvaise nouvelle car ils ne font que traduire les faibles anticipations de croissance et d’inflation concernant la Franc et la zone euro. Lorsque ces taux commenceront à se redresser, cela sera le signe que les marchés commencent à croire en une véritable reprise.

La baisse de l’euro peut également être considérée comme un facteur exogène, car la majorité de la baisse en question est à attribuer à la hausse du dollar, et non à la baisse de l’euro. Ce n’est que dans un second temps, lorsque Mario Draghi est intervenu, que l’on a pu effectivement parler de baisse de l’euro. Il s’agit, ici encore, d’une bonne nouvelle,  principalement pour les exportations. Mais les effets seront sans doute un peu différés dans le temps.

Donc, oui, dans l’ensemble, ces différents facteurs participent à l’amélioration de la conjoncture.

Quelle part serait à attribuer aux initiatives européennes, entre le plan Juncker de 315 milliards d’euros et l’assouplissement quantitatif mis en place par la BCE ?

Nicolas Goetzmann : Concernant le plan Juncker, il faudra attendre sa mise en place pour en mesurer les effets.  Les premiers financements de projets devraient commencer à prendre forme à partir de mi 2015, ce qui sera, à ce moment, un soutien effectif de l’activité. Il faudra quand même vérifier les montants engagés parce que les "315 milliards" sont une version optimiste du plan.

Concernant la BCE, je n’ai que peu de doutes, il s’agit du moteur essentiel de cette reprise. Si les facteurs exogènes comme le pétrole ou la hausse du dollar ont pu donner du souffle à l’économie européenne, la décision de la BCE a été une rupture totale avec la politique passée. Depuis le 22 janvier, les entreprises savent que l’économie de la zone euro va être soutenue à hauteur de 1000 milliards d’euros, soit 10% du PIB, sur une période de 2 ans. Depuis l’entrée en crise, aucune action de cette ampleur n’avait été prise. Ce n’est sans doute pas encore suffisant, eu égard au marasme européen, mais cela suffit à améliorer la situation et les perspectives. L’avantage d’un tel plan est qu’il produit rapidement des effets car il s’agit d’abord pour la BCE de donner un signal aux acteurs économiques. Une fois ce signal donné, les anticipations de croissance et d’inflation progressent. La note publiée, relative aux indices PMI, a d’ailleurs clairement mentionné la décision de la BCE comme moteur de l’optimisme des entreprises européennes sur le mois passé. Et pourtant, le plan lui-même ne débutera que le mois prochain.

Philippe Waechter : Le plan Juncker n'est pas encore mis en place mais je ne suis pas certain que ce soit un plan de ce type qui crée une dynamique de rupture. Les entreprises ont peu investi depuis 2011 alors que les conditions financières étaient progressivement devenues très généreuses. Le plan Juncker accentue ce phénomène notamment pour les pays souffrant de la fragmentation financière souvent évoquée par Mario Draghi et c'est tant mieux. Est-ce que pour autant cela créera un élan ? Je ne crois pas sauf si ce plan est dynamisé par de l'investissement public. Je ne suis pas de ceux qui en attendent beaucoup.

Je pense en revanche que la baisse des taux et de l'euro permettront aux acteurs de l'économie de se projeter vers le futur. L'investissement en résultera car sur le plan macroéconomique, la capacité d'imaginer un marché ou un débouché dans le futur est l'élément clé pour comprendre l'investissement. Les conditions financières sont permissives. Dès lors les conditions seront remplies pour que l'investissement devienne un élément clé de la reprise et de son prolongement. Le plan Juncker pourra éventuellement accentuer cette dynamique mais il ne la créera pas.

Finalement, est-il possible de hiérarchiser les causes de cette reprise ? Est-il alors raisonnable de penser que la croissance sera suffisante et durable, afin de permettre, enfin, une baisse du chômage ?

Nicolas Goetzmann : On n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle. Mais il est plus raisonnable de penser que l’amélioration de la conjoncture mettra encore un peu de temps avant de se traduire en création nette d’emplois. Notamment parce que beaucoup d’entreprises sont encore en situation de surcapacité, c’est-à-dire que des salariés sont conservés dans les effectifs alors que le niveau de production ne le justifie pas forcément. Il faudra donc occuper ces salariés avec les nouvelles commandes et les embauches arriveront dans un second temps. Le niveau de confiance des entreprises dans le changement de paradigme européen pourrait cependant avoir un effet assez puissant. Si enfin la voie de la croissance est choisie, elles auront tout intérêt à déployer leurs forces ; investir et embaucher.

La décision de la BCE a été décisive pour soutenir la demande, et les différentes actions prises par le gouvernement, ont désormais un sens. La BCE soutien la croissance et la politique de l’offre, ici la baisse des charges, va permettre d’agrandir la voilure pour l’économie française. C’est-à-dire que le pays va mieux faire qu’il ne l’aurait fait auparavant, à croissance équivalente.

Philippe Waechter : Oui je crois que la longue et triste route que connaissent l'économie de la zone Euro et l'économie de la France depuis le premier trimestre 2011 est en train de s'achever et que l'on peut rentrer dans un cycle plus porteur. La zone euro est passée d'une politique de résorption des déséquilibres à tout prix et à toute allure à une politique de demande. Cela change les perspectives car l'épisode de l'austérité s'est accompagné d'une longue récession en zone euro sans que nécessairement tous les déséquilibres soient résorbés.. Ce n'était sûrement pas la bonne orientation à prendre.

Avec la dynamique de la demande, les ménages retrouvent des degrés de liberté avec la baisse du prix de l'énergie (baisse du prix à la pompe qui redonne du pouvoir d'achat). C'est aussi le cas pour les entreprises notamment dans l'industrie avec des marges plus importantes. Ces entreprises qui aussi profitent de la baisse de l'euro. Chacun va pouvoir arbitrer plus facilement et de façon plus efficace. C'est un changement majeur et il ne faudrait pas qu'une risée de croissance incite les autorités à durcir spontanément la politique budgétaire. Le gouvernement japonais l'a fait avec la hausse de la TVA en avril 2014 et cela a fait basculer l'économie nippone en récession. Evitons ces maladresses et l'économie française sera capable à nouveau de créer des emplois.

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