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Dissuasion nucléaire : la doctrine française a-t-elle besoin d’être mise à jour ?
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Coup de chiffon

En déplacement à Istres, François Hollande se prononcera jeudi 19 février sur l'avenir de l'arsenal nucléaire français. Malgré les questions sur son intérêt réel, il reste un élément incontournable de notre défense mais surtout de notre diplomatie.

Joseph Henrotin

Joseph Henrotin

Joseph Henrotin est rédacteur en chef de Défense & Sécurité Internationale.

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Edouard Valensi

Edouard Valensi

Edouard Valensi est l'auteur de "La dissuasion nucléaire, les terrifiants outils de la paix" aux éditions de l'Harmattan

Il est resté pendant dix ans à la tête de la cellule qui a programmé la force de dissuasion française au sein de la Délégation générale pour l'armement.

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Atlantico : Au regard du contexte international actuel, où les conflits et les menaces sont aussi bien territorialisés que non, la doctrine française de la dissuasion nucléaire est-elle encore adaptée ?

Joseph Henrotin : Oui car les menaces ne s'annulent pas les unes les autres. Elles s'accumulent en une sorte de mille-feuille où viendrait s'ajouter une série de couches. Ce mille-feuille s'accroît par des guerres hybrides, des techno-guérillas ou des variations dans les guerres aériennes qui n'annulent pour autant pas la nécessité d'une dissuasion nucléaire. Toutes les puissances nucléaires mondiales modernisent leurs arsenaux. Les Etats-Unis sont en train de trouver les fonds pour le faire : on parle de plus de 300 milliards de dollars investis pour un nouveau missile balistique intercontinental, un nouveau sous-marin nucléaire, la modernisation des bombes à gravité, la conception d'un nouveau bombardier nucléaire, etc. Une modernisation qui est aussi en cours en Russie et qui est l'une des grandes priorités du Kremlin en matière d'investissement militaire avec le développement d'une nouvelle classe de sous-marins nucléaires qui entre actuellement en service et également des missiles intercontinentaux. En Grande-Bretagne, on observe une volonté politique de remplacer les quatre sous-marins lanceurs d'engins nucléaires. Dans une plus grande mesure, la Chine est aujourd'hui le seul pays à accoître sa capacité nucléaire. La dissuasion nucléaire française est donc encore tout à fait adaptée car il faut continuer à dissuader tous azimuts, sachant que les autres cherchent aussi à nous dissuader. Si l'on veut éviter un chantage nucléaire il faut être nous-même équipé.

Il est évident que le nucléaire ne répond pas à toutes les menaces mais il n'a jamais été question qu'il soit adapté à tous les maux stratégiques. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il soit inadapté. Son utilisation s'articule toujours autour de trois pilliers qui n'ont pas besoin d'être remis en question : si la France est attaquée sur ses intérêts vitaux par une puissance nucléaire, tout en sachant qu'il est préférable de rester vague sur son utlisation pour mieux dissuader, seul le Président peut la décider, et enfin, elle ne peut être que d'ordre stratégique et non tactique. Les discours des chefs d'Etats successifs ne sont que des discours d'adaptation à la marge, ponctuelle, qui ne reviennent jamais sur ces pilliers qui perdurent depuis le début des années 1960. Aujourd'hui, on ne va pas combattre l'Etat islamique ou le jeune des cités qui fait une bêtise avec le nucléaire, mais il n'en a jamais été question.

Aujourd'hui, des voix s'élèvent pour un désarmement de l'arsenal nucléaire français. Que peut-on en penser ?

Edouard Valensi : Aucune perspective de désarmement ne se dessine. Ainsi, la France n’a pas le choix. Il lui faut conserver des forces nucléaires crédibles. Son organisation de défense le demande car c’est autour de l’atome que s’organisent ses armées. C’est ce que constate le Sénat : "L’existence de la force de dissuasion structure la quasi-totalité de l’outil de défense français. L’existence de la dissuasion nucléaire a permis de rehausser le niveau capacitaire et de renforcer la cohérence de notre outil de défense. Le fait est qu’aujourd’hui, sans les forces mettant en œuvre la dissuasion nucléaire, nos armées ne seraient vraisemblablement pas capables de repousser ou de dissuader une agression majeure d’origine étatique."

Cette force est dimensionnée selon un principe de stricte suffisance. Par des initiatives unilatérales, ne subsiste qu’un noyau nucléaire. Les sites d’essais ont été démantelés tout comme les usines de production de matières fossiles militaires. La France déclare en toute transparence le nombre de ses têtes nucléaires.

Doit- elle poursuivre, désarmer, puisque aucun risque majeur n’est à redouter dans le moment, tout en conservant la possibilité de réarmer en cas de malheur? L’initiative serait exemplaire. Malheureusement, ce va-et-vient est impossible. Comme il a été montré tout au long de ces pages, les forces stratégiques françaises résultent d’une prodigieuse conjonction de talents, et, sur des dizaines d’années, d’une succession continue d’investissements. S’il fallait repartir de rien, des dizaines d’années seraient à nouveau nécessaires pour reconstituer cette force.

Aussi on ne peut pas aller plus loin. Et, puisque la France a pris de l’avance dans une logique globale de réduction de la chaîne nucléaire, et qu’elle n’a pas été imitée, il n’y a pas lieu de prendre en compte ses têtes restantes, dans un éventuel processus de négociation multilatérale de désarmement nucléaire avant qu’elle n’ait été rejointe.

Quelles sont les preuves de l'efficacité (ou de l'intérêt) d'avoir un arsenal nucléaire dissuasif ?

Edouard Valensi : La force de frappe du général de Gaulle nous a protégés de la menace des soviétiques. On sait aujourd'hui qu'en cas d'attaque des forces de Varsovie, le parapluie nucléaire américain serait resté fermé. On en a la preuve, puisqu'en 1977, le président Carter l'a avoué par inadvertance au Chancelier allemand Schmid. Le Général de Gaulle l'avait d'ailleurs flairé après la crise de Cuba en 1962 : si les américains étaient aussi mous dans leur réponse face à une menace qui les concernait directement, ils ne défendraient sans doute pas plus l'Europe.

Pendant toute la période de la Guerre Froide, l'arme nucléaire a assuré notre paix. L'Europe a d'ailleurs été l'une des seules zones du monde qui n'en a pas connu. L'incursion récente d'un bombardier nucléaire russe au dessus de la Manche n'est certainement pas un vol anodin. C'est une menace nucléaire explicite, un commencement vers une montée en puissance des menaces. Grâce à la force de dissuasion, on a la possibilité aujourd'hui de répondre aux russes et de mettre le hola à l'amorce d'une escalade nucléaire. Et je crois que dans les discussions entre Mme Merkel et M Poutine, c'est un non-dit que les collaborateurs de Poutine et que lui-même ne pouvaient ignorer.

La force de dissuasion a contraint et permis l'armée française, au sortir de la guerre d'Algérie, à sortir de la modernité. A terme, elle a donné aux forces françaises une raison d'exister et une fierté nécessaire qui lui permet aujourd'hui d'être une force opérationnelle très supérieure aux autres pays européens, et qui lui permet de s'engager en Afrique par exemple.

Quel poids politique ou diplomatique confère-t-elle au pays ?

Edouard Valensi : Cette force de dissuasion renforce notre position au sein de l'Onu. Les difficultés actuelles montrent que si nous avons des alliés qui disposent de l'arme nucléaire, nous n'avons pas pour autant les mêmes intérêts, d'où la nécessité d'une indépendance nucléaire. Nous pouvons donc exister grâce à cette arme nucléaire en temps que force diplomatique.

Si la France s'en débarrassait, il y a fort à parier qu'elle ne serait pas suivie. La Chine, la Corée, l'Iran n'hésiteraient pas au contraire à profiter d'une situation où un pays perd un tel poids diplomatique. Il faut être réaliste : certains pays son surarmés. Il est bien évidemment possible de se poser la question du surarmement, et d'une force nucléaire suffisante, qui rentre dans leur doctrine de défense mais sans aller au-delà. Mais c'est ce que nous faisons déjà en France, nous ne sommes pas surarmés.

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