Présidence de France Télévisions : le CSA tenté par un retour à l'opacité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Media
Présidence de France Télévisions : le CSA tenté par un retour à l'opacité
©Reuters

L'art du flou

Au CSA, l'opacité dans la nomination du président de France Télévisions semble une tradition bien ancrée. Malgré les promesses, les règles pour la désignation de l'heureux élu sont si peu lisibles que les bonnes intentions de transparence semblent déjà bien loin.

Francis Tellé

Francis Tellé

Francis Tellé écrit sous pseudonyme et travaille dans les médias depuis une dizaine d'années. Bien informé sur les coulisses de la nomination du futur Président de France Télévisions, il détricote les stratégies d'influence mises en place en coulisse par les nombreux impétrants.

Voir la bio »

Sous l'autorité de son Président, Olivier Schrameck, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel vient de décider de la façon dont le prochain président de France Télévisions sera nommé. Ce n'est pas rien, puisqu'on parle quand même du futur dirigeant d'un groupe public de plus de 10 000 employés, doté d'un budget annuel d'environ 3 milliards d'euros. Sans parler de l'arme de communication massive qu'il représente.

A la première lecture du communiqué de presse rendu public le 4 février dernier, la procédure mise en place semble relativement équilibrée. Une lecture plus attentive, plus politique, montre combien les sages du CSA ont excellé dans l'exercice difficile de satisfaire tout le monde, autant ceux qui aspiraient à l'instauration d'un système démocratique et transparent que ceux qui souhaitaient pouvoir œuvrer en toute opacité dans le Paris influent. Une procédure fourre-tout qui ne consacre qu'une seule chose : l'habileté d'Olivier Schrameck, président du CSA et équilibriste hors-pair.

Pourtant concluant, le cas Mathieu Gallet, qui a pris les rênes de Radio France en février 2014 à l'issue d'une sélection transparente saluée unanimement, ne fera pas ricochet. Olivier Schrameck  justifie pour le Monde les modifications apportées au modus operandi en vigueur jusqu'à présent par sa volonté de "ne pas adopter une procédure qui dissuaderait des candidats ayant des responsabilités dans le secteur privé". Autrement dit, ne pas faire de publicité autour de l'affaire, c'est s'assurer que des grands patrons du privé candidateront, ne craignant pas pour leur poste actuel.

Concrètement,  "le conseil établira une liste restreinte de candidats qu'il auditionnera" mais cette liste ne sera rendue publique qu'à "la condition qu'aucun des candidats retenus ne s'y oppose auprès du président". Qu'un seul d'entre eux refuse que son nom soit dévoilé, et c'est l'ensemble de la liste qui sera tenue secrète. Une hypothèse qui, soyons réaliste, est plus que probable. Le CSA, se déchargeant de la responsabilité de choisir entre une procédure ouverte ou fermée, laisse donc aux candidats le soin le faire. Où a-t-on vu que des postulants à un emploi choisissaient à la place de leur employeur les modalités de leur entretien d'embauche ? Dans toutes les autres médias à capitaux publics, cet appel à candidatures est ouvert (cf. Radio France, Public Sénat, LCP...). Les candidats acceptent cette règle ou ne le sont pas. Même quand on regarde à l'étranger, c'est d'ailleurs (presque) la même chose pour la BBC par exemple, où il faut candidater publiquement pour en prendre la présidence.

Une opacité stérile qui plus est : on voit mal comment les noms des candidats ne fuiteraient pas dans la presse. Les gens parlent. Les candidats potentiels sont bien connus du microcosme, et on prête même des actes de candidatures à ceux qui n'y pensent pas encore en se rasant.

Si l'on décortique un peu tout ça, on remarque également que le CSA ne fixe pas de nombre plancher de candidats alors qu'il est seul habilité à accepter ou non une candidature. Autrement dit, un candidat pré-rejeté par le CSA ne pourra plus être candidat. Olivier Schrameck veut se garder la liberté d'en écarter un ou plusieurs des auditions finales. Tout juste se contente-t-il d'employer le pluriel, c'est-à-dire qu'un duo de prétendants au poste pourrait très bien faire l'affaire, et l'on se retrouverait alors avec un vainqueur tout désigné et un « idiot utile », destiné à faire acte de présence. Ajoutons à cela que le CSA se réserve un délai d'un mois pour trancher "à compter du mercredi 22 avril et avant le vendredi 22 mai",  et l'impression que tout est fait pour entretenir le flou est totale.

Finalement, derrière le sentiment que les choses sont bien organisées en toute transparence, on ne sait donc pas si le nom des candidats sera rendu public, on ne sait pas combien ils seront à s'affronter et on ne sait pas quand le vainqueur sera désigné. Dans ces conditions, à quoi bon subtiliser le fait du prince au président de la République (élu) si c'est pour offrir aux membres du CSA (nommés) les mêmes prérogatives ?

Olivier Schrameck, celui-la même qui affirmait qu'il "n'aurait jamais accepté de servir d'auxiliaire à une ambition de second ordre" dans un papier de Libération publié en 1998, aurait tout à gagner à construire un CSA tirant sa puissance politique de son irréprochable transparence. Mais avant de le vouer gémonies, reconnaissons-lui une chose : sa finesse de stratège. Sa procédure de nomination lui assure le regard bienveillant des observateurs tout en garantissant aux prétendants au poste la plus grande opacité. Sans avoir à en endosser la responsabilité, il s'arroge la liberté de pouvoir intriguer tranquillement pour sortir du chapeau le nom qu'il voudra. Brillant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !