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De la fierté (ou pas ?) d’être socialiste : quand l’idée que les électeurs se font d’eux-mêmes détermine le vote
©Flickr

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Si François Hollande ne pouvait plus compter que sur un dernier carré de soutiens avant les attentats de janvier, la gestion qu'il a eu des événements a redoré son blason, et par là-même, rendu aux socialistes la fierté d'appartenir à ce camp.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Cet article est une mise à jour d'une précédente publication.

Source : sondage Ifop

"Socialistes, et fiers de l’être", ont titré plusieurs députés dans une tribune publiée ce mardi 17 février. Une volonté d’afficher leur appartenance politique qui fait écho au regain de popularité de l’exécutif à la suite des attentats de janvier : au milieu du mois 40 % des Français jugeaient favorablement l’action du Président, et 61 % portaient ce jugement sur Valls.

Atlantico : Comment expliquer que les électeurs de François Hollande soient passés d’un procès en incompétence de celui-ci - les accusateurs se trouvaient en grande partie dans ses propres rangs -  pour redevenir « fiers » de leur appartenance au PS ?

Jean Petaux : Incontestablement les événements survenus depuis le début de l’année 2015 ont amené une remontée sensible de la popularité de François Hollande au sein de son électorat traditionnel. D’une certaine façon une partie de celles et ceux qui ont voté pour lui en 2012 ont sans doute eu le sentiment, à partir de janvier 2015 d’être quelque peu réhabilités dans leur choix. L’adhésion politique procède de nombreux critères complexes, parfois même contradictoires entre eux. Mais il en est un  qui constitue presque un invariant : l’estime portée à telle ou telle personnalité politique ne doit pas être contradictoire avec l’estime de soi. En d’autres termes il est pratiquement impossible de soutenir un acteur politique très majoritairement considéré comme inestimable dans l’opinion publique. Persister à apprécier positivement un leader politique minoritairement apprécié revient à ne pas s’aimer soi-même. C’est ce processus qui explique sans doute la désaffection profonde et massive qui peut frapper une femme ou un homme public. Cela porte un nom : la honte. C’est ainsi que les soutiens très nombreux de Dominique Strauss-Kahn jusqu’à un certain matin new-yorkais, le 14 mai 2011 ont eu absolument honte d’avoir pu faire confiance à un tel personnage. La question ne se pose plus aujourd’hui mais on imagine ce qu’ont pu rappeler là encore, comme souvenir honteux d’avoir apprécié DSK, les trois jours d’audition de ce dernier au tribunal correctionnel de Lille, jusqu’à hier.

Toute chose égale par ailleurs, une partie majoritaire des électeurs de François Hollande qui l’ont choisi en mai 2012, ont sans doute ressenti une forme de honte à le soutenir en 2013 ou 2014. Le comportement du président de la République depuis le 7 janvier 2015, le soutien massif qu’il a soudainement suscité dans les circonstances tragiques vécues par le pays… tous ces éléments ont permis à nombre d’électeurs "hollandistes" de renouer avec une certaine fierté de l’avoir choisi en 2012. Ils ont retrouvé leur propre estime en lui apportant, eux électeurs de gauche, leur propre soutien.

Ce regain de fierté est-il durable pour autant, ou est-il trop dépendant de l’actualité, volatile par nature ?

Dire que le phénomène est durable et qu’il va sédimenter un attachement indéfectible serait non seulement audacieux mais bien plus sûrement stupide. De nos jours, dans une société très majoritairement compassionnelle ou ce qui domine est la "liquidité" (pour reprendre une terminologie chère à Zigmunt Bauman) rien n’est figé et durable. Autrement dit ce qui peut passer aujourd’hui pour un retour en grâce de François Hollande dans l’opinion de gauche peut très bien, et à nouveau, fondre comme neige au soleil demain.

N’est-ce pas aussi le problème de la droite ? Son électorat est-il lui aussi en manque de "fierté" ?

Je pense que dans les formules "droite décomplexée", "droite forte", résonnait quelque chose comme une recherche de fierté justement. Un "désir de reconnaissance" en affichant publiquement ses idées quand, jadis ou hier, existait une sorte d’interdit à exprimer ces positions et ces croyances politiques. Même si cette "interdiction" relevait autant du "sentiment  ressenti" que d’un constat objectivé. Seulement on sait ce qu’il est advenu aussi des tenants de cette "droite forte" : associés à l’ancienne direction de l’UMP autour de Jean-François Copé, ils ont été plus ou moins éclaboussés par les derniers scandales qui ont frappé leur parti. Désormais c’est le FN qui apparaît clairement "fier de lui", de ses idées et de son "pas de porte". Nicolas Sarkozy peine par ailleurs à incarner un leader à même de galvaniser ses troupes et de leur redonner l’envie de se battre, de militer sur le terrain. Il a certes conservé une "vieille garde de Grognards" fière de ses engagements et de son soutien indéfectible, mais cela ne suffit pas à remobiliser un électorat en phase "d’abandonnite" aigüe qui entend de plus en plus fortement le chant des Sirènes frontistes, Pisinoé (celle qui persuade) et Leucosie (la blanche)…

source : BVA

Selon que l’électorat est de gauche ou de droite, quel visage cette fierté prend-elle ? Répond-elle aux mêmes exigences, à la même histoire politique ?

Il y a des traits communs et de réelles différences.

Dans l’histoire politique contemporaine de la gauche, la fierté me semble résider dans les valeurs de progrès, de conquêtes sociales et de luttes contre le fascisme. Ces termes sont forcément imprécis et constituent autant de "mots valises". Ils sont à la fois des représentations symboliques et des reconstructions. Par progrès il faut entendre "l’esprit de 1789", de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen dont les sympathisants de gauche ne retiennent que quelques articles, comme le 1er par exemple sur l’égalité et pas ceux qui sont clairement d’inspiration libérale économique. S’ajoutent à cela, la Révolution de 1848 ou pour d’autres la Commune de Paris en 1871. Les figures de Condorcet, de Victor Hugo, de Blanqui et de Schœlcher vont participer du Panthéon de la fierté de cette gauche-là. Pour ce qui concerne les conquêtes sociales, de Jaures qui les imagine à Blum qui les réalise, en terminant par Mitterrand qui fait voter les dernières grandes avancées sur ce plan, la gauche se dote d’un catalogue de mesures à destination de la "classe ouvrière" qui constituent son "Livre d’Or". Elle s’arroge même les "lois Ferry" de 1881-1882, alors que Jules Ferry n’est pas de gauche, d’une part, et  que l’école primaire existe en France depuis Guizot et la loi de 1833 sur les "mairies-écoles". Autrement dit, il arrive que la gauche s’approprie des textes qui n’émanent pas de ses rangs… Dernier élément de la fierté de la gauche : l’anti-fascisme. Là encore il y a dans ce "fourre-tout" aussi bien de "l’internationalisme" (solidarité avec les Républicains espagnols en 1936-39 ; avec les Chiliens en 1973 ; avec les Argentins en 1978 ; etc.) mais également du "franco-français" (la Résistance naturellement, ou encore le combat contre l’OAS après 1961 par exemple, sans parler de la "pantomime" de mai 68). Seulement, là encore, cette fierté d’une gauche par exemple tiers-mondiste (anti-coloniale et anti-impérialiste) ou aujourd’hui alter-mondialiste, est loin d’être un "corpus" idéologiquement pur. Parce que cette même gauche qui lutte contre le fascisme totalitaire, se révèle empêtrée dans sa dénonciation du stalinisme et du goulag, ou celle qui défile en 1968 aux cris de "Paix au Vietnam" a bien du mal à gérer les "boat-people" en 1979 et surtout, pire, le génocide Khmer rouge de 1975. Bref, la fierté de la gauche n’est pas de tout repos.

Pour ce qui est de la droite, les grands mythes fondateurs d’une fierté porteuse d’engagement et de mobilisation sont la grandeur et le rayonnement de la France, la défense et la force de la liberté et la capacité à entreprendre. Dans cette perspective il est clair que le général de Gaulle participe pleinement de ces trois dimensions et c’est sans doute la raison pour laquelle il est apparu comme un véritable leader charismatique pour un électorat de droite en quête de chef. C’est d’ailleurs, parallèlement, et dans une même violence, ce qui a pu expliquer la haine qu’il a su inspirer à celles et à ceux qui lui ont reproché sa "politique d’abandon" de l’Algérie française par exemple. Parce qu’à travers ce choix de l’indépendance algérienne ; par la politique de décolonisation qu’il a conduite à son terme ; ceux de droite qui condamnaient cette politique gaullienne ne voyaient pas autre chose qu’un renoncement et une capitulation de la part de "l’homme du 18 juin" qui incarnait alors, en 1940, le "refus du désastre" et surtout "la flamme de la Résistance qui ne devait pas s’éteindre". La grandeur de la France c’est aussi, pour un électorat de droite, l’autre héritage de la Révolution de 1789 : celui de la liberté aussi bien philosophique qu’économique. L’inspiration libérale d’un Benjamin Constant, d’un Tocqueville rejoint justement celle de Guizot ou, bien plus tard, celle des entrepreneurs soutenus par Poincaré par exemple. Les années Pompidou, avec ce mélange de "colbertisme" et "d’affairisme" sont identifiées comme des années heureuses au cours desquelles la France se confronte aux grands défis de la modernité. Voilà la fierté française du point de vue d’un électorat de droite qui s’approprie aussi bien le Concorde que la bombe H (les deux nés sous de Gaulle et qui s’affirment sous Pompidou).

Dans quelles circonstances le sentiment de fierté au sein de l’électorat est-il essentiel ? A quelles conditions n’est-il que secondaire ?

Globalement quand il faut faire face à un péril extérieur ou à une menace intérieure appréhendés, l’un et l’autre phénomène, comme majeurs. Mais il peut aussi exister une "fierté" d’être ensemble dans des circonstances heureuses ou réputées telles qui n’ont, sur le fond, aucune espèce d’importance (la victoire lors de la Coupe du monde de football le 12 juillet 1998 par exemple) mais qui créent un climat d’euphorie collective exceptionnelle avec une forme de mobilisation générale où toutes les différences sociales, ethniques, politiques, culturelles, économiques, momentanément, s’effacent au profit d’un "peuple en corps" comme dirait Jean-Jacques Rousseau qui fait (presque) entendre sa "volonté générale" : "nous ne formons qu’un seul peuple, uni et fier d’être ce peuple". Il n’y a là rien de spécifique à la France d’ailleurs, mais, pour la France, l’osmose et la symbiose sont d’autant plus spectaculaires qu’en temps ordinaires la société, passionnée par la politique, est souvent parcourue de conflits, de querelles, de débats sans fin, jusqu’et y compris sur le "sexe des anges". Alors finalement ce sentiment de fierté n’est exceptionnel que lorsque les circonstances le sont elles aussi et il devient résiduel lorsque l’essentiel lui-même devient le résidu. La majeure partie du temps.

Peut-on aller jusqu’à opérer une différenciation selon les sexes ?

Je n’ai pas de réponse à proposer sur ce point. Je fais partie de ceux qui considèrent qu’à mettre le "genre" à toutes les sauces et à le considérer comme l’alpha et l’oméga de tous les phénomènes psycho-sociaux, politiques ou culturels on finit par ne plus rien démontrer… Donc je me méfie beaucoup de ces tentations consistant à vouloir différencier les comportements en fonction des sexes. Est-ce que les femmes sont plus ou moins fières que les hommes ? De quoi les unes et les autres sont-elles ou sont-ils les plus fièr.e.s ? Voilà de bien belles questions de recherche...

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