Antisémitisme : ce qu’en perçoivent vraiment les Français juifs au quotidien<!-- --> | Atlantico.fr
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Les actes antisémites ont doublé en 2014
Les actes antisémites ont doublé en 2014
©Reuters

Violences et préjugés

En ce début 2015, la tension communautaire a rarement été aussi forte en France. Et les juifs en font les frais, tant le nombre d'actes antisémites explosent depuis l'an dernier. C'est d'ailleurs ce qu'a souhaité montrer un reporter du journal israélien Haaretz en se filmant à Paris, en train de marcher avec une kippa, essuyant insultes et crachats.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Il y a deux semaines, dans un article publié sur Atlantico le 28 janvier 2015, Guylain Chevrier nous donnait quelques chiffres qui avaient de quoi inquiéter. Ceux-ci concernaient l’explosion des actes à caractère antisémites en France.Rappelons que sur toute l’année dernière, 851 actes de ce type, actions ou menaces, étaient enregistrés. Soit plus du double que ce qui avait été constaté en 2013, année pendant laquelle il y en avait, déjà, eu 423 de recensés. Des chiffres fiables, tirés des statistiques annuelles du Crif qui reprennent celles du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), elles-mêmes basées sur des données du ministère de l'Intérieur.

>>> A lire sur Atlantico : Les actes antisémites multipliés par 2 en un an : radiographie de leur nature

En rentrant dans les détails, on s’aperçoit que la hausse la plus spectaculaire concerne avant tout les violences au sens propre du terme, c’est-à-dire les agressions, les incendies, les dégradations ou le vandalisme. 241 actes violents ont été recensés en 2014, soit + 130 % en un an. Parmi ceux-ci, certains fait divers on fait du bruit, comme l’histoire de ce couple de Créteil, séquestré et battu par des cambrioleurs, puis la femme violée, au motif qu’ils avaient de l’argent parce qu’ils étaient juifs. Et dans ces impressionnantes statistiques, on ne compte même pas les victimes de l’attentat à l’Hyper Casher de janvier 2015 … En France, la situation se dégrade pour les juifs depuis les années 2000, période où, à la faveur de la seconde intifada, l’antisémitisme est revenu avec force dans notre pays. Une situation qui s’est traduite par le départ de 7000 d’entre eux qui ont fait leur "alya" vers Israël en 2014.

Pour dénoncer ce climat, Zvika Klein, un journaliste du quotidien Haaretz s’est livré à une expérience : se filmer pendant 10h à marcher dans Paris avec une kippa sur la tête. Résultats : des insultes et quelques crachats. Des agressions que certains juifs vivent au quotidien.

>>> A lire sur Atlantico : Insultes et menaces : dix heures avec une kippa dans les rues de Paris

Atlantico : Une vidéo du quotidien israélien Haaretz montre un reporter qui se fait filmer en marchant dans les rues de Paris en portant la kippa. Il se fait insulter et cracher dessus à plusieurs reprises. Dans quelle mesure cette vidéo représente-t-elle le quotidien de certains juifs français ? Quelle différence entre ceux qui portent des signes religieux dans la rue et ceux qui ne le font pas ?

Hugues Serraf : Je pense que cette vidéo ne représente pas "le" quotidien des juifs français, mais celui d’une partie des juifs de France. Personnellement, je tends à penser que l’immense majorité des juifs de France sont plutôt sécularisés et ne portent pas la kippa. Après, il y en a une partie pour qui c’est plus dur, ceux que l’on identifie directement comme étant juifs. Cela pose une question importante : dans un pays démocratique comme la France, a-t-on le droit d’apparaître tel que l’on est sans prendre le risque de vivre ce genre de choses ? C’était le cas il y a quelques années et ce ne l’est plus dans certains quartiers du pays. Après, je ne serai pas catégorique en disant que cette vidéo représente le quotidien de tous les juifs français.

S’il y a des gens qui peuvent être repérés comme juifs par des antisémites, ils ne devraient pas être obligés de changer d’apparence pour autant. Pourtant, si quelqu’un met une kippa parce qu’il le souhaite, et qu’il va à la synagogue, il peut se faire agresser en chemin. Cela me fait d’ailleurs penser à ces manifestations cet été, et à ce qu’il s’est passé à la synagogue de la rue de la Roquette à Paris, laquelle a été attaquée. Cependant, on ne peut pas dire aux gens de dissimuler le fait d’être juif, rappelons que la dernière fois que cela est arrivé en France, c’était pendant l’Occupation. 

La vidéo de Haaretz ne montre que les agressions et pas les moments où tout va bien. Celles-ci ont plutôt lieu dans des quartiers dits "sensibles". Y a-t-il aujourd’hui  des lieux plus dangereux que d’autres pour les juifs ?

Il n’y a pas de mystère, les endroits les plus dangereux pour les juifs sont ceux où il y a la plus grande concentration de gens qui ont des préjugés antisémites. Ces endroits sont, en général, victimes d’une diffusion d’idées antisémites assez débridée. C’est compliqué, car quand on dit ces choses-là, on marche sur des œufs. Après, même si je prends des précautions, c’est vrai qu’il existe un antisémitisme culturel dans une partie du monde arabe, et cela peut rejaillir sur certains quartiers en France. Mais il faut, cependant, dire que quand un juif se balade dans ces quartiers et qu’il est agressé, ce n’est pas par la totalité des gens qui l’entourent mais par une partie. Dans ces quartiers en question, il y a certes une prévalence de ce discours, mais il n’est pas exprimé par la majorité des gens. Il y a ce préjugé qui s’exprime, parfois de manière agressive, parfois non, et qui est parfois inexistant. Dans l’histoire de l’Algérie, par exemple, il y avait des périodes où la cohabitation entre juifs et musulmans se passaient bien, d’autres ou cela allait mal. Après, ce préjugé est culturel est compliqué, car dans ces quartiers, des préjugés ils en existent plein, contre plein de gens différents.

Personnellement, j’ai habité pendant des années dans le haut de la rue Oberkampf à Paris, près des quartiers de Belleville et de Ménilmontant, qui sont très mélangés. Là-bas, il y a beaucoup de juifs religieux de la communauté Loubavitch, vêtus de redingotes et de chapeaux, mais il y a aussi beaucoup d’immigrés maghrébins ou chinois, pourtant je n’avais pas du tout l’impression qu’il y avait beaucoup de tensions. D’une manière générale, je pense que dans Paris ces violences ne sont pas flagrantes. D’ailleurs, je pense que cette vidéo, a été tournée dans des quartiers qui sont moins mélangés. Selon moi, les quartiers les plus mélangés sont ceux où il y a moins de heurts.

A ce sujet, y a-t-il des anecdotes que vous entendez qui reviennent fréquemment ?

Personnellement, je ne suis pas confronté à ce type d’agressions, car je ne vis pas dans les conditions et les endroits propices à cela. J’habite Paris, et parfois à Marseille, dans des quartiers centraux. Mais oui, parfois j’entends certaines personnes expliquer qu’elles ont un quotidien difficile. Cela se manifeste, par exemple, dans le fait que leurs enfants doivent quitter les écoles publiques car elles deviennent dangereuses, parce qu’on les harcèle, et qu’ils ne peuvent grandir et s’épanouir avec ces problèmes. Mais cela fait des années que ça existe, il y a de moins en moins d’enfants juifs dans les écoles publiques. En Seine Saint Denis il n’y en a plus, et s’il en reste c’est anecdotique. Et là, je ne parle pas de bourgeois qui souhaitent mettre leurs enfants dans le privé, je parle de gens banals qui peuvent habiter des quartiers défavorisés.

Pour ce qui est de la vidéo de Haaretz où on voit le journaliste se faire cracher dessus, ces actes sont une réalité. Mais cette vidéo a été tournée pendant 10 heures et on ne voit qu’un clip de quelques minutes, donc je ne sais pas si le montage condense seulement les moments les plus marquants. J’ai entendu des témoignages de juifs à qui on adressait des réflexions, ou qui ressentaient simplement une hostilité ambiante, des regards de travers. Dans la vidéo, on a un peu l’impression que les agresseurs sont surpris qu’un juif passe devant eux, qu’il ne devrait pas être là. S’ils ont ce sentiment, c’est vraiment parce qu’ils pensent qu’il ne devrait pas être là. D’ailleurs j’imagine que les juifs ne vont pas dans ces quartiers. On est face à du pur antisémitisme, du racisme pur, qui pourrait d’ailleurs exister contre d’autres communautés. Par contre, je pense qu’il y a vraiment des expériences différentes selon les personnes, et qu’on ne peut généraliser.

Pensez-vous que ces agressions dissuadent certaines personne de porter une kippa, par exemple ?

Oui, certaines personnes font attention. Il y en a qui ne portent plus de kippa, ou qui mettent une casquette dessus. Je vais vous donner un exemple précis, mes filles ne sont pas juives, leur mère non plus, mais elles portent une étoile de David comme bijoux parce qu’elles trouvent ça joli, et personnellement je leur demande que ce ne soit pas visible. Je trouve ça absurde quand je leur en parle, mais je ne veux pas qu’il leur arrive quoique ce soit ou qu’elles tombent sur le genre de personne que rencontre le reporter de Haaretz. Certaines personnes réagissent de cette façon, en évitant certains coins ou en ne portant pas de signes distinctifs.

A ce niveau-là, pensez-vous que la situation des juifs de France a évolué ? A partir de quand les choses ont commencé à se gâter ?

Cela n’a pas toujours été comme ça. Je prends toujours l’exemple des synagogues, qui étaient auparavant des lieux ouverts à l’instar des églises. Quand on passe devant une belle église, on peut avoir envie d’y rentrer pour visiter, or dans les synagogues ce n’est plus possible et je trouve ça profondément gênant. En même temps, il est parfaitement légitime et raisonnable de protéger ces lieux, mais ça reste, au fond, scandaleux qu’on y soit obligé. Je dirais qu’il y a 20 ou 25 ans la situation était peut-être meilleure. Mais cela vaut aussi pour les quartiers dits "sensibles", une ville comme Sarcelles avait, auparavant, une réputation de ville où vivaient beaucoup de communautés différentes en bonne intelligence, ce qui n’est plus vraiment le cas.

Selon vous quelles sont les raisons de cette évolution ? Quelle importance revêt le conflit israélo-palestinien ?

Je pense qu’aujourd’hui on fait face une présence beaucoup plus forte du fait religieux. On assiste à une radicalisation qui n’existait pas avant. Gilles Kepel a écrit "La Revanche de Dieu" à ce sujet. Je pense que le développement du radicalisme religieux dans le monde arabe fait que la France en subit le ressac.On parle souvent des racines "israélo-palestiniennes" de l’antisémitisme. J’ai plutôt tendance à penser que cela peut être un élément, mais seulement un seul parmi d’autres. Pour moi, c’est un prétexte. Quand un terroriste tue des juifs, mais s’en prend aussi à des caricaturistes, on se dit que la référence au conflit israélo-palestinien est loin. Selon moi, il s’agit plutôt une d’affaire de vision du monde fondée sur une certaine compréhension de l’islam, qui n’est pas universelle. Cette dimension s’insère dans quelque chose de plus vaste, l’antisémitisme n’est pas apparu en 1948 à la création d’Israël, il a des racines historiques et religieuses qui remontent à beaucoup plus longtemps, notamment au sein du monde arabo-musulman .

Les affaires, comme celle de la mort d’Ilan Halimi ou du cambriolage suivi d’un viol à Créteil, étaient plutôt motivées par des préjugés antisémites standards que par des références à l’Etat d’Israël. Les criminels venaient parce qu’ils pensaient que les juifs sont riches. Mais pour moi, il s’agit véritablement d’une situation complexe.

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