Qu’est-ce qui sépare encore le FN d’un parti comme les autres dans l’esprit des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le FN est-il un parti comme les autres
Le FN est-il un parti comme les autres
©Reuters

Dernière barrière

Malgré la progression continue du Front national, une frange de l'électorat reste toujours farouchement opposée à ce parti. La formation de Marine Le Pen, a encore du mal à se défaire d'une mauvaise image qu'elle peine à corriger et qui constitue sans doute le dernier obstacle – certes, de taille – pour conquérir le vote d'électeurs modérés.

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi est directeur général adjoint de l'Ifop et directeur du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise.

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Atlantico : Selon un sondage TNS-Sofres, 43% des électeurs de l'UMP sont favorables à un "accord électoral national" avec le FN. Seuls 38% sont opposés à tout rapprochement (et 8% veulent "combattre" ce parti). Et selon Odoxa, ce ne sont pas moins de 42% des électeurs de Nicolas Sarkozy en 2012 qui seraient prêts à voter FN. Le parti de Marine Le Pen est-il en train de devenir "normal", pouvant être tentant électoralement dans l'esprit des Français ? Selon les sondages qualitatifs, quelles sont les raisons qui retiennent encore ceux qui n'ont jamais voté pour le FN – et qui n'envisagent pas de le faire – d'envisager un jour le vote frontiste, a fortiori s'ils en partagent certaines valeurs ?

Frédéric Dabi : Quand on voit les évolutions au gré de nos enquêtes d'opinion, je dirais déjà que c'est une question qui se pose de moins en moins. Un vote FN au premier tour va maintenant de soi et en septembre dernier, dans un sondage Ifop le Figaro, une majorité de Français (54%) dans une configuration de second tour déclarait choisir Marine Le Pen plutôt que François Hollande.

Pour autant, il y a bien sûr des électeurs encore totalement rétifs au Front national. Cela se voit déjà dans des enquêtes quantitatives : malgré la dynamique dont elle bénéficie, Marine Le Pen est la personnalité qui pâtit de la mauvaise cote de popularité dans l'opinion (66% de mauvaises opinions dans le tableau de Bord Ifop / Fiducial pour Paris Match et Sud radio et c'est même celle qui a le plus de "très mauvaises" opinions). Sa personnalité suscite un très fort rejet dans une fraction non négligeable de la population. Après, le portrait de l'électeur anti-FN type est d'abord un électeur plutôt à gauche – car malgré l'existence d'un "gaucho-lepénisme", l'électorat FN demeure majoritairement ancré à droite – urbain et intégré.

La première raison du rejet, notamment dans les profils plutôt classés à gauche, c'est le rapprochement historique avec l'extrême droite. Les fondateurs et les origines du FN renvoient encore à la Collaboration et au régime de Vichy. Mais il y a aussi un rejet à l’égard de l’offre programmatique économique du FN où l'on retrouve plus souvent les sympathisants UMP. Malgré les rapprochements prétendus entre UMP et FN sur les questions identitaires et sécuritaires, les électorats UMP et frontistes demeurent très éloignés sur l'économie, le rapport à l'Europe, l'euro, la réforme du modèle social français. De là se dessine une compétition UMP/FN sur la question de la clientèle électorale que constitue, pour l'UMP, les personnes âgées de plus de 65 ans, lesquelles demeurent très favorables à l'UMP par rapport au FN (enquête JDD sur le souhait de victoire aux élections départementales : le FN obtient 18% parmi les plus de 65 ans, l’UMP 46%). C'est cet électorat qui craint le plus le développement des propositions du FN sur l'économie.

L'autre point, c'est la figure de Jean-Marie Le Pen, sa place de président d'honneur du parti, et ses fréquents dérapages verbaux. Cela ancre le parti dans une représentation de mouvement "infréquentable". Enfin, un dernier élément qui joue beaucoup dans le discours de ces Français toujours rétifs au vote frontiste, c'est le doute quant à la capacité du FN à gouverner, lui qui n'a jamais été au pouvoir. Au tournant des années 80, lors de l'ascension du PS de François Mitterrand, il y avait déjà cette notion de "saut dans l'inconnu" qui existait pour ce mouvement, et qui avait sans doute favorisé la victoire de la droite aux législatives de 1978. Cette "hypothèse Front national" joue également. C'est pour cela que le FN tient à tout prix à soigner son bilan dans les municipalités qu'il a emporté en 2014.

Comment évoluent ces raisons ? Lesquelles vacillent sous l'effet de la poussée du FN, et lesquelles restent des obstacles majeurs pour la conquête de nouveaux électeurs par le FN ?

Ce que l'on voit, c'est que le discours anti-FN se basant sur une posture morale, par exemple sur les propos de Jean-Marie Le Pen, fonctionne de moins en moins. On le voit électoralement. Cela reste fort sur la gauche urbaine (les scores du FN dans la plupart des grandes villes sont loin d'être des "vagues"...), mais ça reste un nombre limité du corps électoral. C'est encore l'offre programmatique du FN, le projet de Marine Le Pen qui génèrent le plus d’interrogations et fait encore peur à une partie des Français. Nous avions publié en novembre 2014 un sondage montrant que Marine Le Pen était bien placée dans sa capacité à changer les choses ou à incarner le renouveau... mais pour ce qui était de ses propositions économiques, l’adhésion des Français se situait autour de 30%. Cela ne veut pas dire non plus que le PS ou l'UMP aurait suscité pour ce qui est de leur programme une plus forte adhésion mais le manque de responsabilités à l'échelle nationale est un problème pour le FN. Et à cela se rajoute l'inquiétude de débordements et d'émeutes en cas de victoire du FN.

De nombreux sondages se basent sur les raisons qui poussent les électeurs à ne pas se laisser tenter par le vote FN. Mais les résultats que l'on obtiendrait ne sont-ils pas similaires vis-à-vis d'un autre parti ? Le FN "révulse"-t-il vraiment plus un électeur que les autres partis pour lesquels il ne veut pas voter ?

Bien sûr qu'une partie des Français se sert du vote FN comme d'une manière d'exprimer une protestation. Mais il apparaît aussi qu'il représente une alternative. Dans nos enquêtes qualitatives, on voit bien la faible confiance accordée à un Nicolas Sarkozy renvoyant une image d'échec pendant son quinquennat, et un PS qui ne fait pas mieux. Donc, si nous posions une question de type "le PS propose-t-il des solutions économiques efficaces ?" et si on se réfère aux résultats de François Hollande sur cette item dans nos enquêtes, on peut anticiper une approbation très minoritaire. Mais nous nous focalisons bien sûr sur le FN dans ce type de questions car les sondages sont d'abord émis suite à des demandes de médias. Au fur et à mesure que l'on va se rapprocher de l'échéance de 2017, les enquêtes vont plus souvent porter sur la confiance comparée entre les principaux candidats sur différentes thématiques, type de sondage auquel Marine Le Pen arrivait d'ailleurs en tête sur la question de la sécurité en 2012. Il sera intéressant de voir ce qu'il en sera sur les questions économiques.

Alors que le Front national était hier encore un parti dont une victoire électorale pouvait mobiliser massivement ses opposants (comme en 2002), les récents bons scores aux municipales et aux européennes n'ont déclenché quasiment aucune manifestation. Une victoire du FN est-elle maintenant considérée dans l'opinion comme "acceptable", même par ses opposants les plus marqués ?

L'accession de Marine Le Pen au second tour en 2017 reste encore hypothétique, et ce scrutin reste très différent des autres. Mais l'absence de réactions à des enquêtes d'opinion symbolique reste une donnée forte en effet : en octobre 2013, l’Ifop révélait dans une enquête réalisée pour l'Obs que le FN était placé en tête des intentions de vote pour les élections européennes, cela a plus déchaîné les passions dans les médias que dans l'opinion. Entre le 10 avril et le 24 mai, nous avons mené l’Euro-Rolling, une enquête quotidienne, dans laquelle le FN est arrivé 33 fois en tête sur 35, sans remous là encore. C'est donc un signe de l'installation de l'idée du Front national comme une "alternative". Mais les craintes et le front du refus existent encore, ils se manifestent cependant de moins en moins bruyamment. 

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