Pourquoi les Etats ne paient pas vraiment leurs dettes (et comment ils s'y prennent) <!-- --> | Atlantico.fr
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Durant tout le XXè siècle, des puissances se sont arrangées pour que leur dette disparaisse sous le tapis.
Durant tout le XXè siècle, des puissances se sont arrangées pour que leur dette disparaisse sous le tapis.
©Reuters

Histoire de sous

Lorsque l'on parle de dette, on pense tout de suite à la Grèce, éreintée par une cure d'austérité mise en place par ses créanciers. Et pourtant, il n'y a rien d'absolu dans tout cela, l'Histoire le prouve. Durant tout le XXè siècle, et les conflits qui l'émaillèrent, des puissances se sont arrangées pour que leur dette disparaisse sous le tapis.

Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est Docteur en Sciences de Gestion et professeur émérite en finance à HEC ainsi que Président du Club Finance HEC qui réunit plus de 300 professionnels de la finance.

Il est  également consultant auprès de grandes banques et d'organismes internationaux et travaille dans le domaine du "private equity" à travers un fonds d'amorçage dédié aux "start-ups".

Il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Les meilleurs pratiques de l'entreprise et de la finance durables, à l'automne 2010.

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Atlantico : Depuis 2010, la Grèce est présentée comme l’un des pires emprunteurs qui soient. Même s’il est vrai que sa gestion budgétaire ainsi que son système de recouvrement de l’impôt ont gravement failli, elle n’est pas le seul pays à avoir éprouvé des difficultés à rembourser sa dette. Que nous enseigne l’histoire ?

Allemagne

Bernard Marois : Après la guerre de 14-18 le montant des réparations dont l’Allemagne devait s’acquitter a été estimé à 130 milliards de marks, ce qui impliquait un niveau d’endettement équivalent à ce montant. Le pays s’est retrouvé dans une situation économique difficile dès 1921-1922, puis la Ruhr a été occupée par la France en 1923. Des plans de restructuration de de la dette ont été mis en place, si bien qu’en 1930 l’Allemagne n’avait remboursé que 13 milliards. Toute idée de remboursement a été abandonnée à ce moment-là, car on s’est aperçu de l’impossibilité de saisir les actifs de l’Allemagne après la crise de 1929, qui s’est suivie d’une déflation généralisée. L’arrivée des nazis au pouvoir en 1933 n’a fait qu’entériner l’abandon des dettes.

Rebelote après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne avait de nouveau des dettes considérables à rembourser – le gouvernement grec ne s’est pas privée de le rappeler récemment. Mais forts de l’expérience du passé, les Alliés se sont aperçu de l’impossibilité que cela représentait pour l’Allemagne. D’où l’introduction du plan Marshall, qui permettait de donner de nouveaux crédits pour la relance et la croissance. Après un moratoire en 1953 les dettes furent annulées, notamment celle de l’Allemagne. L’histoire le montre, cette dernière a bénéficié de restructurations, ce qui montrer bien que lorsque les Allemands se hérissent aujourd’hui contre toute idée de ce genre, ils ont la mémoire très courte !

Russie

En 1917 les emprunts russes, qui pour l’essentiel étaient privés, ont été annulés par les bolcheviks. Mais cette annulation était unilatérale, et il a fallu attendre les années 80 pour que finalement des décisions juridiques internationales permettent d’effacer définitivement cette ardoise. Néanmoins les versements réalisés par les Soviétiques avant la chute du mur ont été faibles, pour ne pas dire marginaux.

Argentine

En 2001 l’Argentine a procédé à un haircut, c’est-à-dire, à une restructuration de la dette avec élimination d’une partie, mais cela s’est fait dans le cadre d’un plan général de dévaluation. Cela a permis au pays d’assurer en partie le remboursement de la dette. Mais aujourd’hui encore l’Argentine se trouve en difficulté.

Royaume-Uni

Après la Première Guerre mondiale l’Angleterre a décidé de maintenir la valeur de la livre sterling en or, presque au même niveau qu’avant le conflit. Ce lien ayant été impossible à maintenir, il a donc fallu accepter de dévaluer, et à partir de là les choses se sont améliorées. La France a aussi commis l’erreur de vouloir maintenir la parité du franc, ce qui l’a amenée à connaitre une déflation très dure en 34-35, suivie de dévaluations, ce qui a permis d’apurer le système. Ces situations sont différentes des autres dans la mesure où les causes des difficultés étaient dues à des taux de change trop élevés.

La Grèce ne peut pas dévaluer sa monnaie car elle est ans l’euro. Pour s’améliorer elle est obligée de procéder à une dévaluation interne, au travers d’une politique d’austérité.  Rappelons que la dette, c’est le capital, d’une part, et les intérêts d’autre part. Les prêteurs privés sont plus attentifs à récupérer les intérêts que le capital, qui lui, peut être consolidé ad vitam aeternam. D’où la notion de rente perpétuelle qui s’applique aux Etats.

En quoi le levier de l’inflation permet-il d’alléger le poids de la dette ? Au final, cela ne revient-il pas à s’exonérer d’une partie du paiement ?

L’inflation est intéressante lorsqu’il s’agit de la monnaie nationale. Si on emprunte en monnaie extérieure, l’inflation va entraîner une dévaluation de la monnaie nationale, mais comme il faut rembourser dans une autre monnaie, on ne gagne rien. En revanche dans le cas des Etats-Unis c’est un avantage, car cela permet, en augmentant les revenus fiscaux, d’avoir plus de ressources pour payer les intérêts et rembourser le capital. Les ressources fiscales augmentent, mais les dépenses publiques aussi, généralement. C’est donc une solution dangereuse. En outre, l’inflation ne se décrète pas. En Europe, nous sommes plus près de la déflation.

Les Etats n’ont-ils pas aussi fonctionné longtemps sur la base d’une rente perpétuelle ?

Il s’agit d’un système dont les origines sont bien connues : au 19e siècle la Grande Bretagne a émis de la dette publique à maturité illimitée, donc sans remboursement prévu. Ce qui était versé par l’emprunteur, c’étaient les intérêts. Le système fonctionnait car il s’appuyait sur une situation stable, et les investisseurs étaient confiants dans la pérennité du pays. Une telle rente est plus difficile à mettre en œuvre lorsque le gouvernement ne suscite pas cette confiance, comme c’est le cas en Grèce. La rente perpétuelle a été abandonnée au début du 20e siècle car les investisseurs n’étaient plus prêts à suivre.

Un retour à cette logique de rente perpétuelle serait-il profitable à la Grèce ?

En Grèce la mise en œuvre d’une rente perpétuelle est envisageable, car il faut savoir que la dette est détenue à environ 80 % par des prêteurs publics : les Etats, la BCE, le FMI. Dans cette configuration, il est moins compliqué de mettre en place une rente perpétuelle. A condition bien sûr d’un donnant-donnant : il faut que la Grèce s’engage à restructurer sur le temps long. Cela implique que d’une certaine façon une tutelle soit exercée par les prêteurs, ce qui est politiquement très délicat.

La réalité historique doit-elle nous avertir sur le risque qu’il y a à adopter un jugement trop moralisateur sur le cas grec ?

En économie les analyses moralisatrices n’ont pas beaucoup de sens. L’histoire nous montre que les annulations de dette sont pratiquées depuis le Moyen-Âge. Au 14e siècle par exemple le roi d’Angleterre s’était endetté auprès des banquiers lombards, et ne les a jamais remboursés. Ce qui compte, dans tous les cas, c’est le rapport de force entre le prêteur et l’emprunteur.

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